LE JOUR OU J’AI QUITTE LE PARTI SOCIALISTE

A première vue, cela ressemble à un coup de tête. A 11h, le jeudi 13 janvier 2022, je ne m’imaginais pas quitter le Parti Socialiste. A midi, j’avais claqué la porte. Avec trois jours de recul, je sais que j’ai pris la bonne décision, parce que le soulagement surpasse de loin le doute. Rarement l’expression « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » n’aura semblé si bien adaptée pour décrire une situation. Car tout cela vient de loin.

J’ai longuement raconté mon parcours au Parti Socialiste entre 2007 et 2017. Dix années qui s’étaient terminées en mon vote au premier tour de l’élection présidentielle pour un autre candidat que celui de mon parti. En tant que militant, cela poussait déjà à l’interrogation existentielle et la remise en cause. Et depuis ? Le candidat dont je suis le plus heureux d’avoir contribué à l’élection s’appelle Raphaël Glucksmann, dont j’admire le travail en tant que député européen particulièrement engagé. Mais sa principal caractéristique… est de représenter un autre parti que le PS. A côté de ça, j’ai vécu les campagnes des élections municipales et régionales avec le frein à main (pour des raisons très différentes néanmoins). Plus aucun enthousiasme nul part en tout cas.

En ce jeudi matin, je découvre les premiers tweets reprenant les déclarations d’Anne Hidalgo le matin même pour annoncer son programme. Intérieurement, ma réaction fut assez simple : mouais, bof… Il n’y a rien de bien nouveau par rapport à ce qui avait été présenté précédemment. Un mélange de remake de 1981, pour faire vraiment de gauche, et des grands coups de peinture verte, pour faire écolo (et donc supposé moderne). On annonce un catalogue de 70 mesures, bref le genre d’exercice visant juste à donner à chaque sous-sous-sous catégorie de la population un petit os à ronger. Et pour les catégories les plus enclines à voter socialiste, on ouvre bien grand le porte-monnaie. Rien qui ne traduise une vision politique forte et compréhensible, rien qui ne puisse créer une grande vague d’entraînement et sortir les électeurs de gauche déçus de leur torpeur.

En bon petit soldat, je finis par me dire que j’ai un job à faire. Alors je fais un tweet, puis un post Facebook que je partage sur mes deux comptes, où je parle de « ce beau programme », alors qu’au fond de moi je pense « ce programme médiocre et pas très intéressant, encore moins innovant ». En faisant ça, je me dis que j’ai fait mon devoir de militant. Et puis, quelques minutes plus tard, je reçois la version détaillée du programme. Mon premier réflexe est de lire le passage sur l’agriculture. Or, j’y trouve ce que je craignais. C’est sans surprise. Pour courir après EELV, le paragraphe sur l’agroécologie notamment est un tissu d’inepties, démagogique à souhait, pour ne pas dire terriblement dangereux. Ce n’est pas le sujet ici de disserter sur le drame que serait la disparition de l’agriculture de conservation des sols pour expliquer une telle réaction face à des intentions qui peuvent sembler bonnes à première vue. Disons simplement que je me suis retrouvé face à cette question : comment pourrais-je justifier publiquement une adhésion enthousiaste à un programme qui, sur le sujet que je maîtrise le plus, me semble avant tout à combattre ? Ma réponse a été fulgurante, portée par tant d’années sans enthousiasme remontées d’un coup : je ne peux pas…

Alors j’ai tout simplement décidé de dire stop. Non que je sois devenu anti-socialiste d’un coup. Mais je ne peux pas continuer à consacrer du temps et de l’énergie à un militantisme devenu à mes yeux inutile. J’y perds mon temps et à 42 ans, avec encore beaucoup d’envies et de projets, j’en ai de moins en moins à perdre. Mes autres engagements associatifs et syndicaux m’apparaissent tellement plus aptes à produire des résultats concrets qu’ils méritent d’y consacrer plus de temps et d’énergie.

Pour quelqu’un qui a écrit une tribune dans le Monde qu’il voulait voir intitulée « Si les partis politiques vous déçoivent, envahissez-les ! », ce départ ressemble à un reniement de moi-même. Sans doute une forme d’usure inexorable a fini par me rattraper. L’usure provoquée par le spectacle d’un parti qui ne sert plus qu’à permettre à un groupe restreint d’individus de se maintenir dans une illusion de pouvoir, quel que soit son degré de médiocrité. Les militants comme moi ne pèsent en rien, jamais. Ils s’illusionnent souvent que les actions de campagne de terrain, les tractages, les porte-à-portes, les réunions à n’en plus finir, les groupes de travail au moment des campagnes censés contribuer à des programmes finalement rédigés par des purs technos sûrs d’eux, les tweets vus au final exclusivement par d’autres militants socialistes servent vraiment à quelque chose. L’impact de tout cela est au mieux négligeable, surtout dans les grands centres urbains.

Je dois l’admettre, il y a sans doute dans ce départ, une petite blessure égotique. Je suis passé d’une position de leadership à Viroflay à un anonymat le plus complet à Paris. Evidemment, lorsque je siégeais au Conseil Municipal, jamais je ne me suis posé la question de mon utilité. M’approcher du centre du pouvoir interne au Parti Socialiste en arrivant à Paris m’a permis de mesurer à quel point il n’y a guère de place pour ceux dont la vie personnelle ou professionnelle ne leur permettent pas de se consacrer pleinement à la politique. Ce tri entre ceux qui pèsent et ceux qui ne sont rien se fait totalement indépendamment de la compétence réelle et démontrée, mais également du sens de l’éthique. Sans doute, mes compétences personnelles ne m’autorisent pas à être quelque chose au Parti Socialiste. Mais si je pars, c’est parce que, même avec les compétences requises, un profil comme le mien ne peut pas être quelque chose au PS. Sans doute les idées que j’aimerais défendre ne sont pas forcément dignes d’intérêt. Mais c’est si je pars c’est parce que la vie militante au PS ne me donne jamais l’occasion de les exposer sérieusement.

Ce texte n’a absolument pas vocation à donner raison à ceux qui, au sein du PS ou dans les cercles proches, dénoncent l’incompétence de la direction actuelle. La plupart d’entre eux ne valent pas mieux et expriment juste leur frustration de ne plus avoir le petit pouvoir qui leur avait permis d’exister à une époque et qu’ils ont usé avec la même médiocrité. Qu’ils commencent par s’interroger sur la réalité de leurs propres compétences ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, je conserve une certaine affection pour Olivier Faure. Certes, il n’est pas l’homme apte à renverser la table et le système comme j’aimerais qu’il soit. Mais je n’oublie pas qu’il exerce ses fonctions aussi parce que dans les moments les plus difficiles, il a été le seul à bien vouloir endosser cette responsabilité, quand d’autres se sont terrés en attendant des jours meilleurs.

Je ne pars par pour un ailleurs. Certes,j’ai encore envie d’être un militant politique. Peut-être un jour le PRG se débarrassera-t-il des Baylet. Peut-être que l’herbe est plus verte chez Place Publique. Et pourquoi pas un jour revenir au PS. Je ne m’interdis plus rien, libéré du devoir du militant. Mais je reste les deux pieds dans le positionnement sur l’échiquier politique qui a toujours été le mien. Si je renonce à en faire un objet de militantisme, ce n’est pas pour cela que mes convictions ont changé. J’ai au contraire très envie de continuer à les explorer, à m’exprimer sur certains sujets, à imaginer des chemins. Tout ce que j’aurais aimé faire au sein du Parti Socialiste. A cette heure, je ne sais donc pas si je chercherai à le faire au sein d’un nouveau collectif ou bien si je me contenterai du lectorat infime de ce site.

A cette heure, je ne sais pas non plus pour qui je voterai à la prochaine élection présidentielle. Peut-être est-ce que ce sera finalement tout de même pour Anne Hidalgo. Fabien Roussel me plaît bien également, mais j’attendrai de creuser un peu dans son programme avant de lui accorder ma voix.

En tout cas, je voterai au bout d’un choix que j’aurais fait librement !

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