Il est temps de reprendre la rédaction de ce billet entamé il y a plusieurs mois déjà, avant l’été, et que j’ai laissé en plan comme beaucoup de choses suite à mon déménagement et les mois d’adaptation qui ont suivi. Ma vie reprenant doucement un cours normal, je vais poursuivre ma réflexion sur la démocratie, toujours d’actualité en cette période de primaires.
Dans la première partie, j’avais abordé différents modes de scrutin qui pourrait permettre de choisir démocratiquement un chiffre entre 1 et 5. En effet, la démocratie est aujourd’hui relativement incapable de répondre à ce type de question en dehors du choix d’un candidat. La démocratie sait sans problème de choisir la personne qui sera chargée de répondre à une question, mais pas de déterminer la réponse.
Le référendum apparaît comme le seul outil électoral de la démocratie représentative. Or, il souffre de terrible défaut. En réduisant, toute question à un oui-non, il réduit de manière parfois affligeante la pertinence des débats. Il pousse surtout des personnes aux intentions contraires à apporter la même réponse à la question. Qu’il y avait-il de commun, lors du référendum sur la Constitution Européenne, entre le non europhobe d’extrême-droite et un non souvent de gauche qui reprochait au texte de trop limiter le projet européen à sa dimension économique ?
La démocratie représentative a donc été imaginée pour permettre d’éviter de trancher par un vote solennel toutes les questions. Certes, on vote bien à l’Assemblée Nationale, mais cela se juxtapose avec des procédures plus complexes de droit d’amendement et de vote par article. Ce système a fait ses preuves, mais n’est pas exempt de défaut… En effet, le clivage binaire entre gauche et droite appelle encore et toujours à tout ramener à une conception manichéenne des choix finalement faits. Cela aboutit au spectacle étonnant de lois dont les articles ont été votés à la majorité, parce qu’une large part des parlementaires approuvent globalement le contenu, se voir risquer un refus global pour des raisons uniquement politiciennes.
Il y aujourd’hui une large aspiration à une démocratie plus directe. Les citoyens souhaitent être associés plus directement à des décisions dont ils se sentent aujourd’hui totalement exclus. Je n’ai pas vocation ici à expliquer le pourquoi, ni même juger d’un sentiment que je ne partage pas vraiment à titre personnel. Il est fort et a des conséquences de plus en plus lourdes, il s’agit donc bien d’y apporter une réponse.
La Suisse et son système de votations particulièrement fréquentes constituent peut-être un exemple à suivre. Le référendum souffre peut-être de beaucoup de défauts aussi parce qu’il n’est pas assez souvent utilisé et il perdrait son côté défouloir s’il devenait plus fréquent. Peut-être. Mais je maintiens que ramener des problèmes complexes à des questions binaires pose un grave problème en soi de simplification outrancière du débat. Il ne permet surtout pas de connaître ce que veulent vraiment les partisans du non. Veulent-il plus, moins ou autre chose ?
Alors prenons le pari d’organiser un vote qui ne soit pas binaire ! Utilisons un des modes de scrutin que j’ai évoqué dans la première partie et voyons ce que ça pourrait donner à grand échelle.
Le plus simple revient à simplement imaginer une élection où on remplacerait les personnes par des propositions. Si on revient à l’exemple du vote sur la Constitution Européenne, on aurait pu imaginer un grand vote à l’échelle européenne où plusieurs textes auraient été proposés. Il y a bien sûr des contextes plus nationaux ou plus locaux où ce genre de processus serait plus facile à organiser. Comme pour l’élection présidentielle en France, on pourrait imaginer un système de tri au préalable des propositions. Pour être proposées aux électeurs, elles devraient recevoir un certain nombre de soutiens d’élus ou même de simples citoyens, même si ce dernier cas, idéal, pose des problèmes d’organisation. Suffit alors de proposer ensuite un mode de scrutin pour départager les propositions comme pour n’importe quel vote pour désigner un élu.
Cela paraît tellement simple, que l’on s’étonne que cela n’ait jamais été vraiment proposé à grande échelle. Simplement, il ne faut pas non plus être naïf, le principe n’est pas sans défaut. Il peut vite se ramener à un affrontement entre deux blocs et pas sûr que cela permette une démocratie apaisée dans laquelle tout le monde se retrouve. La tyrannie des 51% de votants qui feront adoptés un texte ou une loi restera totale et pourra être mal vécue par la majorité (les 49% qui ont fait un choix différent, plus les votes blancs et les abstentionnistes).
On pourrait imaginer minorer quelque peu cet inconvénient en utilisant comme mode de scrutin un vote où on élimine à chaque tour la proposition ayant reçu le moins de voix. Certes, cela pourrait rallonger considérablement les procédures de vote mais pour un texte important, comme une nouvelle Constitution, cela pourrait valoir le coup. Par contre, il faudrait prévoir la possibilité de fusion des propositions à travers des compromis entre deux tours. Cela pourrait permettre aux différentes propositions de s’enrichir mutuellement. Cependant, on peut imaginer qu’une partie des supporters de la proposition de départ soit mécontents de ces arrangements qui reviendrait à un jeu politicien classique que les citoyens ne supportent plus.
Reste alors les modes de scrutin type « médiane » ou « moyenne ». Cela pose évidemment plusieurs contraintes puisqu’ils ne fonctionnent qu’avec des propositions quantifiables et tout ne peut pas s’y réduire. Mais on pourrait imaginer tout de même trancher des propositions aussi complexes que le poids relatifs de chaque secteur dans un budget par ce biais là. En théorie, cela aurait l’avantage de permettre de vraiment dégager une « synthèse » de l’ensemble des opinions où chaque vote pèserait autant qu’un autre dans l’élaboration du résultat.
Cependant, là encore, cela n’a rien d’une solution idéale et sans défaut. En effet, cela interdirait toute politique un peu audacieuse. La tyrannie des 51% deviendrait la théorie du « milieu », qui est peut-être préférable, mais certainement pas dans tous les cas. De plus, cela pousserait facilement le citoyen à des raisonnements qui le pousseraient à fausser son propre vote. Si j’en reviens à mon exemple du chiffre entre 1 et 5, si les sondages annoncent que le résultat sera proche de 2 et que je souhaite 3, je vais voter 5 pour décaler au maximum le 2 vers le 3. La tyrannie du « vote utile » en viendrait donc à fausser le résultat.
De tout cela, on ne peut conclure qu’une chose. Il n’existe sûrement pas de solution miracle et sans défaut. Mais une chose est au contraire certaine, notre démocratie manque parfois d’imagination quant aux procédures qu’elle utilise. Les exemples que j’ai balayés ne sont qu’une infime partie de ce qu’imaginent beaucoup d’esprits fertiles qui proposent régulièrement bien d’autres innovations démocratiques en termes de mode de scrutin. Il serait bon d’en essayer certains à grande échelle. Quelques initiatives pointent doucement leur nez comme le budget participatif d’Anne Hidalgo. Espérons que l’exemple soit assez concluant pour en inspirer d’autres !