TOUT CA POUR CA : 10 ANS DE MILITANTISME AU PS : EPISODE 5 : La bataille de Reims

episode5Dans un congrès du Parti Socialiste, après le temps des contributions, voici venu celui des motions. C’est à dire les textes sur lesquels les militants sont invités à voter pour déterminer la « ligne » politique majoritaire. De 21 textes, on passe à 6. Les grandes manœuvres ont eu lieu, les groupes ont fusionné. En dehors de deux motions plus anecdotiques, quatre grandes forces se retrouvent au travers des quatre premiers signataires : Bertrand Delanoë, Ségolène Royal, Martine Aubry et un petit jeune… Benoît Hamon, marquant ainsi le passage de témoin avec Henri Emmanuelli.

Pendant l’automne, Betrand Delanoë mène une campagne de futur vainqueur. Son équipe évoque même une majorité absolue dès le premier tour. Elle ne se rend pas compte qu’il n’est pas si populaire que ça en dehors de Paris et que surtout l’entendre discourir ne le sert pas forcément. Son style oratoire et sa gestuelle sont particulièrement agressifs. Personnellement, même si mon choix avait été fait avant cela, l’écouter ne m’a certainement pas incité à changer d’avis.

Le jour du vote arrive… et là surprise, Ségolène Royal est en tête. De peu, mais sa motion est bien arrivée devant celle du Maire de Paris. C’est la panique dans l’establishment socialiste. Ce dernier pensait s’être débarrassé d’elle après sa défaite aux Présidentielles, mais la revoilà grâce à son lien direct avec le militant de base. Il est donc urgent de mobiliser contre elle, malgré sa légitimité démocratique. L’attaquer sur ces idées est compliqué… puisqu’elles sont toujours partagées par au moins une partie de ses adversaires. Et puis ce ne sont pas ses idées qu’il faut abattre, c’est bien elle en tant que personne. Elle qui a eu l’audace d’être là sans passer par des années de cirages de bottes au sein du sérail. Et ça, ils ne lui pardonneront jamais. Alors ils trouvent enfin la petite lorgnette par laquelle ils vont pouvoir se différencier tous d’elle : sa volonté d’une alliance avec le Modem au niveau national.

Tout le Parti Socialiste se retrouve donc à Reims. Bon pas moi, ne faisant pas encore parti des cadres pouvant bénéficier d’un sésame. Alors je suis ça à la télé. LCP retransmet les débats en direct dans une atmosphère que l’on sent électrique. C’est plus fort que Dallas, le suspense est à son comble, la haine partout. Je me souviens très bien de l’intervention de Laurent Fabius. Lui qui quelques semaines auparavant signait une contribution brillante dont le contenu a déjà été oublié de tous (et sûrement de lui-même) livre un propos introductif consensuel avant d’annoncer qu’il va traiter le sujet qui lui semble essentiel : les alliances donc… Un enjeu essentiel pour l’avenir du monde, vous l’admettrez. Ce petit moment de politique politicienne est tellement révélateur. Non que les acteurs ne soient pas capables de livrer une pensée cohérente, pertinente et intéressante, mais tout ceci s’efface dès que la conquête du pouvoir, quel que soit le niveau, est en jeu.

Puis Ségolène Royal monte à la tribune. La salle fait immédiatement entendre une litanie de sifflets. Chacune de se phrase est ponctuée de réactions agressives de la part du public… mais évidemment aussi d’applaudissements de ses supporters, mais qui sont loin d’être majoritaires dans la salle. Le spectacle est incroyable de violence, une violence orchestrée par tous ceux qui ont peur à ce moment de perdre leur place si jamais elle venait à prendre le contrôle du PS. Une violence haineuse largement reprise par des militants de base qui se prêtent avec enthousiaste à ce jeu morbide. J’avoue qu’à ce moment là, j’étais englouti, fasciné par ce jeu de pouvoir qui est bien réel, pas une fiction comme au cinéma. C’est une mécanique terrible qui peut vous emporter et vous faire perdre tout sens de la mesure et du simple respect de la personne. Et progresser au sein d’une structure comme le PS revient à savoir manier cette mécanique à son propre profit.

Le Congrès s’achève par l’annonce des candidats pour le poste de 1er Secrétaire. Bertrand Delanoë s’il se présente sera à coup sûr élu. Il est le plus légitime pour être l’ « anti-Ségolène Royal » mais vexé de la deuxième place et du score de sa motion, il renonce. Personne ne mesure alors qu’il vient de briser sa propre ascension et modifier profondément l’histoire politique des années qui vont suivre. Du coup, Martine Aubry se dévoue. Elle qui a été élu Maire de Lille en faisant une alliance avec le MODEM, alors qu’elle n’en avait pas besoin. Comprenne qui pourra… Benoît Hamon se présente également, même si on sait bien qu’il finira 3ème et appellera à voter Aubry au 2ème tour.

Le scénario se déroule d’ailleurs sans surprise au soir du premier tour, la fin de la semaine qui suit le Congrès. Mais le lendemain, les médias annoncent en début de soirée la victoire probable de Ségolène Royal. Je suis alors aux Mureaux, au siège de la Fédération du PS des Yvelines. Nous nous prenons alors le chemin de Paris et du QG de campagne de Ségolène Royal pour fêter la victoire. En chemin, l’une d’entre nous reçoit un SMS… Les résultats de la Fédération du Nord tardent à tomber, comme si on les corrigeait pour coiffer Ségolène Royal sur le poteau… Et c’est exactement ce qui arrive. Tricherie ou pas tricherie ? Nul ne le saura jamais, surtout que certains scores des DOM-TOM laisse penser que la pratique était largement partagée.

Le QG de Ségolène Royal est en effervescence. La colère gronde, tout le monde est persuadé que la victoire a été volée. Je suis même interviewé par une chaîne de télé, qui ne retiendra sûrement pas mon témoignage car j’ai bien du mal à donner d’arguments pour étayer mes propos. Manuel Valls, alors fidèle lieutenant de Royal, prend la parole devant les médias pour dénoncer la situation. On imagine mieux avec le recul que ce dernier et Martine Aubry ne sont pas près de s’apprécier.

S’en suivra des semaines de contestations, de menaces de recours. Mais le résultat est là, Martine Aubry est bien 1ère secrétaire du Parti Socialiste. L’image donnée par le PS a été lamentable. Mais ce dernier est alors dans l’opposition d’un pouvoir sarkozyste de plus en plus impopulaire. Alors les divisions vont vite disparaître. Les élections locales vont s’enchaîner et le pouvoir (et les places) va être à prendre. Et rien de mieux pour souder un Parti ! Au moins en façade…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *