Lorsque l’on adhère à un parti politique, on s’imagine facilement en train de changer le monde. Voire le sauver pour les plus hardis. On ne sait pas vraiment comment on va s’y prendre mais on est hyper motivé. On découvre vite que le Grand Soir n’est peut-être pas pour demain et qu’il faut revoir ses ambitions à la baisse. En attendant, les militants sont conviés à deux activités centrales dans la vie de l’adhérent PS : le collage et le tractage.
Je dois admettre que j’ai toujours esquivé les séances de collage. Une seule en dix ans, pas de quoi se vanter. Mais il faut dire que nous disposions à la Section de militants chevronnés et motivés par ce genre d’exercice. Tellement motivés d’ailleurs que chaque cession s’étirait en longueur et décourageait toutes les bonnes volontés voulant leur apporter un peu d’aide. En effet, la plupart des militants, moi le premier, ont autre chose à faire entre 23h et 1h du matin, heure traditionnelle des collages, comme par exemple dormir !
Je vais donc vous parler plutôt de l’exercice que j’ai beaucoup pratiqué. Sur les marchés, dans les gares, à des carrefours, dans le froid, le chaud, sous la pluie ou la neige… le tractage donc ! J’ai déjà évoqué ma première fois dont l’approche m’avait beaucoup stressé avant de découvrir que cela se résumait avant tout à surmonter l’indifférence totale des gens qui passent autour de vous pour les convaincre de prendre le bout de papier que vous lui tendez. Certes, je me suis déjà fait traiter de connard à l’occasion d’un tractage, mais on se dit que c’est plus motivant que le vide que vous renvoie l’immense majorité des passants.
Pour tracter, il faut évidemment un tract. En réaliser un est un exercice délicat car il faut savoir allier dans un subtil équilibre la forme et le fond. Donner envie de lire, tout en faisant passer un vrai message. Au PS, on adore produire des tracts et on pourrait penser que cela procure à se parti un talent particulier pour les rendre efficaces et percutants. Ceux qui suivent ce récit et ont déjà compris comment la médiocrité a toujours régné en maître dans les hautes sphères de ce Parti et ne seront pas surpris par l’idée que j’ai eu à distribuer un nombre phénoménal de tracts déplorables sur la forme et sur le fond. Mais un bon petit soldat comme moi s’exécute. Et puis comme de toute façon, personne ne les lit…
Distribuer des tracts représente tout un art. Si vous rester droit comme un piquet le bras près du corps avec un tract dans la main, vous n’allez pas en distribuer beaucoup. Mes camarades les plus expérimentés ont développé diverses techniques pour optimiser leur efficacité. Il y a tout d’abord la technique de la poissonnière, qui consiste à crier haut et fort ce que l’on distribue. « C’est la gauche à Viroflay » par exemple. Dans une ville aussi marquée de l’autre bord, cela ne garantissait pas un taux de distribution optimal, mais au moins cela provoquait un élan de sympathie chez les rares personnes partageant nos convictions. Cependant, estimant que prêcher des convaincus fait partie des travers du militantisme au PS, je n’ai jamais adopté cette technique.
Il y a ensuite la technique du barrage qui consiste à tendre le bras, tract à la main, pour carrément barrer le passage à celui qui vient vers vous. Ce dernier comprend qu’il n’aura la voie libre que s’il saisit le papier. Il s’exécute souvent pour gagner en tranquillité, mais pas sûr qu’il garde un très bon souvenir de cette rencontre. La technique n’est donc pas optimale en termes d’image. Enfin, on peut aussi essayer d’entamer la conversation avec ceux qui passent autour. Une remarque sur le cabas un peu lourd, sur l’indiscipline des enfants ou le temps qu’il fait et une fois le contact établi, zou, on glisse discrètement le tract que la personne n’ose alors plus refuser. Cette technique est tout à fait valable mais demande une énergie folle par tract distribué. Au final, on en distribue moins et pas sûr que ceux qui ont trouvé preneur soit plus lu au final.
Personnellement, j’ai donc développé un technique faisant un peu la synthèse de toutes celles-ci. Le bras décollé du corps mais sans être agressif, une tentative de capter le regard de ceux qui passent pour leur dire simplement « bonjour ». Souvent par politesse, les personnes se sentent alors obligées de prendre votre tract. Pas toujours évidemment. Tracter en apprend d’ailleurs beaucoup sur le comportement moutonnier des gens. Lorsqu’un groupe arrive si le premier prend le tract, vous pouvez être sûr qu’une bonne partie du groupe fera de même, n’osant pas paraître plus impolie que la première personne à être passée. Evidemment, l’inverse est vrai et un refus initial risque fort de provoquer des refus en cascade.
Reste enfin la question fondamentale : est-ce que ça sert à quelque chose ? En termes de lecture, vous l’aurez compris, l’impact est faible. Enfin, il y a une seule exception. Les distributions aux gares aux gens qui vont prendre leur train. Il suffit alors d’observer le nombre de personnes en train de parcourir le tract sur le quai de la gare en attendant leur transport pour voir que dans ces circonstances, oui, vos tracts sont lus. En dehors de ça, le résultat est beaucoup plus aléatoire.
En fait, tracter revient surtout à faire acte de présence auprès de la population. Ne plus le faire n’aura pas de conséquences immédiates, mais d’autres prendront votre place et gagneront en influence auprès de la population. C’est évidemment surtout vrai pour les enjeux locaux, on l’a vu dans mon billet précédent sur les élections européennes, mais ça l’est toujours plus ou moins.
Au cours de mes dix ans de militantisme, j’ai vu apparaître des militants FN venir tracter de manière de plus en plus fréquente et assumée. J’ai vécu des marchés où nous étions seuls face à eux. Ce jour-là, je n’ai surtout pas lâché une seule seconde le meilleur emplacement sur le marché que nous tenions pour être arrivé avant eux et j’ai prolongé l’exercice pour ne pas partir et les laisser seuls. Ce jour-là, j’en ai voulu à toutes ces formations politiques de gauche, enclines à nous faire la leçon, mais qui était comme d’habitude totalement absente. Ce-jour là, j’étais fier d’appartenir au PS et fier d’être là, dans un exercice peut-être futile, mais qui reste encore un outil démocratique de contact avec le terrain que les réseaux sociaux ne pourront jamais totalement remplacer.
Je finirai ce billet par une pensée pas vraiment amicale à cet homme, sympathisant d’extrême-droite connu, qui est venu me parler plus d’une dizaine de fois lors de distributions au marché, me demandant toujours qui nous étions. Un brin facho, mais pas physionomiste. Après ma réponse, il me rétorquait invariablement « ah mais vous savez, je suis profondément anti-socialiste ». Je lui faisais remarquer qu’à force j’étais bien au courant. Nous parlions alors un peu politique et je réalisais combien peut parfois se mêler chez certain une réelle forme d’intelligence et de culture et la plus grande bêtise et la plus profonde ignorance.
Les personnes de ce genre n’hésiteront évidemment pas à saisir le pouvoir si on leur laisse. On ne leur fera évidemment pas barrage en distribuant des tracts. Si cela y contribue, cela vaut bien quelques heures passées à distribuer ces papiers un peu vains en eux-mêmes. Mais c’est souvent le geste et ce qu’il symbolise qui compte.