A QUOI SERVENT LES PARTIS POLITIQUES ?

partispolitiquesMilitant du Parti Socialiste, j’ai ces derniers jours assisté à plusieurs réunions où nous avons débattu de la déchéance de nationalité. Au milieu des discussions est apparue à plusieurs reprises cette question : à quoi sert le Parti Socialiste ? Ou, du point de vue du militant, à quoi servons-nous ? Une question fondamentale revenant de plus en plus souvent, indépendamment du contexte particulier que nous connaissons actuellement. Il est vrai que la question se pose avec plus de force pour le parti au pouvoir, mais elle dépasse largement le simple PS.

Le rôle et le fonctionnement des partis politiques n’ont guère évolué ces dernières décennies, en tout cas infiniment moins vite que la société. Leur image est brouillée et la défiance dont ils font tous l’objet est délétère pour notre démocratie. Mais alors que faire ? Quel nouveau modèle inventer ?

A mon sens, il faut partir de la réalité telle qu’elle est, pas telle qu’on souhaiterait qu’elle soit. Les responsables politiques ont désormais un rapport direct avec l’opinion. A la moindre annonce, au moindre événement, ils peuvent faire connaître leur opinion immédiatement via les réseaux sociaux. Du coup, cela a-t-il encore un sens de parler de position officielle d’un parti quand elle est forcément contredite par une partie de ses membres avant même qu’elle ne soit déterminée ? Ceux dont l’opinion est minoritaire ne vont pas soudainement changer d’avis, ni même se taire. On peut alors rechercher l’unanimité, mais il faut pour cela se rapprocher d’un plus petit dominateur commun, dont la médiocrité intellectuelle n’est plus à prouver. Un parti politique est un lieu où tout le monde n’est pas d’accord sur tout, ou face à un même problème plusieurs solutions sont proposées, acceptons-le.

Le vrai débat d’idée existe encore, bien plus que ne le croit l’opinion. Simplement, il n’a lieu que rarement dans les partis politiques à proprement parler, mais plutôt dans leurs satellites. Du think tank institutionnalisé comme Terra Nova ou la Fondation Jean Jaurès au collectif de simples militants, comme Inventons Demain ou Bouger les Lignes, ces lieux de réflexion, de travail, de recherche de solutions concrètes et innovantes sont nombreux et variés. Malheureusement, le fruit de leurs réflexions est trop peu diffusé, y compris auprès des militants des partis dont ils sont proches.

Ces entités présentent bien des avantages. Par leur diversité, ils peuvent impliquer de multiples façons ceux qui souhaitent participer à un travail de réflexion. Par leur éloignement des enjeux électoraux et de pouvoir, ils peuvent plus facilement associer des experts souhaitant apporter leur éclairage, sans forcément prendre parti. Ils constituent déjà une véritable richesse intellectuelle, mais qui ne demanderait qu’à croître encore s’ils étaient universellement reconnus comme les lieux de la réflexion politique. Ils sont en tout cas infiniment plus efficaces que tous les travaux collectifs à l’échelle du PS, où chaque section est appelée à amender un texte déjà limité par le subtil équilibre politique dont il est né et qui ne pourra plus être modifié qu’à le marge. Ils sont ainsi plus à même de proposer enfin des idées nouvelles, de libérer l’imagination dont la réflexion politique a cruellement besoin.

Mais on revient alors à la première question. S’il n’est plus le lieu de la réflexion, ce qu’il devrait être avant tout dans un monde idéal qui n’existe pas (ou plus), alors à quoi sert un parti politique ? Il doit rester celui de l’action ! Tout militant sait bien que les élections s’enchaînent à un rythme assez rapide pour que leur préparation accapare déjà une large part de l’énergie et du temps. On reproche souvent aux partis politiques de n’être plus que des machines électorales… et bien assumons-le ! Les campagnes électorales restent tout de même le moment le plus fort de la vie politique. Avoir des structures dédiées à cette seule tâche se justifie déjà amplement.

L’action politique ne se limite cependant pas aux seules campagnes électorales. En tant qu’élu municipal d’opposition, je m’efforce, avec tous ceux qui partagent mes convictions, de faire connaître nos positions sur les enjeux locaux. Mais nous avons également mené des campagnes de communication sur l’accessibilité. Dans le but de faire évoluer l’action de majorité municipale, mais aussi pour sensibiliser la population. Ce travail a fait collaborer des personnes qui ne partagent pas la même opinion sur la politique gouvernementale actuelle. Cela ne nous a pas empêché d’être, dans l’action militante, ensemble et unis. Et il existe bien d’autres sujets ou problématiques aptes à rassembler.

Séparer l’action de la réflexion présente aussi de mon point de vue un immense avantage. Les congrès du PS se focalisent uniquement sur les points de clivage, aussi minimes ou artificielles soient-ils. Du coup, les aspects organisationnels, la qualité des outils de mobilisation, de communication sont les parents pauvres de ces moments de débats et de démocratie internes. Ainsi, la vie militante au sein du PS, mais aussi ailleurs, se résume encore beaucoup au triptyque tractage, collage, réunions… Des modes d’expression largement obsolètes et cette obsolescence contribue au fossé qui se creuse entre les acteurs politiques, quel que soit leur niveau, et le reste de la population, en particulier les plus jeunes. Il est donc urgent de développer des outils de mobilisation innovants, des vecteurs de communication inédits qui ne peuvent se résumer à Facebook et à Twitter. Faire de ces questions l’enjeu principal des élections internes du parti, juger les candidats aux responsabilité sur leurs compétences en la matière, et non leur simple positionnement idéologique, permettraient de faire enfin rentrer l’action politique pleinement dans les XXIème siècle.

Reste la question de la ligne politique qui guidera l’action des futurs élus. Depuis mon adhésion, j’ai toujours toujours combattu l’idée encore très répandue au PS, qu’il fallait d’abord définir le programme puis choisir celui ou celle qui allait le porter. Cela me semble absurde et il m’apparaît infiniment plus logique de choisir en une fois le ou la candidat(e) sur le programme qu’il propose. D’ailleurs dans les faits, c’est exactement ce qui se passe déjà. Pour toutes les élections, des primaires au périmètre à définir, organisées par les militants du parti, doivent permettre de choisir aussi bien les personnes que les lignes politiques qu’elles porteront. En cas de renouvellement de mandat ou de candidat unique, le programme porté par le candidat devra être validé par référendum, non pas globalement, mais divisé en grandes orientations afin de permettre une vraie discussion et sortir du tout ou rien. Des outils numériques, comme ceux développés par le site Parlement & Citoyens, permettent facilement d’organiser une consultation très fine, avec droit d’amendement, sur chaque point d’un programme.

Il ne s’agit pas ici de minimiser la valeur du débat. Cependant, comme un débat se focalise naturellement vers les différences, aussi petites soient-elles, le voir occuper tout l’espace médiatique donne une image totalement déformée de la réflexion politique. De plus, les idées novatrices doivent avoir le temps de s’affiner, de se consolider avant de se confronter à des idées plus conservatrices déjà bien ancrées dans les esprits. Il leur faut donc des espaces où elles pourront naître et mûrir, ce que ne permet pas un parti politique supposé n’avoir qu’une seule ligne. Il faut donc passer d’un état de débat permanent à un état de réflexions (au pluriel) permanentes, réflexions qui se confronteront à l’occasion de moments forts de débat, comme des primaires. Par ailleurs, rien n’empêche des débats dans le cadre de l’action militante entre deux élections. Simplement, dans ce cas, il faut sortir de l’idée qu’il doit en ressortir une position commune ou majoritaire.

Séparer action et réflexion permettra également de surmonter quelque peu les dilemmes qui surviennent quand le parti participe à un gouvernement ou à tout autre exécutif. Cela permettra à des réflexions critiques ou des politiques alternatives d’être élaborées sans que cela n’interfère avec une action de terrain qui assurera la promotion des éléments les plus fédérateurs, comme l’aurait pu être la généralisation du tiers payant par exemple. Cette dernière n’a fait l’objet d’aucune mobilisation militante alors qu’elle était fortement attaquée par des lobbies, tandis que les membres du parti débattaient à l’infini sur l’efficacité d’un CICE qui n’avait même pas eu le temps d’être pleinement mis en place. Pour les élus en place, la diversité et la profondeur de réflexions plurielles doivent pouvoir inspirer des politiques plus innovantes que celles s’inspirant de positions issues d’improbables synthèses ou compromis au sein du parti.

Cette séparation entre action et réflexion permettra à tous ceux qui veulent s’engager politiquement de trouver leur place. Tout le monde n’a pas envie de distribuer des tracts sur les marchés, mais peut avoir envie de mettre ses compétences et son expérience pour trouver des solutions aux problèmes qui lui tiennent à cœur. Tout le monde n’a pas envie de discuter pendant des heures et des heures sur l’opportunité de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, mais peut avoir envie d’aller au contact de ses concitoyens pour défendre des valeurs. Et ceux qui souhaitent faire les deux pourront s’investir dans les deux types de structure qui auront chacune gagné en efficacité puisque leurs rôles auront été clairement défini.

Toutes ces considérations ne constituent que l’ébauche d’une réflexion. Elle doit évidemment être poursuivie. Podemos constitue par exemple un autre modèle. Mais je connais beaucoup de gens déçus par les tentatives de faire de la politique autrement, au Modem ou à Nouvelle Donne. Les rivalités de personnes finissent toujours par ressortir, l’être humain étant ce qu’il est. Ce que je propose ne correspond pas à mon idéal mais de ce qui me semble le plus proche d’une réalité qui s’impose à nous et qu’il est nécessaire de positiver. Elle ne constitue pas une révolution. Mais la défiance envers les partis politiques ne vient pas tant de ce qu’ils sont, mais du décalage entre ce qu’ils sont et ce qu’ils prétendent être. Réduire ce décalage est indispensable à une confiance restaurée. Il y a urgence car les partis politiques sont des structures moribondes et dont on peut même prévoir la disparition. Mais sans eux, comment imaginer la démocratie ?

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