TANGO DE DROITE A GAUCHE

droitegaucheBon comme je l’avais annoncé, je vais revenir sur certains points que je n’avais fait qu’effleurer. Et je vais commencer par le plus vaste d’entre eux. Comme je l’avais dit la dernière fois, on pourrait consacrer une livre sur le sujet. Je vais ici me contenter de quelques réflexions qui n’ont absolument pas la prétention d’épuiser le sujet. La question dont il sera question ici est la pertinence aujourd’hui du clivage droite-gauche.

Déjà, il faut déjà s’interroger sur ce que l’on clive. Les personnes ou les idées ? Et pour ces dernières, qu’est ce que cela recouvre exactement ? Gauche et droite se définissent-elles uniquement par les finalités d’une politique ou bien aussi par les moyens employés ? Ce clivage recouvre-t-il entièrement le champs des idées politique ou bien y a-t-il des idées qui peuvent trouver leur place dans les deux camps sans distinction ?

De mon point de vue, gauche et droite se différencient par l’échelle de leurs valeurs. Non par les valeurs elles-mêmes, mais par la manière dont elles les relient entre elles et dont elles les hiérarchisent. Personne n’est pour l’injustice et les inégalités, personne n’est contre la liberté et la solidarité. Quand on est un décideur public, on est souvent amené à devoir choisir entre deux possibilités (et même souvent plus) qui ne sont ni meilleures, ni pires l’une que l’autre, mais impliquent simplement des avantages et des inconvénients différents. On sait bien, par exemple, que liberté et égalité peuvent rentrer parfois en contradiction. Très schématiquement, la droite privilégiera la liberté, la gauche l’égalité.

Dans bien des situations, aucune contradiction n’apparaît et des élus des deux camps peuvent amener à prendre des décisions similaires face à un même problème. Mais pour y arriver, ils empruntent des chemins intellectuels très différents. Simplement, le sens pratique, le « bon sens » comme l’on dit (expression que je déteste et qui représente pour moi la négation de la réflexion politique), impose un même résultat. La pratique active de la politique au sein du Conseil Municipal et donc les discussions fréquentes avec des gens de droite (ce que je fais quand même plus rarement dans ma vie amicale où ils sont relativement peu nombreux) m’ont vraiment renforcé dans cette impression, qui n’en est donc pas qu’une de mon point de vue. Je suis donc fermement convaincu que le clivage droite-gauche a donc vraiment un sens… dans ce cadre-là.

Cependant, cette convergence possible montre bien que certaines idées ne sont pas forcément de gauche ou de droite dans l’absolu. Au final, seule la décision en tant que telle a un impact sur la société et les citoyens, pas le chemin intellectuel qui a mené le décideur à la prendre. Et si droite et gauche peuvent converger vers une même idée, cela ne signifie pas non plus que toute la droite et toute la gauche doivent converger vers le même point.

Prenons l’exemple de la construction européenne. Défendre une Europe Fédérale ou une Europe des Nations ne présage pas d’une appartenance à un bord ou l’autre. Il y a des partisans de chacune de ces visions dans tous les partis et les personnes du même camp s’opposent sur la question. Sur ce sujet bien précis, ils seront plus facilement d’accord avec un « adversaire » que d’un « camarade ». Or, il est de tradition nationale que tous les membres d’un même parti parlent d’une seule voix. Sans cela, tous les médias parleront de crise au sein de ce parti.

On voit bien à quel point tout cela nuit à la qualité du débat démocratique. Au sein des partis, cela conduit à des compromis boiteux, qui ne fâchent personne mais qui ne répondent pas clairement aux questions posées. Et c’est une fois arrivé au pouvoir que l’on s’aperçoit que l’accord n’était que de façade. Cela conduit également au spectacle assez affligeant d’élus d’opposition obligés d’expliquer qu’ils sont pour une certaine idée mais quand même contre sa concrétisation proposée par le camps d’en face. Le débat (si on peut appeler ça un débat) sur la réforme territoriale en constitue la meilleure illustration, alors que certaines évolutions envisagées devraient dégager des majorités n’ayant rien à voir avec les frontières des partis. Et au final, on se retrouve avec des lois qui restent au milieu du gué, alors que parfois la demi-mesure est pire que l’inaction.

Se pose ensuite la question des moyens et des outils. Ces derniers sont forcément au service d’une politique qui très souvent peut être qualifiée de droite ou de gauche ? Mais quand n’est-il des moyens et des outils en eux mêmes ? Pour moi, la réponse est claire, un outil est apolitique. Tout est une question de contexte et il n’y a pas de raison de se priver d’une pièce à son arsenal, sous prétexte que celle-si soit tabou, pour employer un mot à la mode, dans son propre camp.

Prenons l’exemple de la TVA. Elle constitue la première ressource de l’Etat et occupe une place importante dans la vie quotidienne des entreprises. Il s’agit donc d’un sujet majeur dans l’élaboration d’une politique globale puisqu’il est évident qu’on ne peut pas se passer d’un impôt qui représente aujourd’hui environ la moitié des recettes alimentant le budget de l’Etat. Mais parlez une seule fois de la TVA dans une réunion du Parti Socialiste et vous verrez vous lever quelques poings brandis vers le ciel pour dénoncer « le plus injuste des impôts » qui frappe plus lourdement (en % du revenu s’entend) les plus modestes que les plus riches. Pour beaucoup, la TVA est donc foncièrement de droite et aucun homme de gauche ne peut décemment imaginer l’augmenter.

Cependant, la TVA a aussi des vertus. Il a un a très haut rendement, c’est à dire qu’il suffit d’en augmenter un tout petit peu le taux pour voir les recettes qu’il engendre augmenter fortement. Et surtout, il frappe l’ensemble des produits et services vendus en France, même ceux produits à l’étranger ou vendus par des multinationales championnes de l’optimisation fiscale. Acheter un CD sur Amazon, vous ne contribuerez peut-être pas à la hausse des recettes liées à l’impôt sur les sociétés, mais vous contribuerez à la collecte de la TVA, de la même manière que si vous aviez acheté ce livre au disquaire du coin.

Dans le cadre d’une politique globale de gauche, une augmentation modérée de la TVA peut donc avoir tout à fait sa place et être efficace. Notamment dans un contexte quasi déflationniste comme celui que nous le connaissons actuellement. Prenons l’exemple de notre vilain Président qui a eu l’idée maléfique d’augmenter la TVA de 0,4%, ce qui pour certains en fait un suppot du MEDEF et de l’UMP. Mais au final, quel fut l’impact de cette mesure sur l’inflation ? Nul… Vue la conjoncture, aucune entreprise n’est tentée d’augmenter ses prix alors ce sont ces dernières qui ont payé l’intégralité de cette augmentation (et non les plus modestes qui, pour certains, devaient être frappés durement par cette décision inique). Et il s’agit bien ici de toutes les entreprises agissant sur notre sol ! Y compris celles qui ne payent pas de cotisations sociales dans notre pays. Beaucoup de ceux qui crient contre la TVA seront les premiers à défendre une hausse de ces dernières. Sauf que ce genre de décision ne frappe que les entreprises françaises, tandis que leurs concurrents étrangers qui vendent des produits en France profiteront d’une compétitivité (oh le vilain mot!) relative accrue, ce qui est complètement contre-productif.

Bon, pour finir ce billet déjà beaucoup trop long, parlons des personnes. On se contentera d’ailleurs de parler de ceux un minimum actifs en politique pour simplifier un peu les choses. Bref, à part quelques centristes qui le sont rarement vraiment, on est forcément labellisé soit de gauche, soit de droite. Se pose, soit dit en passant, alors la question d’où se situe la frontière entre les deux, mais je consacrerai un billet spécifique à ce sujet. Après, au sein d’un même camp, on peut être plus ou moins d’un côté. Ainsi, Manuel Valls va constituer l’aile droite de la gauche, quand Jean-Luc Mélanchon représente la gauche de la gauche. Mais cela a-t-il vraiment un sens ?

Comme je l’ai dit plus haut, de mon point de vue, ce clivage a toujours un sens profond quand on s’attaque aux valeurs et à un certains nombres d’idées (mais pas toutes). Il est vrai que chez beaucoup de gens les valeurs et les idées d’un même bord ont tendance à s’agglomérer. On est rarement en même temps pour la dépénalisation du cannabis, pour la peine de mort, pour la privatisation des services publics et pour l’augmentation des allocations chômage. Je parle bien encore une fois des personnes qui pratiquent un peu la politique, car au café du commerce on trouve parfois des personnes arrivant à faire preuve de cette incohérence profonde et souvent assumée. Donc globalement, je suis d’accord que l’on peut classer facilement la plupart des hommes et des femmes politiques avec une étiquette « de droite » ou « de gauche » et que cela a un sens. Bref, si ça marche quand même relativement bien, pourquoi je fais chier avec mon billet qui n’en finit pas !

Sauf que deux éléments viennent un perturber cette belle ligne droite où l’on peut aligner tout le monde de façon absolue et rigide. Le premier s’appelle Marine Le Pen. Du temps du père, tout était simple, on avait un libéral opposé à l’immigration et l’avortement. Il était au bout de la droite, c’était incontestable. Mais si être de gauche se caractérise notamment par la défense d’un interventionnisme étatique important et un discours pourfendant les grosses entreprises du CAC 40, alors le placement de la fille est déjà beaucoup plus délicat. Une grande partie de la gauche continue d’ailleurs de refuser de comprendre que le vote Front National n’est plus du tout un vote de droite, mais a complètement fait exploser se clivage. Cela change radicalement le discours que l’on doit adopter face à lui et les stratégies électorales. L’expérience douloureuse de Mantes la Ville aux dernières élections municipales montrent bien que cela n’est pas encore tout à fait assimilé.

L’autre élément est l’écologie. Je côtoie dans mon parti des personnes formidables, qui militent depuis plusieurs décennies de manière admirable. Ils sont souvent « plus à gauche » que moi sur les questions économiques, reprenant dans leurs discours ce que j’ai dénoncé plus haut. Pourtant un certain nombre d’entre eux ne se sentent pas écolo du tout. Leurs combats ont toujours été sociaux et ils n’arrivent pas à considérer l’urgence environnementale comme tout autant prioritaire. Renoncer au nucléaire leur paraît une hérésie. Il y a là une vraie différence entre leur génération et la mienne et s’il y a un reproche que l’on peut faire à François Hollande c’est bien d’appartenir à cette dernière de ce point de vue là. Cependant si on considère qu’être écolo vous tire vers la gauche de l’échiquier politique, je suis sûrement alors plus à gauche qu’eux sur ces questions-là.

J’en arrive donc à ma conclusion (ouf!). Quand il s’agit des personnes, les ranger sur une ligne allant de la droite vers la gauche fausse trop la réalité pour être réellement pertinent. La pensée politique n’est pas en deux dimensions, mais en beaucoup plus. On retrouve parfois un classement des politiques placés sur un plan et non une droite, avec un axe portant sur l’économie (en gros, selon le poids qu’ils veulent voir jouer par la puissance publique), l’autre sur les questions de sociétés (en gros, selon qu’il soit plus ou moins conservateur). Dans une telle représentation le positionnement particulier de Marine Le Pen apparaît clairement, puisqu’elle est beaucoup « à gauche » qu’un Laurent Wauquiez sur les questions économiques, tout en restant la plus « à droite » sur les questions de sociétés. Deux dimensions, c’est déjà mieux qu’une, mais on pourrait en trouver encore bien d’autres (j’ai notamment cité l’Europe et l’écologie). D’ailleurs, les multiplier n’empêcherait pas de les représenter sur un plan en effectuant une Analyse en Composantes Principales (ACP)… Ok, j’en vois qui commencent à se demander de quoi je parle. C’était juste pour me dire que j’aurais cité au moins une fois dans ma vie ce truc que tous les élèves de deuxième année à l’Agro ont l’occasion de pratiquer.

Au fond, est-ce si grave de déformer la réalité pour placer tout ce beau monde sur cette fameuse ligne ? De mon point de vue, oui, cela constitue un problème d’autant plus important que le monde se complexifie. Cela enferme la vie politique en une guerre de tranchées entre deux camps. Chaque camp est obligé de faire bloc pour accéder au pouvoir, mariant la carpe et le lapin, ce qui aboutit soit à l’absence de débat interne au camp vainqueur soumis à un chef, soit à l’explosion en vol de la majorité une fois arrivée au pouvoir. Notre pays est particulièrement caricatural en la matière et il est impossible d’imaginer chez nous des coalitions comme peuvent en naître en Allemagne. Notre système politique devrait prendre exemple sur le Parlement Européen où des majorités sont construites sur chaque sujet. Vous pouvez y voter différemment de votre camarade de parti sans passer pour autant pour un traître et sans que cela n’empêche les textes d’être adoptés après discussions et compromis. En France, on assiste à l’inverse au spectacle étonnant de Cécile Duflot saluant Arnaud Montebourg, alors que ce dernier a toujours défendu l’exploitation du gaz de schiste et du nucléaire, tout ça parce qu’ils sont placés plus « à gauche » que le gouvernement actuel sur cette fameuse ligne, alors que leurs pensées globales, qui sont bien deux pensées de gauche, sont en fait très éloignées l’un de l’autre sur bien des questions (européennes également par exemple).

Je ne suis pas convaincu que le système politique ne pourra pas survivre longtemps à cette dichotomie qui enferme le débat politique dans la caricature. Les problèmes auxquels font face notre société et notre planète valent mieux que ces guerres entre personnes au nom d’un positionnement qui est au fond très artificiel. Quand les difficultés de nos concitoyens sont-elles bien réelles.

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