Lorsque l’on parle politique, il y a quelques arguments supposés massue, qui reviennent un peu trop souvent pour être aussi imparable qu’ils devraient l’être dans la bouche de votre interlocuteur. Si vous parlez à quelqu’un dont le cœur penche plutôt à droite (ça m’arrive… rarement, mais ça m’arrive…), il va très certainement finir par vous sortir une comparaison avec l’Allemagne (ou la Grande-Bretagne s’il est vraiment libéral) censée vous couper le sifflet. Si votre interlocuteur est de gauche (ce qui bizarrement entraîne chez moi des engueulades souvent beaucoup plus violentes que dans le cas précédent), si jamais vous avec le malheur d’expliquer qu’une mesure ne se fait pas parce qu’une majorité de nos concitoyens y sont opposés, on vous répondra invariablement « il (ces derniers temps, il désigne généralement François Hollande) n’a qu’à être courageux ! ».
Cette assertion toute faite s’accompagne généralement d’une référence à l’abolition de la peine de mort par François Mitterrand, ou éventuellement le combat victorieux de Simone Veil pour le droit à l’avortement. Il y a peut-être d’autres exemples, mais l’histoire n’en a retenu que deux et aucun de vraiment récent. Etant né en 1979, j’aimerais beaucoup que les événements politiques de 1981 puisse être encore catalogué sous l’adjectif « récent », ça me rajeunirait, mais malheureusement c’est chaque année un peu moins possible. Sans doute y a-t-il une vraie pénurie de courage parmi nous dirigeants depuis lors ! Bon, on pourrait dans le même temps souligner que ce même François Mitterrand est celui qui a fini par retirer sa loi sur l’école quelques années plus tard pour relativiser le courage de l’idole de tous les socialistes, mais en tant que membre du PS, je me ferais fusiller par mes camarades. Je vais donc m’abstenir.
Quand on observe de plus près l’emploi du mot « courage » dans les discussion politiques, on note vite un parallèle troublant avec celui du mot « déni de démocratie ». Ce qui est encore plus troublant, c’est quand une même décision peut être associé à l’un et l’autre de ces deux notions, selon que l’on soit d’accord ou pas avec la décision en débat. Pour faire simple, une décision courageuse est une décision avec laquelle on est d’accord. Un déni de démocratie, c’est quand une décision nous déplaît… Bizarrement, je n’ai jamais entendu aucun opposant au Mariage pour Tous dire que Christiane Taubira était courageuse, ni d’ailleurs un socialiste qualifier ainsi la moindre décision de Nicolas Sarkozy. Par contre, les accusations de déni de démocratie ont plu comme vache qui urine. Et vous pouvez réécrire ces deux dernières phrases en inversant les termes et les personnes et ça marchera toujours aussi bien !
Je sais bien que l’éducation civique n’est pas la matière où nos concitoyens brillent le plus. Cependant, je reste toujours étonné par le fait que beaucoup d’entre eux n’ont pas compris que lorsqu’un élu démocratiquement élu prend une décision, il n’y a pas de déni de démocratie. Il a été élu démocratiquement pour prendre des décisions, il prend des décisions démocratiques. Le pire est quand des électeurs semblent persuadés qu’un élu ne doit obéir qu’à ceux qui ont voté pour lui. Sauf qu’ils oublient qu’un élu représente l’ensemble des citoyens de la collectivité où il siège. Déjà parce que le vote étant secret, on ne sait pas qui vote pour qui. Et encore plus avec l’abstention qui fait que rares sont les élus réellement élus par une majorité de citoyens.
Il est amusant (ou pas) de constater que c’est surtout le manque de courage qui est souligné, beaucoup plus rarement le courage. Parce que quand une décision est prise et qu’elle va dans le sens qu’ils souhaitent, la plupart de nos concitoyens la trouve juste normale. Puisqu’on est d’accord avec elle, c’est qu’elle efficace, pertinente, pleine de bon sens, il est donc logique qu’elle soit adoptée. Par contre, quande la décision déplaît… Vous pourrez être courageux dix fois, vingt fois, cent fois, au mieux serez-vous jugé compétent. Par contre, gare à vous si un jour vous avez le malheur de ne plus suivre le bon mouvement, vous passerez alors pour un pleutre ayant cédé devant une coalition de lobbies infâmes.
Le courage en politique fait partie de ces notions qui se sont largement vidées de leur sens pour ne devenir qu’un qualificatif commode pour masquer le manque d’arguments pertinents. François Hollande manque peut-être de courage en n’ayant jamais saisi le Congrès pour accorder à l’essemble des étrangers le droit de vote aux élections locales. Mais François Hollande est courageux de ne pas céder face à la pression de son propre camps pour éviter un vote qui n’aurait jamais rassemblé la majorité des deux-tiers nécessaires. Car cet échec programmé donnerait du plomb dans l’aile à cette cause pour au moins une bonne décennie.
Je fais partie de ceux qui auraient préféré qu’il tente tout de même de faire modifier la Constitution dans ce sens. La symbolique forte de cette démarche aurait eu des bénéfices non négligeables en termes de dynamique et d’image. Simplement, cela démontre juste chez notre Président un pragmatisme (qui reste quand même une grande qualité) infiniment supérieur à la capacité à donner une dimension symbolique à son action, quite à sacrifier parfois un peu de son efficacité.
Après qu’il soit courageux ou non… Personnellement, en étant simple élu local d’opposition, je me dis qu’il faut de toute façon bien du courage pour être un responsable politique à quelque niveau que ce soit, et quelque soit son bord. Et très certainement un courage immense pour être Président de la République.