J’ai déjà évoqué dans cette chronique l’indifférence profonde du commun des mortels vis-à-vis des enjeux politiques locaux. Je dois nuancer légèrement ce propos. En effet, 8 ans de vie d’élus m’ont amené à assister à de nombreuses réunions publiques. Or, ces dernières m’amènent à corriger légèrement ma sentence initiale. Le commun des mortels est profondément indifférent aux enjeux politiques locaux… à moins qu’il ne soit directement concerné.
Une des preuves les plus éclatantes a été apporté par la première réunion publique à laquelle j’ai assisté en tant qu’élu (en fait la première tout court, parce qu’effectivement, je dois admettre qu’avant de faire activement de la politique, je n’étais pas non plus passionné par ce genre d’événement). Il s’agissait d’une réunion de concertation avec les riverains d’un projet de construction de logements sociaux. Un projet assez particulier il est vrai, situé au fond d’une rue privée très étroite.
Une grande majorité des habitants de la rue était présent. Je n’ai pas compté, mais il est même possible que l’assistance soit plus fourni qu’à notre réunion publique de campagne, à laquelle pourtant tout la ville était conviée et non une seule rue. On pouvait s’imaginer qu’ils soient remontés contre l’installation de « pauvres » au fond de leur rue. A ma bonne surprise, le débat n’a jamais pris cette tournure. Toute la discussion a porté sur une seule et même chose : avec une vingtaine de logement au fond de notre rue, on ne va plus pouvoir se garer ! Bref, je découvrais là l’étonnant phénomène qui pousse toute réunion publique locale à finalement tourner autour d’une seule et même chose, quel que soit le sujet de départ, la bagnole !
A la fin de la réunion, un des participants s’est approché de Philippe, qui avait conduit notre liste aux dernières municipales, qui était dans le même temps candidat pour les élections cantonales, le tout un mois à peine avant la réunion, et suppléant aux législatives moins d’un an avant, dont le visage occupait donc une bonne place sur des affiches ayant décoré les murs de la ville et professions de foi envoyées à chaque électeur. S’étonnant de le voir là, il lui a demandé si ça faisait longtemps qu’il habitait le quartier. Bref, il n’avait aucune idée de qui était Philippe malgré tous nos efforts déployés pendant les différentes campagnes précédentes.
Les « gens » demandent souvent aux politiques de s’attaquer aux problèmes de fond, aux vrais problèmes, de voir à long terme, d’être courageux… On peut donc s’imaginer que les réunions publiques constituent un moment où les « gens » viennent le rappeler à leurs élus. Vous aurez compris qu’il n’en est rien. Mais elles permettent d’assister à quelques spectacles étonnants. L’arrivée du tramway en souterrain sur Viroflay notamment, puisque deux réunions à ce sujet m’ont permis de voir une dame, stéréotype de la bourgeoise versaillaise et présidente de l’association opposée au projet, devenir littéralement hystérique, si bien qu’il a fallu au final lui arracher le micro des mains pour qu’elle achève enfin son propos d’une agressivité hallucinante. Dans une autre, une foule de « gens » comme vous et moi, transformés tout à coup en hydrogéologues de haut niveau, capables de prédire l’effondrement de la ville pour des raisons que la science ne pourrait contester… sauf les vrais hydrogéologues corrompus qui prétendaient le contraire. Evidemment, ce sont ces derniers qui ont eu raison et la ville est toujours debout avec un tramway qui circule avec bonheur dans de son tunnel.
Je suis loin de n’avoir que de l’amitié et sûrement pas d’admiration pour le Maire de mon ancienne commune. Mais je dois avouer que bien des réunions publiques ont provoqué chez moi un élan de sympathie envers lui. Car s’il y avait bien une personne qui essayait tant bien que mal de défendre l’intérêt général dans la salle, même s’il le faisait avec des convictions opposées aux miennes, c’était bien lui, élu et notable. Et sûrement pas les « gens », incapables de défendre autre chose que leur petit intérêt particulier court-termiste.