
Un navire de marine marchande en pleine Méditerranée. A son bord, cachés dans la cale, des familles juives, réchappées du génocide, qui s’apprêtent à immigrer clandestinement en ce qui est encore appelé la Palestine. Mais aussi, un couple de passagers clandestins qui finissent par se faire prendre et sont emmenés dans la cabine du Capitaine. Là, l’homme est reconnu comme étant, Robert Desgrieux, un homme recherché pour meurtre. Il est alors décidé des les livrer à la police lors de leur escale à Alexandrie. Pour y échapper et convaincre le Capitaine de les débarquer avec les autres passagers, ils racontent leur histoire.
Le roman de l’Abbé Prévost avait été jugé scandaleux et condamné à être brûlé en 1733 et 1735. Il constitue une des œuvres les plus audacieuse de l’histoire de la littérature. Cette histoire d’amour « entre un fripon et une câtin » pour reprendre les mots de Montesquieu (oui, j’aime bien cité Montesquieu, comme ça, juste pour faire bien) ne correspondait pas vraiment aux canons de l’amour courtois alors en vigueur, en particulier sous la plume d’un ecclésiastique.
Deux siècles plus tard, de l’eau avait passé sous les ponts, mais il régnait encore un puritanisme très fort sur l’industrie cinématographique. Cela était certes moins vrai en France qu’à Hollywood, mais tout de même, on ne badinait pas impunément avec la morale. Mais ce n’était pas le genre de chose à arrêter Henri-Georges Clouzot, capable, en pleine occupation, de sortir un film, le Corbeau, dont le thème principal était la délation. Une vraie audace scénaristique, mais aussi visuelle puisque on peut voir dans Manon le sein nu de l’héroïne, chose quasi impensable pour l’époque.

Manon possède d’ailleurs un casting riche. Axé autour d’un sublime trio Cécile Aubry – Michel Auclair – Serge Reggiani (dont on oublie trop souvent qu’il fut avant tout un immense acteur), il nous permet de profiter pleinement de cette histoire d’amour dramatique et intemporelle. Les plus cinéphiles s’amuseront aussi à retrouver un Michel Bouquet d’à peine 25 ans et même à assister aux débuts à l’écran de Rosy Varte… Mais si rappelez-vous, l’actrice qui interprétait Maggy à la télévision !
Manon nous parle donc de tout ce que les hommes d’aujourd’hui, d’hier et de demain sont prêts à faire par amour. Et quand cette histoire est racontée par un réalisateur qui n’aura été surpassé peut-être que par Orson Welles dans sa maîtrise technique du noir et blanc, cela donne un immense classique intemporel du cinéma français.