Avouons-le, on ne s’est jamais trop aimé. Ou plutôt, je ne t’ai jamais trop aimé, parce qu’évidemment je ne sais pas ce que tu penses. Tu peux trouver ça injuste parce que tu m’as offert une vie sans problème de santé et j’ai toujours pu me servir de toi pour accéder à toutes sortes des plaisir et de jouissance. Mais voilà, tu me m’as jamais plu. Je t’ai toujours vu comme un handicap, venant gâcher tout le reste par la mauvaise impression que tu pouvais donner. Alors j’ai toujours eu un peu honte de toi, cherchant toujours à te cacher ou à t’enfouir. Tu vois, d’ailleurs je n’ai pas intitulé ce billet « lettre de mon esprit à mon corps », ce qui aurait été plus honnête. Mais j’ai envie de considérer que tu n’es rien et que je suis tout.
Certes, je t’avais déjà vu évoluer. Il y a quelques années, des efforts matinaux t’avaient offert un peu de muscles qui ne te vont pas si mal. Mais cela n’avait pas changé grand chose à mon mépris à ton égard. Un mépris bien commode pour t’attribuer la responsabilité de beaucoup de mes échecs ou de mon manque de courage. Une excuse facile sans doute. Tout cela aura en tout cas ancré au plus profond de moi l’idée que tu n’étais pas à ma hauteur et que tu me tirais vers le bas. Qu’il n’y avait pas grand chose à espérer de toi. Que je ne pouvais que te subir et te traîner comme un boulet.
Te voir changer ces derniers mois m’a forcément interrogé. Je t’observe souvent dans le miroir et que je vois m’étonne toujours un peu, comme si ça ne pouvait pas être vrai. Je continue à vérifier régulièrement que je continue bien toujours à sentir mes côtes désormais quand je passe ma main sur mon flanc, ce qui ne cesse pas de m’étonner. Comme si ça ne pouvait pas durer. Peut-être que tout cela me fait peur, me privant de mon excuse préférée. Qu’est ce que je vais faire de toi désormais ? Je viens bien de t’offrir un peu de lumière, mais ai-je vraiment envie de la partager ? Objectivement, je sais bien que le manque de confiance que je te témoigne se traduit en un manque de confiance en moi tout court, qu’on est dans le même bateau et que j’y gagnerais forcément à une confiance réciproque.
42 ans de défiance ne s’efface pas comme ça. Je sais que l’image objective que me renvoie le miroir passe ensuite par le miroir déformant de mes propres yeux. Il va m’être difficile de le supprimer. De pouvoir me dire que je peux pleinement compter sur toi. D’imaginer surtout que les autres me verront bien à travers le miroir objectif et non par ce même miroir déformant. J’y parviendrai peut-être un jour. Mais n’espère pas trop. Peut-être arriverai-je à faire disparaître le mépris, jamais je ne pourrai te trouver beau, encore moins attirant ou sexy.
Pendant tant d’années, il y a ce mot, si laid, qui me venait quand je pensais à toi. Ce mot si profondément gravé dans mon esprit. J’ai beau te regarder, me regarder, j’ai beau en appeler à un regard extérieur en espérant en tirer un petit supplément d’objectivité, ce mot continue de résonner en moi. J’ai tellement considéré qu’il me définissait. Qu’il était une croix que j’étais condamné à porter à jamais. Je te promets que j’essaierai de nous offrir un peu de paix entre nous. Mais je ne peux pas te promettre que s’éteindra jamais cette phrase qui vient spontanément quand je pense à toi, à nous,à moi… Je ne peux pas te promettre que je cesserai un jour de penser que je suis gros…
Un grand merci à Milena pour les photos !