La Chine constitue un merveilleux décor pour les polars. Et ce quelle que soit l’époque pendant laquelle se déroule l’intrigue. J’ai écrit plusieurs avis sur des épisodes des enquêtes du Juge Ti (un autre à venir très bientôt) qui nous font voyager loin dans le passé. Les romans de Qui Xiaolong nous emmènent eux dans une Chine contemporaine au fonctionnement marqué par une absurdité imposée par la dictateur du Parti au pouvoir. Les Courants Fourbes du Lac Taï nous permet d’en saisir toute la portée, tant son auteur s’amuse à dépeindre les travers de son pays natal avec humour et ironie. Pour notre plus grand plaisir.
Les Courants Fourbes du Lac Taï est également accessoirement un polar avec un meurtre et un coupable à trouver. Mais vous l’aurez compris, ce n’est pas forcément là que réside le principal intérêt de ce roman. Les lourdeurs de la société chinoise, de ses règles de protocole, de son respect de la hiérarchie, tout est poussé jusqu’à l’absurde. Qui Xiaolong s’en amuse et nous avec, même si on comprend aussi à quel point ces lourdeurs peuvent aussi broyer les individus qui sont relégués au statut de rouage d’une machinerie qui semble fonctionner pour elle-même sans que personne ne sache comment l’arrêter. Tout cela est dépeint avec beaucoup de talent, d’humour et de verve.
Si la machine technocratique chinoise broie les individus, c’est aussi qu’il y a des individus pour lui donner corps. Les Courants Fourbes du Lac Taï nous offre une belle galerie de portraits de personnages hauts en couleur… et en absurdité vous l’aurez compris. Au milieu d’eux, l’inspecteur Chen, le héros récurent des romans de Qui Xiaolong, pose un regard détaché sur les événements, comme un îlot d’objectivité désabusée dans un monde où aucune décision ne semble motiver par le seul bon sens. Le procédé est assez classique, mais il est mis en œuvre ici avec assez de talent pour nous offrir un fort bon roman.