UNE SEPARATION : Regard persan

uneseparationafficheEtre cinéaste aujourd’hui en Iran n’est pas vraiment une sinécure, surtout si vous voulez décrire avec précision cette société si particulière. Vous pouvez travailler dans la clandestinité, comme Bahman Ghobadi, le réalisateur des Chats Persans, et vous exposer ainsi à la colère des autorités. Vous pouvez aussi essayer de contourner la censure, comme Asghar Farhadi et son film la Séparation, Ours d’Or au dernier festival de Berlin. Un film sur une situation universelle, mais dans un contexte qui l’est heureusement nettement moins.

Nadar refuse de partir hors d’Iran avec sa fille et sa femme, malgré la volonté de cette dernière. En effet, il refuse de quitter son père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Alors elle retourne alors vivre chez ses parents, en attendant qu’il accepte le divorce. Il se retrouve alors obligé d’embaucher une aide-soignante et, dans l’urgence, accepte la candidature d’une femme enceinte, qui n’a pas l’accord de son mari. La situation se révèle vite problématique dans une société où les rapports hommes-femmes sont si difficiles. Surtout qu’un incident va définitivement bouleverser cette équilibre précaire.

Une Séparation nous raconte donc une histoire qui aurait pu se produire dans n’importe quel pays. Il nous parle des difficultés liés au divorce, à la garde des enfants, aux personnes âgés et dépendantes. Les humains étant à peu près constitués de la même manière d’un bout à l’autre de la planète, les réactions des protagonistes auraient pu être similaires partout. Le film aurait pu se contenter d’une petite touche d’exotisme qui aurait rendu le tout un peu dépaysant.

Mais Une Séparation est bien plus que cela. C’est une plongée dans le cœur et le quotidien de la société iranienne. Ce n’est pas un film politique, un documentaire ou un pamphlet. Il n’y a aucun parti pris. D’ailleurs quel parti prendre, car il n’y a ni méchants, ni gentils dans cette histoire ? Il n’y a pas des victimes d’un côté, des oppresseurs de l’autre. Il y a simplement des êtres humains tentant de vivre leur vie dans un contexte incroyablement pesant, où non-dits et tabous sont omniprésents. Ce film n’est contre rien, mais montre de manière si simple, si directe ce à quoi peut ressembler le quotidien des Iraniens ordinaires que le message est d’une force incroyable.

Réalisé de manière très épuré, Une Séparation aurait pu ressembler à un mauvais téléfilm, sans la grande intelligence de Asghar Farhadi. On peut trouver incroyable qu’il ait réussi à produire et tourner ce film dans son propre pays. Avec notre regard d’Occidentaux, tant de choses nous sautent aux yeux, nous choquent, nous mettent mal-à-l’aise. Mais que pourrait reprocher un censeur précisément à un film qui ne fait que décrire un quotidien de manière aussi neutre ? Si on ajoute à cela certains détails, comme le fait que les femmes restent voilées à l’écran, même chez elle, on voit bien comment le cinéaste a réussi à contourner ce quoi même le film cherche à nous montrer.

uneseparationAu-delà du fond, on pourra reprocher au réalisateur une forme parfois imparfaitement maîtrisée. Une Séparation est relativement long (un peu plus de deux heures) et il aurait certainement pu être raccourci. Mais il se serait sans doute quelque peu artificialisé. En devenant une œuvre d’art et suivant trop de conventions, il aurait perdu de sa force brute, même si, encore une fois, ce film n’est définitivement pas un documentaire, mais un vrai récit avec son début, ses rebondissements et sa conclusion.

L’ensemble de l’interprétation a été elle-aussi récompensée à Berlin. C’est mérité, tant les acteurs et actrices sont incroyables. Là encore, un jeu hésitant, forcé ou trop cabotin aurait ruiné la force d’un message qui émerge de détails pouvant passer pour anodins. Ils épousent tous parfaitement leurs personnages, comme si c’était leur propre vie qui se retrouvait à l’écran.

Une Séparation se révèle donc être une formidable histoire sur les rapports humains, à travers laquelle transparait la critique d’une société oppressante et destructrice.

Fiche technique :
Production : Negar Eskandarfar, Asghar Farhadi
Distribution : Memento films distribution
Réalisation : Asghar Farhadi
Scénario : Asghar Farhadi
Montage : Hayedeh Safiyari
Photo : Mahmood Kalari
Décors : Keyvan Moghadam
Durée : 123 mn

Casting :
Sarina Farhadi : Termeh
Sareh Bayat : Razieh
Shahab Hosseini : Hodjat
Peyman Moadi : Nader
Leila Hatami : Simin

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