J’entretiens une relation passionnelle avec le cinéma d’Abdelatif Kechiche. Passionnelle, mais légèrement tumultueuse. Car si le cinéaste français a signé à mon sens avec la Vie d’Adèle un des films les plus extraordinaires de l’histoire du cinéma, récompensé par une des Palmes d’Or les plus mérités, il est également l’auteur de l’Esquive, qui est pour moi peut-être le plus mauvais film jamais récompensé par un César. Et entre les deux, se situe la Graine et le Mulet, dont la première moitié est aussi sans intérêt que la seconde est absolument fantastique. J’avais donc hâte de savoir où se situerait Mektoub, my Love : Canto Uno.
Autant lever le suspense tout de suite, Mektoub, my Love : Canto Uno est un film merveilleux. Commençons pas son seul défaut : il représente ce qu’Abdelatif Kechiche fait de mieux, mais sans rien de vraiment nouveau ou surprenant quand on connaît bien la carrière de ce dernier. Le film n’est donc pas une claque comme a pu l’être la Vie d’Adèle. C’est l’œuvre d’un cinéaste sûr de son génie et qui sait l’utiliser à la perfection. Certes, il ne sort pas de sa zone de confort, mais en a-t-il vraiment besoin quand on maîtrise à ce point l’art de la réalisation.
Mektoub, my Love : Canto Uno, comme tous ses films nous fait rentrer comme aucun autre dans l’intimité des sentiments des personnages. La caméra cadre leurs visages en plans serrés quasiment tout du long. Elle saisit avec une maestria rare les émotions qui les saisissent, même quand ils cherchent à les cacher. Cette proximité entre les protagonistes et les spectateurs donne l’impression à ces derniers de se situer au cœur de chaque scène. De ne pas assister à une représentation, mais de vraiment vivre les événements de l’intérieur.
Mektoub, my Love : Canto Uno est un film au sujet presque anodin, mais qui touchera chacun de nous. Un film sur l’amour, les souffrances, les déceptions, les humiliations familières qu’il fait vivre à chacun de nous. Quiconque a déjà senti son cœur se serrer douloureusement à un moment où il ne faut rien laisser paraître retrouvera toute la force de ces instants à l’écran. Le film est composé de longues scènes d’une banalité ordinaire, mais il nous fait partager les sentiments de son personnage principal avec une telle acuité, qu’elles ressemblent toutes à une épreuve que l’on vit avec la même intensité que lui.
Mektoub, my Love : Canton Uno est aussi un film d’une prodigieuse sensualité. Placé au cœur des événements, le spectateur à l’impression de sentir lui-même le frôlement des peaux que ce soit dans des moments tout ce qu’il y a des plus ordinaires, mais aussi dans des moments de totale intimité entre deux êtres qui s’aiment. Au-delà de la vue et de l’ouie, la caméra de Kechiche arrive à stimuler notre sens du toucher et l’on est pas loin de sentir chaque odeur ou chaque goût sur notre langue. Sensualité dans tous les sens du terme pour un film magnifique dont on savoure chaque seconde avec une profonde délectation.
LA NOTE : 16/20
Fiche technique :
Production : Quat sous Films, Bianca film, France 2 Cinéma, Good films, Pathé
Distribution : Pathé
Réalisation : Abdellatif Kechiche
Scénario : Abdellatif Kechiche, Ghalia Lacroix, d’après le roman de François Bégaudeau (La blessure, la vraie)
Montage : Nathanaëlle Gerbeaux, Maria Giménez Cavallo
Photo : Marco Graziaplena
Décors : Ann Chakraverty
Durée : 180 min
Casting :
Shaïn Boumedine : Amin
Ophélie Bau : Ophélie
Salim Kechiouche : Tony
Lou Luttiau : Céline
Alexia Chardard : Charlotte
Hafsia Herzi : Camélia
Kamel Saadi : Kamel