LA GUERRE EN FACE

13novembreLors du dernier Congrès du Parti Socialiste, nous avons eu l’occasion d’écouter Asya Abdullah, commandante des forces kurdes à Kobane nous parler du combat qu’elle et ses hommes mènent face à Daech. Un combat fait d’armes, de tirs, de positions, d’assauts, de sièges, de ligne de front, de blessures, de mutilations et bien sûr de morts. Bref, elle nous parlait d’une guerre, de la guerre telle qu’elle se pratique depuis toujours, de la guerre abomination ultime du comportement humain.

Dans la salle, le silence était respectueux, les cœurs serrés. Son discours a pris l’auditoire aux tripes. Et les applaudissements furent le signe d’une profonde émotion, d’un respect infini pour ce courage et les souffrances subies. Au milieu de nos histoires de motion et de CSG, cette intervention a constitué un retour à une réalité dont nos débats politiques au ras de la moquette semble bien éloignés. Une manière brutale de relativiser, emplie de larmes et de sang.

Mais dans nos applaudissements, il y avait aussi une forme de soulagement. Nous étions heureux de voir qu’il y avait des gens pour mener ce combat, combat au vrai sens du terme. De vivre cette guerre, cette horreur quotidienne dont notre société semblait à jamais protégée. Dans nos applaudissements, il y avait aussi un espoir. L’espoir que ce courage suffirait à détruire Daech, qu’il nous protégerait de lui, qu’il nous protégerait à jamais de la guerre. Pas de celle que l’on vit à travers son écran de télévision, dans des images venus de territoires lointains. Mais celle qui marque dans la chair.

Cette réalité là nous a rattrapés de manière brutale et dramatique. Notre pays, notre nation est en guerre. Elle l’a été et l’est toujours au Mali, où des soldats français sont morts. Elle l’est en Syrie et en Irak, même si ce n’est qu’au travers de moyens aériens. Tout cela pouvait nous paraître loin, ne concerner que quelques professionnels. Mais non, cela nous concerne tous, cela fait de nous tous, citoyens français, les acteurs d’un conflit qui nous semblait jusqu’à vendredi totalement étranger à notre réalité quotidienne et concrète.

On peut débattre longtemps de l’historique qui nous a conduit à cette situation. De la pertinence des choix que notre pays et d’autres pays occidentaux ont pu faire ces dernières années. De notre incapacité à régler certains problèmes au sein de notre propre société qui crée un terreau propice au basculement d’esprits fragiles. Il y a dans ce domaine autant d’analyses qu’il y a d’analystes, tant les choses sont complexes, les dimensions superposées et les causes et conséquences multiples. J’essaye tant faire se peut de ne pas dépasser mon domaine de compétences dans ces pages, alors je n’ajouterai pas ma pierre à l’empilement des explications, même si j’ai évidemment mon opinion sur le sujet.

Je ne m’improviserai pas non plus en spécialiste de la géopolitique et de la tactique politico-militaire. Il est clair que nous sommes engagés dans un cercle vicieux que nous avons très certainement contribué à engendrer. Arriver en croisés, penser tout régler de manière unilatérale, ou même avec l’aide de quelques alliés occidentaux, à coup de bombes et d’une intervention militaire au sol constituerait très certainement une erreur funeste qui renforcerait encore le cercle. Mais que faire alors ? Je n’ai certainement pas la prétention d’avoir la réponse.

Simplement, j’entends parler dans beaucoup de discours prononcés depuis vendredi d’une guerre contre le terrorisme, radicalement différente de la guerre telle que l’on se l’imagine habituellement. Certes, cette dimension appelle des réponses d’une toute autre nature. Cependant, ce n’est pas de ça dont nous avait parlé Asya Abdullah au mois de juin. Ce qu’elle vit, c’est bien une guerre au sens premier du terme, avec en face d’elle une armée ennemie au service d’une structure qui se veut un état, qui a une capitale, contrôle un territoire, lève des impôts et a un chef. C’est aussi cette guerre là qui nous a rattrapé vendredi. Une guerre dont nous faisons déjà parti et dont on ne peut nier l’existence.

Si je ne sais comment y mettre fin, ce que je sais, ce que je mesure encore plus fortement depuis vendredi soir, c’est la chance incroyable, historique, que j’ai, moi, Français, né en 1979. Pour moi, la guerre, celle qui blesse, tue et fait couler le sang dans ma propre ville reste un concept si étranger, si inconcevable qu’il représente une horreur absolue quand il se manifeste. Peut-être qu’aujourd’hui, c’est une faiblesse, que cela me rend vulnérable, que cela fait de moi une cible facile. Mais cela n’est rien comparé à la bénédiction offerte par la paix que mon pays, sur son sol, connaît depuis 1945.

Alors que cette horreur ne nous fasse jamais renoncer à tout ce qui a contribué à cette paix. A la démocratie, à la volonté de vivre dans une société ouverte, tolérante, qui soutient les plus fragiles. Que les travers de nos institutions nationales et européennes ne nous fassent pas oublier qu’il n’existe aucun autre modèle apportant la paix et la sécurité. Qu’aucun pouvoir fort et autoritaire ne permet l’épanouissement des citoyens. Que si notre liberté est autant haïe par certains, si elle est attaquée, c’est parce qu’elle est notre force, pas notre faiblesse ! Que protéger la fraternité et le vivre ensemble n’est pas de l’angélisme mais un combat difficile et exigeant. Que la violence est souvent l’expression de la lâcheté et non du courage !

Mais souvent n’est pas toujours…

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