Depuis le début des Jeux Olympiques, j’ai parlé avant tout de belles histoires et d’événements inattendus, source d’émotions fortes. Cependant, certaines médailles d’or représentent le dénouement d’une histoire sans surprise. La notion de favori est évidemment subjective, mais pour beaucoup d’épreuves un nom se détache assez nettement pour faire l’unanimité. Il y a deux jours, je me demandais ce qui pouvait bien se passer dans la tête d’une athlète sur le point de devenir championne olympique à la surprise générale. Désormais, je m’interroge sur ce qui se passe dans celui d’une athlète dont tout le monde attend qu’elle le devienne.
Cette nouvelle journée olympique nous a offert deux beaux exemples côté français. Tous les pronostics nous prédisaient deux médailles d’or presque assurées. En VTT, c’était même un doublé qui nous était promis. A la place, ce fut un triplé suisse, ridiculisant les certitudes affichées par beaucoup de commentateurs hexagonaux. Il serait tentant d’accabler Pauline Ferrand-Prévôt et Loana Lecomte, mais un peu de recul permet de se dire qu’elles sont avant tout victimes d’un optimisme béat et mal placé. L’une aura subi une chute et une crevaison, l’autre a juste rappelé l’importance de la notion de préparation et de pic de forme. Les mêmes commentateurs parlent désormais de désastre. C’est avant tout leur ignorance de la réalité du sport de haut niveau qui est désastreux.
Les deux Françaises seraient donc uniquement victimes du manque de chance ou du fameux manque d’expérience, si chères à nos excuses ? La flamme dans le regard de Clarisse Agbégnénou permet en effet d’en douter. Quadruple championne du Monde, battue il y a cinq ans à Rio à la surprise générale, porte-drapeau lors de la cérémonie d’ouverture, elle figurait parmi les athlètes les plus attendues à Tokyo. Tout autre résultat que l’or aurait été vécu comme un échec. Elle a répondu présente, sans laisser la moindre chance à ses adversaires. La détermination affichée dans le moindre de ses gestes et surtout dans ses yeux laissait bien penser que sa victoire était inévitable.
Elle était bien inexorable non pas parce que des commentateurs l’avait décrété. Pas simplement à cause de ses innombrables victoires passées. Mais tout simplement parce qu’elle ne se contentait pas d’être la meilleure. Elle s’est donnée les moyens de l’être jusqu’au bout, partout, en tout. Il existera toujours une noble incertitude du sport, mais certains athlètes savent la réduire à une part infinitésimale. Ce sont eux que l’on peut qualifier tout simplement de champions. On ne parle pas ici de palmarès, mais bien de l’essence même d’un être humain.
Clarisse Agbégnénou est une immense championne. D’autres le ne sont peut-être pas et ne le seront peut-être jamais, quand bien même elles deviendraient championne olympique dans trois ans à force d’entraînement. Mais certaines choses ne s’apprennent pas…