LE MONDE EST GRAND, JE SUIS TOUT PETIT

lemondeestgrandPourquoi s’engager en politique ? Pourquoi s’engager tout court d’ailleurs, mais puisque je vais vous livrer là une réflexion toute personnelle, je vous livre cette question existentielle telle que je me la pose. Mais mon propos pourra largement s’appliquer à d’autres formes d’engagement. Un tel acte est forcément mû à des degrés divers par une volonté de changer le monde. Voilà un beau lieu commun, mais je n’ai pas trouver meilleure formulation pour résumer ce qui habite à peu près tous les militants que j’ai pu croiser dans ma vie. Ceci n’empêchant pas le fait que chacun d’eux propose une définition très personnelle de ce que ce que peut bien être ce changement désiré.

Après l’enthousiasme des débuts, le militant va vite s’apercevoir que le monde évolue en se foutant largement des actions qu’il peut mener. Déjà parce que le monde ne peut se résumer à une seule et même cause. La politique est censée être le domaine voué à embrasser toutes les causes et traiter tous les sujets. Cependant, nos vies, nos comportements, nos choix individuels façonnent notre monde peut-être infiniment plus que les lois et les règlements, finalité de l’action politique. Et heureusement, j’ai envie de dire. Mais dans une optique purement militante, cela ne condamne-t-il pas toute action à l’impuissance ?

Cette année 2015 fut malheureusement particulièrement propice à ce blues du militant de terrain (je trouve ça plus sympa que « de base »). Commencée avec Charlie, elle se poursuit dans un flot de migrants et se terminera avec une grande messe consacrée au réchauffement climatique. Autant de problèmes géopolitiques qui semblent rattraper notre réalité quotidienne, mais dont l’ampleur nous dépasse largement. Autant de sujets de révolte qui nourrissent le feu militant en chacun de nous, mais qui peut aussi nous plonger dans une abîme de découragement. Les réponses apportées par en haut semblent toujours loin de l’importance des enjeux et l’action de terrain ne peut apporter qu’une réponse insatisfaisante.

Cette impuissance conduit également parfois à une forme de culpabilité. En effet, le militantisme rend particulièrement attentif aux discours dénonçant l’inaction ou l’inefficacité face à ces problèmes. Ces reproches s’adressent avant tout aux « puissants », mais se faire interpeller directement sur un marché fait partie du lot de tout militant politique un tant soit peu actif. Du coup, on se sent parfois un peu complice, comme s’il l’on servait d’alibi à tous ceux qui du haut de leur tour d’ivoire complote pour leur propre intérêt, au détriment de l’intérêt général.

Du coup, il est tentant de renoncer tout simplement. Car si, individuellement, notre action n’a qu’un effet ridiculement négligeable, notre défection ne changera pas non plus la face du monde. J’y gagnerais des heures plus agréablement passées qu’en réunions un peu vaines ou en tractages dans le froid face à une foule totalement indifférente. J’y gagnerais le droit de critiquer tant qu’on voudra, sans jamais avoir à défendre une position commune qui n’est pas tout à fait celle qu’on aurait adopté. J’y gagnerais le droit de ne pas être cohérent, pragmatique, mesuré. Bref une tranquillité d’esprit soudaine. Le monde continuerait à aller toujours aussi mal, mais au moins je ne me sentirais plus coupable, responsable ou complice de quoi que ce soit.

Pourquoi continuer alors ? Pourquoi continuer à faire partie d’un système dont je mesure toujours un peu plus les travers parfois insupportables ? Pourquoi dépenser autant de temps et d’énergie dans des combats électoraux dont l’impact sur la marche du monde est au fond minime, si ce n’est pour ceux qui y gagneront un mandat ? 2015 aura été l’année où je me serai posé le plus cette question. Pour beaucoup de raisons, tenant aussi bien du contexte international, que de la politique purement nationale et de ma vie personnelle. Pourtant, je suis encore là et j’ai encore finalement l’intention d’y rester.

Déjà parce que l’impression que tout va mal, que rien ne change, que personne ne peut rien pour rien ne résiste pas à une analyse objective et sereine. Notre culture de l’immédiateté nous fait oublier que le si les crises sont souvent violentes et soudaines, les solutions se construisent dans la durée. Il y a une différence fondamentale entre critiquer une politique parce qu’elle va dans le mauvais sens et la critiquer parce qu’elle ne va pas assez vite ou pas assez loin. Mais le citoyen se comporte de plus en plus comme un consommateur ne supportant pas que l’action collective ne se plie pas à ses exigences. J’ai été frappé de lire un article il y a quelques jours sur l’augmentation trop lente du nombre de professeurs en primaire. Frappé par l’agressivité, le manichéisme des propos rapportés. Cela tient sûrement en partie d’un certain travers du style journalistique, mais il y a quand même une différence abyssale entre ce gouvernement qui augmente le nombre de postes, même si cette augmentation se heurte à des contraintes budgétaires et techniques (postes ouverts mais non pourvus faute de candidats, formation initiale rétablie, ce que tout le monde souhaitait, mais qui mécaniquement décale le temps entre le recrutement et l’arrivée des nouveaux professeurs devant les classes…) et le précédent qui supprimait des postes. Mais rien dans le texte, les citations ne semblaient vouloir faire cette distinction, faire preuve de mesure. C’est blanc ou c’est noir ! Et comme cela ne va pas assez vite, c’est noir !

C’est un exemple parmi tant d’autres, à notre petite échelle hexagonale qui plus est. 2015 ne fut pas marqué que par des catastrophes. On ne s’est malheureusement pas trop attardé sur l’accord signé par 62 pays pour lutter contre l’évasion fiscale, événement historique. Là encore, on peut sombrer dans le « ça ne va passez loin », mais il n’empêche qu’il s’agit d’un progrès sans précédent dans un domaine où la coopération internationale à cette échelle n’existait pas. 2015 fut l’année où l’ONU s’est dotée de nouveaux objectifs de développement. On pourrait n’y voir que de la poudre aux yeux, mais ce fut aussi l’occasion de faire le bilan des objectifs du millénaires fixés en 2000 pour constater que beaucoup ont été atteints, certains largement dépassés même. Pas tous certes, on aurait pu encore faire mieux, mais des gens se sont battus pour obtenir ces résultats et leur combat n’a pas été vain.

Bien sûr, en tant que militant socialiste viroflaysien, je peux difficilement mettre à mon crédit la moindre de ces avancées. Mais il y a là des raisons de ne pas désespérer. Elu d’opposition, mon bilan est de toute façon limité. Cependant, j’ai aussi des raisons d’être fier. D’avoir dirigé une campagne des départementales où nous aurons privé le Front National d’une deuxième tour sur notre canton. De voir notre travail de fond sur l’accessibilité porter ses fruits et obliger la majorité municipale à bouger. Ce travail, ce ne fut pas de nous contenter de pousser des cris d’indignation sur Facebook, mais a nécessité un travail d’appropriation des textes de lois, de l’ensemble des enjeux que recouvre ce problème plus large que l’on imagine, un travail de recherche sur les solutions apportées dans d’autres communes. Tout cela pour bâtir des argumentaires assez solides pour être irréfutables. Bien sûr, on reste loin d’avoir apporté une solution à tous les problèmes qui se posent dans ce domaine dans notre commune. On peut même dire que l’on n’a même pas encore commencé. Mais les quelques remerciements reçus par des personnes qui souffrent de handicap juste pour en avoir parlé redonnent une motivation qui pourrait s’éteindre par ailleurs.

Pour finir, je voudrais aussi dire que si je continue à être militant politique, c’est aussi parce que je connais la valeur de ceux qui partagent ce combat. Et pas forcément que dans mon camp d’ailleurs. Certes, le jeu politique fait que l’on offre trop souvent un spectacle navrant. Je suis désespéré en constatant que l’immense majorité de la parole politique rapportée dans les médias consistent à entendre un acteur politique dire du mal d’un autre acteur politique ou de ce qu’il propose. Personnellement, je conçois l’action politique comme un combat pour défendre des idées, des valeurs, pas pour attaquer qui ou quoi que ce soit.

Si je militerai dans les semaines à venir pour la liste socialiste pour les élections régionales dans les Yvelines, c’est aussi parce que je connais chacun de ceux qui la composeront. Certes, pour certains, je pourrais facilement mettre en avant certains reproches que je pourrais formuler à leur encontre. Mais je sais surtout que tous ont choisi la voie de l’action face à l’indifférence, en politique, mais aussi souvent en parallèle dans des engagement associatifs. J’ai été profondément marqué de voir à l’occasion du dernier forum des associations ou lors de la récente réunion sur l’accueil des migrants à Viroflay combien ma génération est tout simplement absente. Pas simplement du combat politique, mais de toute forme d’engagement ou de solidarité. Alors il n’est pas question d’abandonner moi aussi et d’abandonner ceux qui ont fait le choix de l’engagement, combien même cela ne fait pas d’eux des anges ou des êtres parfaitement vertueux et capables de trouver une solution à tous les problèmes qu’ils affrontent.

Oui ce combat, comme les autres, ne changera pas radicalement la face du monde. Mais je sais que si je ne le mène pas, d’autres s’en chargeront, mais pas forcément dans le sens que je souhaiterais. Et cette fois-ci, c’est une culpabilité que je ne suis pas prêt à assumer.

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