L’ART DELICAT DE LA FRUSTRATION

frustrationHier soir, j’ai regardé les deux épisodes de Desperate Housewives diffusés sur Canal +. C’est mon petit plaisir du jeudi soir qui fait que toute la journée, je me répète : « chouette ce soir, je retourne à Wisteria Lane ». J’avais déjà eu à ce sujet un débat avec deux amies qui trouvaient saugrenues qu’à l’heure du streaming légal ou illégal, on puisse encore regarder une série un jour et à une heure fixe, qui plus est avec plusieurs mois de décalage par rapport à leur date de diffusion initiale outre-Atlantique. Je n’ai pas envie de recommencer ici ce débat, car ce n’est pas le sujet de ce billet. Enfin pas tout à fait…

Quand on est petit, on vous raconte à loisir qu’il faut savoir être patient, que l’on apprécie d’autant plus quelque chose qu’il faut d’effort et de temps pour l’avoir. Le genre de notion qui vous empêche de devenir un enfant pourri gâté, mais que l’on oublie quelque peu en vieillissant. Elle devient un mensonge pour gamin, au même titre que « arrête de faire la grimace, tu vas rester coincé ! ». Avec l’expérience, on apprend surtout que l’on a qu’une vie et qu’il faut mieux profiter des choses dès que l’on peut les avoir. Mais en y repensant, nos parents n’avaient pas si tort que ça.

Le mot « frustration » est plutôt connotée négativement. Pourtant, quand on y pense, n’est-il pas une des sources de plaisir ? Evidemment, le plaisir en lui-même vient de la levée de cette frustration, plus que de la frustration en elle-même. Sauf que ce plaisir est d’autant plus intense que la frustration a été forte. Bref, là où y’a pas de frustration, y’a pas de plaisir !

Naturellement, quelque fois, elle n’est jamais levée. Selon la situation, cela peut être totalement anodin ou constituer une grande souffrance. Mais sans elle, nous serions infiniment blasés et plus rien n’aurait de saveur. Dans la vie, tout est une question d’équilibre et celui entre frustration et satisfaction est essentiel au bonheur.

Alors ce n’est pas parce que les choses sont à disposition que l’on doit se jeter dessus sans retenue. Il n’y a pas de masochisme de se frustrer volontairement. On ne fait que rajouter un peu de piment à un plat que l’on sait de toute façon savoureux. Il n’a d’autant aucune de raison de s’en priver que l’on sait que l’on pourra lever la frustration de toute façon. Certains peuvent trouver ça quelque peu hypocrites. Mais ce sont souvent les mêmes qui font chauffer leur chocolat chaud au micro-onde. Ils y gagnent du temps, accède plus vite à leur satisfaction, mais oublie le plaisir de sentir l’odeur de lait chaud qui envahit la cuisine et apporte les savoureuses promesses d’un délice chocolaté.

Voilà, pourquoi j’aime attendre le jeudi soir 20h50 pour regarder mes deux épisodes de la semaine de Desperate Housewives. J’aime cette impatience, cette attente, cet envie d’être déjà à cette heure-là sur mon canapé devant la télé. Je peux les savourer pleinement puisque je sais que si je ne suis pas là le jour J à l’heure H, il me suffira de deux clics pour rattraper le retard. Mais pour rien au monde, je ne laisserai ces deux clics tuer cette délicieuse frustration !

Qui n’a jamais été fou de désir pour quelqu’un que se refusait à soi ? Qui n’a jamais connu l’infini plaisir d’arriver enfin à ses fins ? Même l’amour se nourrit de frustration. Bien sûr, il peut en mourir aussi, mais pour rien au monde je n’aimerais avoir toutes les femmes offertes à disposition… Enfin quoique…

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