Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Et avec des si, on peut réécrire totalement l’histoire du monde. C’est exactement ce qu’a fait Kim Stanley Robinson dans ses Chroniques des Années Noires. Une fresque étonnante et vraiment passionnante par moment.
1381, une épidémie de peste ravage l’Occident à tel point que l’ensemble de sa population est exterminée. Le monde laisse alors deux grandes puissances se partager la domination du monde : l’Islam et la Chine, avec l’Inde et le Japon comme arbitres. Aux quatre coins du monde et à travers, les époques, les progrès, les grandes découvertes, les périodes de paix et de guerre, des âmes se réincarnent encore et encore.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu coup de gueule contre la traduction du titre. Généralement, je fais cela pour les avis ciné, mais ça peut marcher également pour les livres visiblement. Le titre original est The Years of Rice and Salt, soit en français les Années de Sel et de Riz. Bon, c’est vrai que ça ne sonne pas super dans notre langue, mais tout de même, quelle perte de contenu. Surtout que le titre anglais fait référence à un élément du récit. Quelle pauvreté dans la traduction ! Car rien ne justifie l’emploi de l’expression « années noire ».
Chroniques des Années Noires, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, est certes de l’ordre du pavé. 1015 pages aux éditions Pocket. Mais c’est un « livre à sketchs » qui se lit très facilement et qui peut même éventuellement se parcourir en plusieurs fois. En effet, chaque épisode nous plonge dans un lieu, une époque, un contexte différents. Certes, on suit le parcours d’âmes d’une réincarnation à l’autre, mais les personnages auxquels ils donnent vie n’ont aucun lien entre eux. On suit simplement l’évolution du monde à travers eux.
Le plus grande originalité de Chroniques des Années Noires est la façon dont Kim Stanley Robinson arrive à varier la forme de son récit d’un épisode à l’autre. Cela tient parfois aux détails, comme la manière dont les chapitres sont découpés, mis en page et numérotés, mais cela donne vraiment l’impression de lire toujours quelque chose de nouveau. On sent tout de même que le style reste le même, mais si on nous disait qu’au contraire, chaque épisode a été rédigé par un auteur différent, on n’en serait pas plus étonné que cela.
Comme toute histoire « à sketchs », Chroniques des Années Noires reste quelque peu inégal. Certaines histoires (elles sont au nombre de 10) sont vraiment passionnantes, d’autres un peu moins. Mais par leur grande variété, elles maintiennent toujours l’intérêt du lecteur. Il y en aura pour tous les goûts, même si le récit est toujours axé autour de grands progrès scientifiques ou techniques. Certains épisodes constituent de vrais petits romans d’aventures, d’autres se focalisent pour sur les personnages. Mais toujours, le lecteur est amené à voyager et s’évader.
Chroniques des Années Noires n’est donc pas un roman historique. Ce n’est pas non plus vraiment une roman de science-fiction. On pourrait inventer pour lui la notion de passé-fiction… Un livre qui laisse une grande place à l’imaginaire mais qui relate des évènements qui auraient vraiment pu survenir. Je vous laisse découvrir le chemin que l’humanité empruntera en suivant les hypothèses inventées par Kim Stanley Robinson. Mais quand on y réfléchit, la conclusion qu’il nous propose est au final parfaitement logique.
Chroniques des Années Noires est original par son fond et sa forme. Sa longueur n’est pas forcément un problème, pouvant être lu en plusieurs fois. Kim Stanley Robinson n’est peut-être pas la plume du siècle, mais au moins il nous aura offert une œuvre vraiment unique.