On associe rarement le roman noir avec l’humour. Cela semble relativement antinomique. Pourtant, il existe bien un humour noir, il semble donc possible que les deux cohabitent. Il existe quelques exemples d’œuvres qui parviennent à concilier les deux. C’est le cas de 1275 Ames, un roman de Jim Thompson de 1964, qui flirte gentiment avec la parodie. Il nous fait découvrir un personnage principal relativement inoubliable et surtout totalement décalé. Pour notre plus grand bonheur.
Nick Corey, héros et narrateur de 1275 Ames, n’est pas un shérif comme les autres. Dans ce coin reculé et calme de l’Amérique profonde, il maintient l’ordre en laissant à peu près tout le monde faire à peu près ce qu’il veut. Comme ça personne ne se plaint, il n’y pas de vagues et il assure sa tranquille réélection. Mais au cours de ce roman, on découvrira que sous ses airs placides et débonnaires se cache.. Bon, je n’en dirai par plus car tout l’intérêt de ce roman repose justement sur la surprise et l’inattendu. Et Jim Thompson manie ces deux éléments avec beaucoup de talents pour nous proposer une histoire dont l’immense mérite est d’être drôle.
Sur la forme, 1275 Ames reste un roman de gare dans la tradition de l’époque. Assez court et imprimé sur du papier de mauvaise qualité, il aurait pu rester une œuvre anonyme parmi la profusion de livres de ce type. Mais on tient là un vrai morceau de littérature, à l’ironie terriblement mordante. Le style renforce encore cette impression en nous faisant partager les pensées du personnage principal, qui sont aussi décalées que son comportement. On se prend d’une profonde sympathie pour lui et on dévore cette petite curiosité littéraire, qui ressemble à une savoureuse friandise.