LA REVOLUTION ET NOUS, ET MOI

cantonaNous sommes le 7 décembre 2010, il est 21h47 et aux dernières nouvelles, le système bancaire français ne s’est pas écroulé. L’appel d’Eric Cantona est un échec…

Au-delà de l’anecdote du buzz autour de la vidéo de l’ancien attaquant de Manchester United, cette affaire est particulièrement révélatrice de la relation ambiguë qu’entretient le peuple français avec l’idée de révolution. Voilà bien une idée qui nous parle et qui pour beaucoup nous séduit. Quoi de plus normal pour une nation qui a fondé une large part de son identité sur ce qu’on appelle la Révolution, avec un R majuscule. Elle est à l’origine de notre imaginaire politique et la décapitation de Louis XVI représenta l’expression la plus ultime du rapport amour-haine que nous entretenons avec nos dirigeants.

Mais si notre imaginaire est encore bercée de révolution, le passage à l’acte semble être devenu beaucoup plus difficile. Mais l’est-il vraiment ? Ou bien la légende n’a t’elle pas déformée l’image que nous avons de ces évènements ? Si on reparle souvent des évènements de mai 68, comme étant le dernier épisode révolutionnaire qu’ait connu notre société, on oublie souvent de mentionner la vague conservatrice qui a déferlé aux élections qui ont suivi.

De même 1789 est loin d’être ce que notre imaginaire national souhaiterait qu’il soit. On a retenu l’image d’une révolte du peuple contre l’oppression. Mais la Révolution Française fut avant tout la prise de pouvoir de la bourgeoisie. Cette dernière avait déjà largement conquis le pouvoir économique, il lui restait encore à conquérir le pouvoir politique. Ce fut chose faite… et rien n’a vraiment changé depuis, le peuple ayant au fond simplement changé de maître.

Avoir substitué un pouvoir acquis par le sang par un pouvoir procuré par l’argent présente un grand avantage pour celui qui le détient. En partageant un peu de son pouvoir, donc de son argent, il peut acheter la paix sociale. Bien sûr, il s’agit d’en donner le minimum, mais juste assez pour tuer dans l’œuf toute tentative de renverser l’ordre établi. De plus, si en 1789 la chute de la noblesse n’a nuit qu’à cette dernière, la chute du pouvoir économique entraînerait toute la société avec lui. La crise financière l’a montré, les premiers à trinquer en cas de secousse, ce sont les plus faibles. Ou du moins, ce sont les seuls qui peuvent tout perdre.

Si l’appel de Cantona avait été entendu à une large échelle, cela aurait surtout nuit à ceux qui l’aurait suivi. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que ça aurait peut-être été un mal pour un bien. Cela pose une question fondamentale auquel est confronté toute personne ayant l’espoir de changer le monde et a fortiori à un militant de gauche comme moi. Peut-on vraiment changer les choses dans le système actuel ? La démocratie peut-elle encore dominer le pouvoir économique ? Bref, même si elle se mène au prix de bien de larmes et de souffrances, la révolution n’est-elle pas la seule issue ?

Bien sûr, aux deux premières questions, je répondrais oui et non à la dernière. Si ce n’était pas le cas, mon engagement ne serait pas le même. Mais le doute est évidemment là. Lâcher l’espoir en la démocratie pour un rêve révolutionnaire peut être signe de désespoir. Ceux qui n’ont rien à perdre dans la société actuelle n’ont aucune raison de ne pas la souhaiter. Mais ceux pour qui ne sont pas ce cas-là, il s’agit souvent d’une paresse intellectuelle, un refus d’assumer sa propre part de responsabilité, un moyen de se donner bonne conscience et d’oublier qu’on est, comme la plupart d’entre nous, dépendant, et donc quelque part acheté par le système économique.

Faire la révolution depuis son salon quand on a les revenus d’Eric Cantona (et une épouse qui a fait de la pub pour une banque…) est chose facile. Se présenter face aux électeurs, les convaincre, accepter leur verdict l’est beaucoup moins. Pourtant c’est ce qu’on appelle simplement la démocratie et on sait bien ce qu’ont donné les révolutions qui ont entraîné sa disparition.

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