TOUT CA, POUR CA : 10 ANS DE MILITANTISME AU PARTI SOCIALISTE :EPISODE 20 : Mariage pour tous, honte pour moi

episode20J’ai souligné la dernière fois que contrairement aux idées reçues, les hommes politiques respectent le plus souvent la plupart de leurs engagements, mais qu’on leur reprochait le moindre écart ou le moindre manquement, en oubliant tout le reste. Mais force est de constater que parfois l’application d’une mesure pourtant clairement énoncée à l’avance provoque des tempêtes inattendues, alors qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun débat particulier pendant la campagne. François Hollande et tout le PS en feront l’amère expérience avec le Mariage pour Tous.

Pourtant, personne ne doutait au moment de son élection que la société française serait assez mature sur la question pour que la loi soit adoptée comme on dépose une lettre à la Poste. Mais le début du quinquennat avait déjà trop fragilisé François Hollande pour que l’adversité n’y voit pas là une occasion de se faire entendre. Tout le monde sera surpris par l’ampleur de la mobilisation des « anti ». La mise en lumière d’une France rétrograde qui semblait avoir quasiment disparu a représenté un fait marquant qui connaît malheureusement bien des répliques depuis.

Le Mariage pour tous tient une place particulière dans ma « carrière » politique. Tout d’abord, parce que c’était une mesure qui me tenait particulièrement à cœur. Mais aussi parce que Viroflay dans le prolongement de Versailles a constitué le cœur géographique du mouvement. Cette droite catholique y occupe une place prépondérante dans le paysage politique local mais surtout dans la population qui occupe ce territoire. En tant que leader du Parti Socialiste sur ce secteur, j’aurais pu jouer un rôle de soldat obligé de monter en première ligne. Il n’en a rien été et j’en garde de profond regret et un peu de honte.

Ce qui a été particulièrement douloureux est de voir qu’au sein même du PS, l’unanimité n’était pas de mise et l’envie de partir au front encore moins. Il est vrai que la Section locale possédait à l’époque (et sûrement encore aujourd’hui pour ce qu’il en reste) une sociologie quelque peu particulière. La gauche « croyante » (catholique ou protestante) y occupait une place importante, auquel on peut ajouter une moyenne d’âge relativement élevée. Le sujet provoquait donc un léger malaise chez certains camarades. L’immense majorité d’entre eux se contentaient d’un « on n’a rien contre, mais faut peut-être en faire trop » un peu hypocrite, avec le sentiment que leur opinion réelle était désormais inavouable quand on se veut de gauche.

Un d’entre eux cependant a fait savoir de manière répétée son opposition au projet. Figure respectée de la communauté protestante locale, il utilisait pour cela des arguments abscons entre philosophie et religion. Il a surtout insisté plusieurs fois auprès de notre Secrétaire de Section pour organiser un débat sur la question. Je remercie encore ce dernier de n’avoir jamais donné suite, car je doute qu’il aurait donné lieu à des échanges uniquement placés sous le signe de la camaraderie. Dans un monde idéal, ce genre de prise de position, relevant de l’homophobie pure et simple, aurait du lui valoir une exclusion immédiate du parti et pas mal d’antipathie. Mais on mesure là qu’il existe une hiérarchie et que pour beaucoup être homophobe est moins « grave » qu’être raciste (coucou Noël Le Graët!).

Au niveau national, j’aurais évidemment participé à toutes les manifestations soutenant la réforme. Les cortèges y étaient malheureusement moins fournis que ceux du camp d’en face. Noyé dans la foule, c’était une manière assez facile et anonyme d’exprimer ma position. Par contre, au niveau local, nous avions adoptés la position de ne pas jeter de l’huile sur le feu et de ne pas jouer la surenchère face à l’omniprésence des anti, recouvrant la ville de leurs affiches et de leurs autocollants. Nous avons donc considéré qu’une inaction totale revenait à faire preuve de sagesse. Mais la vérité est que nous avions tout simplement peur. Peur de se voir pris à parti par les plus enragés du camp d’en face, dont on pouvait parfois douter de l’équilibre mental.

Nous avons donc assisté sans rien dire à la tentative lamentable de mon Maire de surfer sur la vague des manifestations. Il faut dire qu’il a connu un quasi moment de gloire médiatique en faisant partie des participants de la première manif cités dans l’article principal du journal le Monde. Ensuite, lors de la cérémonie des vœux pour l’année 2013, il placera dans son discours qu’il souhaitait que chaque enfant ait un papa et une maman, en illustrant son propos par le logo du mouvement. Lamentable car tout cela va se transformer en retraite en rase campagne quand il a compris le mouvement qu’il venait d’encourager devenait totalement hors de contrôle et carrément envahissant. A plusieurs reprises, le monument le plus visible de la ville, les arcades, se retrouvait au petit matin constellé d’affiches de la Manif pour Tous. Très vite, le Maire fera le nécessaire pour les faire enlever au plus tôt par les services de la ville. Et surtout, tout cela aboutira à une candidature contre lui aux élections départementales d’un représentant du mouvement, venant manger une partie de son électorat.

Avec le recul, je me demande comment, alors que j’occupais déjà la position de leader de l’opposition, ai-je pu ne jamais manifesté publiquement mon soutien au projet et mon dégoût face au mouvement réactionnaire qui déferlait sur ma ville. Certes, Viroflay n’est qu’une commune de 16 000 habitants, mais j’étais alors la personne la plus légitime pour y incarner les valeurs de gauche. Mais j’ai choisi de me taire et de ne rien faire. Les citoyens de cette ville partageant ces valeurs ont eu à subir le spectacle affligeant de Viroflay repeint régulièrement aux couleurs de la Manif pour Tous, sans jamais entendre ma voix, sans se dire qu’il y avait dans leur commune des élus prêts à les représenter et à faire vivre leur indignation. Ca restera un peu plus qu’un regret, mais bien une part de honte que je porterai à jamais.

J’emploie ici volontairement la première personne et non le nous qui désignerait notre groupe au Conseil Municipal ou plus largement la Section PS de la ville. L’inaction était une décision collective, la faute l’était donc aussi. Mais je n’ai même pas essayé de nous faire changer d’avis. Et en tant que leader, la faute est forcément un peu plus la mienne que celle de quiconque. Cyniquement, c’était en plus une erreur politique à une petite année des municipales. Dans une commune où les gens de gauche me demandais parfois : « je vote pour vous, mais vous lui reprochez quoi au Maire en fait ? », se saisir de cette question pour se démarquer de lui représentait une occasion unique. Cyniquement une erreur et en fait surtout moralement. Je n’ai tout simplement pas été à la hauteur des valeurs que je m’étais promis de porter à travers mon engagement politique.

Le sentiment de honte que je décris ici me sera venu le jour de la dernière étape du Tour de France 2013 qui traversait Viroflay. Il faisait chaud et lourd ce jour-là et j’étais revenu d’un pique-nique avec des amis en ne me sentant pas très bien. Du coup, j’ai choisi de le voir passer à la télé, plutôt que de me rendre le long du parcours. C’est sur mon petit écran que j’ai découvert avec consternation que la traversée de notre commune a conduit le peloton à longer une masse de militants de la Manif pour Tous dont on a clairement distingué les t-shirts et les drapeaux. Voilà l’image que ma commune offrait au monde. Ce jour là, j’ai pleuré devant ma télé. Pas tant à cause de ce que je voyais, mais à cause de ce que j’avais fait. Ou plutôt ce que je n’avais pas fait…

Suite à cela, j’aurais quand même au moins une fois affirmé un minimum publiquement ma position dans ce débat. Au sein de nos propositions formant notre programme pour les municipales 2014, j’ai voulu absolument inclure une allusion à ce sujet. J’ai proposé d’inscrire que nous célébrerions tous les mariages avec le même enthousiasme. La proposition a fait débat et j’ai du utiliser mon autorité de leader pour y mettre fin et affirmer autoritairement que cette proposition figurerait dans notre programme. C’est alors qu’un de militant de la frange catholique de la Section que j’évoquais plus haut, par ailleurs un homme remarquable, m’a écrit pour me dire que le mot enthousiaste le dérangeait car il dérive de Theos qui veut dire Dieu… Un peu lassé, j’ai remplacé le mot enthousiasme par joie. Peut-être ai-je eu tort de faire cette dernière concession. Peut-être ai-je eu raison car les combats se gagnent pas à pas et il ne m’avait pas demander de retirer la proposition.

Mais désormais, je peux l’affirmer sans retenue. Le Mariage pour Tous est une idée qui mérite l’enthousiasme et je combattrais toujours ceux qui ne le partagent pas !

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