POURQUOI IL FAUT SE BATTRE… ET POURQUOI IL LE FAUDRA ENCORE DEMAIN : 2ème partie

plusdureseralachuteAprès les considérations physico-matématico-philosophiques, passons à des considérations un peu plus concrètes. Mais avant, un peu d’histoire.

Au début du 20ème siècle, deux visions du capitalisme s’affrontaient. La première a eu pour chef de file un certain Henry Ford, constructeur automobile de son état. Un grand entrepreneur, symbole du rêve américain, pas vraiment un bolchevique. Or, il avait pour principe de très bien payer ses salariés. Pourquoi ? Pour l’amour qu’il leur portait ? Parce qu’il n’aimait pas l’argent et qu’il préférait le distribuer aux plus modestes ? Non, pas du tout, tout simplement pour que ses employés puissent eux-mêmes s’acheter une Ford et ainsi augmenter le chiffre d’affaire de son entreprise.

On le sait, le progrès technique aidant, la productivité augmente un peu chaque année. Ainsi, au fil du temps, chaque travailleur est capable de produire un peu plus de richesses. Mais la question se pose alors de la répartition de cette richesse supplémentaire. On le verra cette question est absolument centrale. Henry Ford privilégiait l’augmentation des salaires, conscient qu’une partie de cette richesse allait lui revenir, mais en permettant entre temps à un de ses employés d’acheter une belle voiture.

Cependant, ses contemporains capitalistes ont trouvé les idées d’Henry Ford fort saugrenues. Pourquoi donc prendre le risque que l’employé en question décide, au-lieu d’acheter une Ford, d’épargner ou d’investir dans un appartement ? Il est beaucoup plus simple, et intelligent de leur point de vue, d’utiliser la progression de la productivité pour mieux rémunérer directement le capital qu’il possède et diminuer le nombre de salariés.

Malheureusement, la seconde vision l’a totalement emporté et la vision fordiste du capitalisme est vite devenue totalement désuette. Pourtant, me direz-vous, cela n’a pas empêché le niveau de vie des salariés de progresser de manière spectaculaire au cours du 20ème siècle. En effet, les salariés ont su défendre leurs intérêts et su conserver leur part du gâteau à grands coups de luttes sociales. Cela a permis pendant des décennies un partage relativement équitable des gains de productivité, entre salariés, actionnaires et l’entreprise elle-même, sous forme d’investissement. Mais évidemment, cela en chagrinait certains. Ils se sont alors creusés la tête et se sont appuyé sur trois phénomènes pour mettre fin à tout ça…

Bon, soyons honnêtes, le premier n’est pas vraiment une invention, mais une tendance très ancienne qui s’est accélérée d’un coup. Je veux parler de la mondialisation, en particulier de la possibilité qu’ont eu les entreprises industrielles à se délocaliser. Quelle aubaine ! Pourquoi continuer à partager la valeur ajoutée avec des salariés occidentaux, quand une armée de petits Chinois est prête à travailler pour moins d’un dollar par jour ?! Evidemment, je caricature au maximum, mais il est incontestable que la peur du chômage et des délocalisations ont considérablement changé le rapport de force entre salariés et actionnaires, au profit de ces derniers bien sûr.

Le deuxième phénomène est lui totalement calculé et entretenu par les détenteurs du capital. C’est l’externalisation et la sous-traitance. Je ne sais pas qui a eu l’idée en premier, mais ce fut une idée de génie. En effet, il permet de transformer un salarié, qui peut revendiquer, se mettre en grève, qui a des droits et qu’il faut surtout payer tous les mois quoiqu’il arrive, en fournisseur. On est passé d’un rapport salarié-actionnaire à un rapport fournisseur-client. Et on le sait bien, le client est roi !

Le développement de la sous-traitance présente évidemment d’énormes avantages en termes de gestion du personnel… vu que le personnel n’appartient plus à l’entreprise et qu’on peut d’un simple coup de fil lui dire « désolé, je ne travaillerai plus avec vous »… On n’a souvent même pas besoin de téléphoner, il suffit juste d’arrêter de passer commande. Cette évolution a surtout permis d’éradiquer le syndicalisme des entreprises françaises. Qui se syndique dans une petite PME ? Personne, alors que cette coutume survit encore dans les grands groupes. Mais ils trouveront sûrement une solution pour y remédier… Bref, quand on pense qu’il y’a encore trente ans, Renault avait un service qui fabriquait… les meubles des bureaux. Aujourd’hui, cela paraîtrait totalement saugrenu.

Le dernier phénomène s’est largement nourri des deux premiers. Il s’agit du développement spectaculaire de l’économie financière, dont la part dans le PIB s’accroît d’année en année. Pourtant, les outils financiers sont très anciens. Mais les créateurs de la Bourse, au 19ème siècle, qui ont cherché un moyen de favoriser la levée de capitaux pour stimuler l’investissement des entreprises, n’ont rien de commun avec les traders utilisant des algorithmes permettant de passer des ordres spéculatifs en moins d’une milliseconde. A l’origine, ces outils étaient au service de l’économie réelle, désormais c’est l’inverse. Ce sont les objectifs de rentabilité du capital qui gouvernent la gestion des grandes entreprises et non la rentabilité de l’activité qui détermine la rémunération de l’actionnaire.

De plus, grâce aux hedge-funds, aux fonds de pension, aux SICAV, on a le plus possible éloigné le propriétaire du capital de l’unité de production de biens ou de services. Qui fait le lien entre des licenciements et la valorisation de ses SICAV, dont on ignore généralement de quelles actions elles sont composés ? Cela permet surtout à tout un tas d’intermédiaires de se servir, grassement, au passage.

Quel est le rapport avec ce que j’avais exposé dans la 1ère partie de cet article ? Si l’on revient au dilemme du prisonnier, tous ces phénomènes sont autant de trahisons qui nous éloignent de la situation optimale. Ceux qui profitent de cette situation, c’est à dire les détenteurs du capital et les intermédiaires qui vivent directement à leurs crochets, en tirent un profit immédiat et important. Ils sortent libres de prison, tandis que l’économie réelle, dont dépend le reste de la société, est invitée à passer un long séjour à l’ombre. Mais on l’a vu, cette situation incite tout le monde à agir égoïstement et, même si chacun pense défendre ses intérêts individuels, cela conduit l’ensemble des acteurs à la catastrophe.

L’économie financière, qui aujourd’hui impose sa loi, vampirise, étouffe et détruit l’économie réelle, en apportant son lot de souffrances et de misère. Ils sont nombreux à se gaver comme des oies, dans une indécence la plus totale. Mais l’économie financière ne crée pas valeur ajoutée, elle ne fait qu’aspirer celle crée par l’économie réelle. Si cette dernière est détruite, la première s’écroule. C’est exactement ce qui s’est passé lors de la crise que l’on vient de connaître, où un phénomène liée à l’économie réelle (le non-remboursement par des personnes physiques de traites des fameuses « subprime ») a provoqué un séisme dans tout le système financier mondial, qui a, à son tour, contaminé l’ensemble de l’économie réelle, en diminuant les crédits accordés aux entreprises notamment.

Il y’a aujourd’hui une minorité, celle qui possède le pouvoir économique, financier, et, malheureusement, souvent politique, qui scie la branche sur laquelle elle est assise, en tirant un avantage à court terme. Le problème c’est que nous sommes tous assis dessus et au final, nous serons tous entraînés dans la chute.

Cela vous semble improbable ? Sachez que depuis 2005 (c’est à dire avant et après la crise), le montant des dividendes distribuées aux actionnaires par les entreprises françaises a dépassé leur résultat comptable (sauf en 2007). C’est à dire que les entreprises s’endettent pour continuer à rémunérer leurs actionnaires. Cette situation est évidemment intenable à moyen terme. Mais le plus grave est que cela se traduit mécaniquement par un sous-investissement. Or, l’investissement, c’est le progrès, l’emploi, l’avenir…

En 30 ans, le résultat total des entreprises françaises a été multiplié par trois, le montant des dividendes par dix. Notre économie et notre société sont comme la bille qui dévale la pente, s’éloignant de l’optimum vers un nouvel équilibre où tout le monde est perdant. Pour la remonter, il n’y a qu’un moyen : la volonté collective de renverser la tendance. Mais pour cela, il faut parfois oublier ses intérêts immédiats à court terme et penser réellement à l’intérêt général. Sans cela, plus dure sera la chute…

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