En racontant cette histoire, je pourrais mentir en disant que je n’ai jamais envisagé de voter pour Benoît Hamon aux élections présidentielles. Je me suis bien posé la question… pendant les quelques jours suivant les primaires où il a semblé bénéficier d’une dynamique suffisante pour avoir ses chances. Cela ne dura pas longtemps avant qu’on lui colle l’étiquette du Monsieur 6%, score que lui promettait les sondages et qui a bien été le sien.
En racontant toute cette histoire, je me suis toujours évertué à éviter de me décrire comme quelqu’un qui aurait toujours tout prévu et qu’on n’aurait jamais écouté. C’est toujours tentant de le faire a posteriori. Mais un beau jour, j’ai écrit ce billet : https://www.julienbouffartigue.net/index.php/blog-actualites/1992-apprendre-de-ses-victoires. Dans celui-ci, j’écrivais : Benoît Hamon a remporté les primaires en étant l’homme qui défendait une idée forte et tous ses adversaires se sont évertués à en faire le centre du débat et lui offrir la victoire sur un plateau. Qu’il continue sur cette voie s’il compte l’emporter. La principale question est de savoir s’il possède encore des munitions pour reprendre la main. S’il compte s’asseoir à l’Elysée avec le seul revenu universel comme étendard, il va au devant d’une grande désillusion.
J’ignore s’il a encore des idées fortes sous le coude. Mais sa victoire sera à ce prix. Et uniquement à ce prix !
Je suis donc en droit de le dire, j’avais anticipé le désastre qu’allait représenter sa candidature. Et pas uniquement à cause de toutes les raisons que j’avais de lui vouer un mépris, voire une certaine forme de haine. J’avais identifié sa faiblesse et il s’est passé exactement ce que j’avais prédit. J’aurais sincèrement préféré que l’histoire me donne tort. Je ne sais pas si cela me confère un titre de gloire, mais cela constitue certainement un des éléments qui m’ont fait m’estimer légitime pour livrer ainsi ma vision de ces dix années.
J’aurais pu, du coup, me tourner vers Jean-Luc Mélenchon. Mais je pense que tous ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire savent à quel point cela ne pouvait constituer une option pour moi. Il ne représente pas à mon sens simplement quelqu’un avec qui je peux avoir des désaccords. Je suis même souvent d’accord avec lui, car c’est certainement un des hommes politiques les plus intelligents de notre pays. Mais il défend une conception globale de la société qui est dangereuse. L’histoire a prouvé à de maintes reprises qu’elle provoquait toujours des drames sanglants à chaque fois qu’elle a eu l’occasion d’accéder au pouvoir.
Comme je l’ai évoqué dans le précédent billet, avant d’être rattrapé par la justice, François Fillon paraissait comme l’immense favori de l’élection présidentielle. Sa victoire aurait marqué une alternance droite/gauche, tout ce qu’il y a de plus classique. Le Nouveau Monde aurait peut-être bien du mal à l’admettre aujourd’hui, mais sans les soucis judiciaires du candidat des Républicains et l’incompréhensible choix de ces derniers de ne pas en changer, il n’aurait jamais pu émerger. Emmanuel Macron allait définitivement arriver au pouvoir par défaut et grâce à des circonstances qui n’ont rien à voir avec son talent ou son sens politique. Sans elles, le fait de ne pas s’appuyer sur un bloc militant fort et historique aurait constitué une faiblesse rédhibitoire.
L’enjeu du premier tour devient donc rapidement de savoir qui accompagnera Marine Le Pen au second tour pour finalement l’emporter certainement contre elle. La lutte est serrée. Si je n’ai jamais cru que Mélenchon puisse vraiment y accéder, le score de François Fillon dans les sondages continuent de se maintenir à un niveau étonnant. Or, je refuse de me voir contraint à un second tour entre la représentante du Front National et le représentant d’une droite réactionnaire et conservatrice. Avoir voté Jacques Chirac en 2002 avait déjà été assez douloureux comme ça.
Là encore, je ne veux pas réécrire l’histoire. Je ne le nie pas. L’émergence d’En Marche m’a interrogé. Si vous avez suivi les 39 épisodes précédents, vous imaginez bien que rejoindre un mouvement donnant un grand coup de pied de la fourmilière du militantisme politique me tente l’espace d’un instant. Mais idéologiquement, tout cela me semble trop flou pour que je puisse m’y engager. Je suis en retrait de la vie du PS et tout me pousse à garder cette posture d’attente. Mais mon choix est fait très vite après les primaires citoyennes. Je vais voter pour Emmanuel Macron dès le premier tour.
La perspective d’un vote d’adhésion, plutôt qu’un vote utile, s’éloigne vite. Les options économiques du programme d’Emmanuel Macron l’éloignent vite du centre gauche, qu’il aurait pu facilement incarner, pour aller chasser sur les terres de la droite. Cyniquement, je ne peux que reconnaître que c’est tactiquement ce qu’il fallait faire. La gauche est en lambeaux et les électeurs comme moi sont résignés à voter pour lui. Pour être sûr d’accéder au second tour, il doit continuer à capter l’électorat qui se serait naturellement tourné vers François Fillon, sans les problèmes judiciaires de ce dernier. J’acte donc vite que je vais voter pour un candidat qui n’est pas sur la même ligne économique que moi. Je me console alors avec le progressisme qu’Emmanuel Macron semble encore afficher sur les questions sociétales. Je vivrais comme une trahison le tournant conservateur de son quinquennat.
Pour le premier tour, je tiens ma place au bureau de vote. Officiellement, je représente… Benoît Hamon. Ce simple fait résume à lui seul à quel point mon univers militant n’est plus qu’un champ de ruines dans lequel je me sens un peu perdu. Le soir, en voyant Emmanuel Macron devancer François Fillon et accéder au deuxième tour, je me sens soulagé. Je sais que Marine le Pen ne pourra pas le battre. Mais, pour moi, qui ai vécu si intensément 2002, la faiblesse de l’écart final restera comme une blessure.
Le jour de la passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron, une page de ma vie se tourne. Non que le PS soit toute ma vie, loin de là, mais elle apporte la conclusion à un long cycle de dix ans faites d’abord de tant de victoires avant une longue agonie. Tout est à reconstruire. Une nouvelle histoire est à écrire… Rendez-vous dans dix ans ?