LA GAUCHE EN MANQUE D’UTOPIE

utopieIl est de bon ton d’affirmer que la politique actuellement menée par le gouvernement n’est pas assez de gauche, voire pas de gauche du tout d’ailleurs. Il s’agit là d’un jugement, comme tout jugement d’ailleurs, relativement subjectif, même s’il est objectivement incontestable que François Hollande et Manuel Valls sont plus proche du centre de l’échiquier politique que du bord le plus à gauche. Cette affirmation, pas si gratuite que cela donc, conduit à divers constats qui mériteraient chacun un billet en lui-même. Je vais donc passer rapidement sur chacun d’eux avant de m’attarder sur le premier. Je verrai si je développe les autres plus tard

Avant tout, la première question qui mériterait d’être posée est de savoir si les notions de droite et de gauche ont vraiment un sens, comme si toutes les idées pouvaient se placer le long d’une ligne. Une représentation sous forme d’un plan serait déjà beaucoup plus pertinente de mon point de vue, même si encore relativement inexacte. Mais on touche là à un débat auquel on pourrait carrément consacrer une thèse ou un livre alors je continuerai à utiliser ce raccourci dans la suite des débats.

Ce genre d’affirmation montre également à quel point pour beaucoup de gens de gauche, ce qui se situe moins à gauche qu’eux est à droite… Ok à première vue, cela ressemble à une affirmation de pure logique. Mais cela veut surtout dire qu’aussi large soit l’espace situé à la droite d’eux, il représente un espace homogène, simplement désigné par « la droite », peuplé de suppôts de Satan qui enterreraient volontiers les immigrés vivants et enchaîneraient les ouvriers avec un plaisir sadique. Peut-être que c’est la même chose (enfin de manière inversée) chez les gens de droite mais j’en fréquente peu… En tout cas, cela souligne le caractère profondément manichéen de la pensée politique en France, qui diffère profondément dans ce domaine de l’Allemagne, pays du compromis et des coalitions.

Le constat suivant vient lorsque l’on demande à la personne qui vient de clamer le caractère profondément droitier du gouvernement avec énergie d’étayer son jugement. On se heurte souvent à une incapacité de citer les raisons profondes qui le poussent à penser ainsi. Il y a bien les indémodables propos de Manuel Valls sur les Roms, combien même le sujet ait totalement disparu depuis plus d’un an. Elle peut également évoquer le fait que l’on fait des cadeaux aux patrons, en étant rarement capable d’expliquer en quoi ils consistent exactement. Elle peut également citer les déclarations d’Emmanuel Macron (à propos duquel Cécile Duflot vient de déclarer qu’il est plus à gauche qu’il en a l’air) sur les 35h, combien même elles ne constituent qu’une toute petite citation d’une longue interview donnée avant qu’il soit ministre et qui n’engage en rien le gouvernement. Elle ne sait donc pas vraiment pourquoi le gouvernement est à droite, mais elle le sait, puisque tout le monde le dit, tout le monde le sent. C’est l’éclatante démonstration de l’incapacité profonde de François Hollande et de son équipe d’expliquer ce qu’ils font, pourquoi ils le font et pourquoi c’est bien. Le refus de mettre en scène, de faire du storytelling autour d’une ou deux mesures phare qui n’aurait peut-être qu’une portée limitée dans l’absolu, mais permettrait de contrôler le jeu médiatique, qui aujourd’hui lui échappe totalement. Mais quand on vient d’un parti dont la principale activité consiste à pondre à la chaîne des textes de 20 pages aussi vite oubliés qu’ils sont écrits, cela n’a rien d’étonnant.

Puis viens enfin l’ultime : qu’est ce qu’il faudrait faire alors ? Tout le monde s’accorde qu’il faut à la fois réduire les déficits et relancer l’économie, combien même cela s’apparente à une quadrature de cercle. Il faut que tout cela se fasse avec plus de justice, pour plus d’égalité, valeurs qui sont certainement celles qui sont les plus profondément ancrés à gauche. Oui mais concrètement, on fait quoi ? Et là, la question reste le plus souvent en suspens.

Face à ça, on peut adopter deux attitudes. Dire simplement que c’est le boulot des politiques de trouver les solutions, attitude qui montre bien dans quel état est l’esprit démocratique dans notre pays. Sinon, on peut aussi essayer de réfléchir deux secondes et se demander pourquoi cela semble désormais si difficile de définir précisément en quoi consisterait une politique économique de gauche. Parce que quand vous discutez avec des gens de droite (ça m’arrive quand même notamment mes collègues conseillers municipaux viroflaysiens), ils ont rarement d’hésitation au sujet de ce qu’ils voudraient voir appliquer.

Je pense que la grande différence entre la gauche et la droite est l’existence ou non d’un idéal. A droite, il existe encore une « utopie » libérale où impôts et puissance publique seraient réduits à zéro. A gauche, il existait le communisme, mais l’histoire l’a tué. Ainsi, il est beaucoup plus facile intellectuellement de se dire qu’on peut aller beaucoup plus loin à droite (combien même l’expérience montre que cela est aussi désastreux que dans l’autre sens, mais il n’y a jamais eu d’URSS ultra-libérale). A gauche, on sait qu’il existe une limite à partir de laquelle on court à la catastrophe. Mais le plus dur reste évidemment de déterminer exactement où elle se situe.

Les utopies sont toujours belles sur le papier et monstrueuses dans leur traduction dans la réalité. En effet, elles se basent sur des absolus quand la vie en société est forcément faite de diversité et de variété. Avoir pu constater l’horreur de l’utopie de gauche pourrait donc constituer une bonne nouvelle car elle nous protège de son retour. Mais les utopies ont l’immense avantage de structurer la pensée, de tracer une route vers un absolu qu’il ne faut certes pas atteindre mais qui au moins montre la voie. Elle apporte à la pensée politique cette part de rêve qui manque cruellement aujourd’hui à gauche, même si les rêves tournent souvent à la déception puisqu’ils ne peuvent le plus souvent jamais se réaliser. Peut-on vraiment imaginer un grand élan collectif émerger sans tout cela ? Rien n’est moins sûr.

Reste donc à rebâtir une utopie de gauche qui ne consiste pas en la collectivisation des moyens de production. L’économie de marché (qui n’est pas synonyme de capitalisme ou de libéralisme, rappelons-le) a gagné définitivement et même les Partis Communistes qui survivent encore l’ont largement accepté. Il faut donc une autre voie vers laquelle les espoirs à gauche pourraient se tourner. Je vois deux pistes possible.

La première serait une utopie écologiste. Je vois bien le fossé générationnel qui existe, au moins au sein du PS, mais je pense largement ailleurs, sur les questions environnementales. Elles constituent à mon sens certainement le vecteur le plus fort de mobilisation d’une jeunesse (et la jeunesse en politique se termine vers 60 ans…) qui a dramatiquement déserté le champs politique. Or, c’est forcément avec elle que l’avenir se construira, à mesure que le règne des baby-boomers s’achèvera. Mais le problème est qu’il n’y pas qu’une utopie écologiste, mais des dizaines. Entre les supporters de la décroissance et les défenseurs de la croissance verte, l’unité ne se fait que sur le concept de la défense de l’environnement, certainement pas sur son contenu et sa traduction concrète. Or, c’est bien ce qu’il faut définir pour tracer la voie qui mènerait à cette utopie. Et il n’est pas sûr que ces contradictions ne soient jamais réellement surmontables.

La seconde est l’utopie libertaire, une sorte de modernisation des idéaux de Mai 68. Le soucis est que cette utopie s’est bon gré mal gré largement concrétisée. Il reste peu de droits fondamentaux qui concerneraient l’ensemble de la population qui resteraient à conquérir. Les grands terrains de lutte ne se rapportent plus qu’à une frange de celle-ci, qui peut être certes très large, comme pour l’égalité hommes-femmes, ou plus restreinte (droits des homosexuels, fin des discriminations diverses et variées,…). La seule idée qui pourrait servir d’étendard à une telle utopie serait la diminution du temps de travail. Or aujourd’hui, elle est présentée par son principal défenseur, Pierre Larrouturou, comme une réponse aux problèmes économiques, quand elle devrait, à mon sens, n’être qu’un morceau d’une réflexion plus large et beaucoup plus sociétale sur la place du travail dans notre existence.

Retrouver une utopie de gauche à court terme est donc loin d’être gagné. Un long travail intellectuel est à mener. Reste à savoir qui doit le mener. Evidemment les partis politiques, leur personnel et leurs militants auront un rôle important à jouer. Mais les grandes idées qui ont profondément marqué les mouvements politiques sont rarement nés en leur sein. Karl Marx était un économiste et un intellectuel, pas un élu. C’est à l’ensemble du peuple de gauche de se mobiliser au travers des organisations politiques, mais aussi au travers des clubs de réflexion, qui restent des lieux fertiles, mais qui concernent désormais le plus souvent que des poignées de spécialistes, ou d’un monde associatif dont le but est de plus en plus la défense d’intérêts ultra locaux, pour ne pas dire totalement égoïstes.

Si les grandes idées sont des grands arbres, elles ne peuvent naître que sur un terreau fertile le plus large possible. Or, on ne peut pas demander à des élus chargés de traiter à plein temps des dossiers de plus en plus complexes et techniques de faire seuls ce travail. Participer à ces réflexions, que ce soit sur un sujet en particulier, à une échelle spécifique, où au contraire en visant l’émergence d’un modèle universel et fédérateur fait aussi partie du devoir d’un citoyen. On ne peut pas demander à d’autres, au travers de la démocratie représentative, de défendre des idées qui nous ressemblent quand on ne prend jamais le temps de participer à leur construction.

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