LETTRE A MES ANCIENS CAMARADES

Ce texte, j’avais d’abord l’intention de l’écrire au soir du premier tour de l’élection Présidentielle quand le score d’Anne Hidalgo est apparu inférieur à 2%, en dessous du score de Jean Lassalle ou Nicolas Dupont-Aignan. Je n’ai pas pris alors le temps de le faire et c’est tant mieux car il s’est passé beaucoup de choses depuis et j’ai beaucoup d’autres choses à vous dire. Il ne s’agit pas ici de pérorer sur le thème « je vous l’avais bien dit ». Je n’en tire aucune fierté et j’aurais aimé avoir tort. Cependant, il y a dans ma démarche un espoir de faire sortir certains d’entre vous du profond aveuglement dans lequel tout membre du Parti Socialiste est aujourd’hui plongé. Car s’il ouvrait les yeux, il verrait à quel point il n’y a plus aucune raison d’y rester.

Face au score de 1,74%, j’ai lu les nombreux textes ou commentaires sur les réseaux sociaux sous forme de « oui, mais »… Oui, mais le programme était bon. Oui, mais le résultat est injuste. Oui, mais des lendemains meilleurs viendront. Oui, mais c’est la faute aux médias. Non, mes camarades, si vous m’autorisez à vous appeler encore ainsi, derrière un tel score, il n’y a pas de « mais ». Il signe un échec absolu, total et qui ne peut appeler qu’à une remise en question sévère, pour ne pas dire totale. Et il faut comprendre que ce score et cet échec est aussi le vôtre. Je suis resté assez longtemps au PS pour considérer que c’est aussi le mien. Mais dans une telle situation d’échec, j’ai fait ce que j’avais à faire. Ouvrir les yeux, arrêter de prétendre que j’allais changer la vie des gens grâce au PS et partir.

Je ne m’adresse ici pas uniquement à ceux qui soutiennent le Parti Socialiste dans cette alliance indigne. Je vais bien sûr revenir sur le sujet. Le problème du PS est bien qu’il est devenu un mélange de peste et de choléra. Aucune de ses composantes n’est en mesure de faire la leçon à l’autre. A Olivier Faure, s’oppose un rassemblement d’incompétents profonds dont la médiocrité crasse a contribué à faire du PS ce qu’il est aujourd’hui que son Premier Secrétaire actuel. Leur absence de remise en question personnelle démontre à quel point leur seul soucis est leur survie politique, alors même que leur carrière a le plus souvent commencé dans les années 80. Cette génération n’a rien construit, rien cherché à transmettre, n’a contribué à aucune démarche de progrès intellectuel. Le torchon qui servait de texte d’orientation à Hélène Geoffroy était une insulte à la notion même de décence intellectuelle. Tous ceux qui s’y seront associés, sans souvent même l’avoir lu, leaders ou simples militants, se couvrent de ridicule en prenant la parole aujourd’hui, comme s’ils avaient la moindre légitimité à se prétendre incarner le futur de la gauche, à parler de dignité ou penser qu’ils possèdent la moindre compétence pour améliorer le sort de qui que ce soit.

Je ne peux qu’admettre que je ne vaux pas mieux non plus. Il y a quelques mois, j’ai accepté, pour une élection interne au PS, de faire partie du comité de soutien d’un politicien de la pire espèce, qui accumule une médiocrité intellectuelle totale avec une absence absolue de valeurs morales. Je l’ai fait par amitié pour quelqu’un que j’apprécie énormément et qui mérite par bien des points aussi bien mon affection que mon respect. Avoir accepté ainsi a juste fait de moi aussi quelqu’un d’indigne des ambitions et des valeurs que je prétendais porter. Je ne manquerai pas à la politique (et de toute façon, la politique ne me manque pas). Et, si ça me coûte de dénigrer ainsi une personne globalement de grande valeur, je réalise désormais que le PS, la gauche, notre pays ou même le monde se porteraient mieux sans dirigeants capables de formuler une telle demande, malgré toutes les qualités qu’ils peuvent posséder par ailleurs.

La dérive autocratique de nombreux pays s’est faite par la droite : Trump bien sûr, Bolsonaro, Orban, autant de figures d’extrême-droite qui ont donné des hauts le cœur à tous les progressistes du monde entier. Nombreux à gauche se prétendent des remparts contre ce genre de dirigeants. Mais ces nouveaux autocrates sont le fruit d’une époque, de ses crises, de ses angoisses, des ses nouveaux moyens de communication… Il est saisissant à quel point la gauche se sent tellement moralement supérieure qu’elle se considère totalement immunisée contre ces dérives, qu’elle est même la solution pour y mettre fin. Quelle erreur terrible, quel aveuglement funeste ! Ces maux la saisissent avec la même force car ces maux dévorent notre société toute entière, notre capacité à vivre ensemble, à construire collectivement au-delà des individualismes.

Défendre des contre-vérités, se montrer agressifs sur les réseaux sociaux, moquer, déconsidérer, voire insulter tous ceux qui émettent une opinion différente, repeindre le monde en noir et blanc, défendre jusqu’à la mauvaise foi absolue ses proches qui s’égarent. Voilà qui pourrait définir Trump et se supporters. Mais force est de constater qu’ils définissent pleinement aussi pleinement Jean-Luc Mélenchon et ses militants. Sans parler évidemment de cette immonde sympathie pour des figures comme Vladimir Poutine, dont il est un peu facile de se démarquer maintenant, ou bien désormais la remise en question de la légitimité des Présidents démocratiquement élu. Tout ça est aussi dangereux dans la bouche d’un Trump que d’un Mélenchon. Tous ceux qui iront voter pour les candidats qui se réclame de ce dernier doivent avoir conscience de commettre un acte qui ne diffère en rien de ce qu’ils seraient pourtant le premier à vomir. Un grand coup de peinture rouge ou verte n’y change rien.

Que le Parti Socialiste décide de rompre ses principes pour succomber aux maux de l’époque lui assurera peut-être une survie à court terme. Peut-être de que de cette survie surgira une renaissance. La politique a trop souvent réservé ce genre de rebondissements pour pouvoir l’écarter. Mais il prend aussi le risque de se couper définitivement d’une large partie de la famélique base électorale qui lui reste. Certes, beaucoup d’électeurs de gauche voteront pour des candidats socialistes, faut d’un autre choix dans leur circonscription grâce à l’accord, mais l’immense majorité préféreront l’original à la copie une fois qu’un choix plus large leur sera proposé. Et le contrecoup pourrait être mortel.

Mes chers camarades, je ne vous en veux même pas. Encore une fois, je fais encore trop partie de cette histoire pour m’exonérer de quoique soit et faire la leçon. Mais aujourd’hui, si j’essaie de me détacher de la politique, forcément je souffre de voir tant d’être vous, dans un sens ou un autre, contribuer à ce délitement moral et vous voir devenir ce que je me suis juré de combattre en m’engageant au Parti Socialiste. En cela, je ne peux plus faire chemin à vos côtés. Je ne vous suivrai pas dans les urnes aux législatives, surtout pas pour Danielle Obono. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas changé de positionnement, alors je choisirai sûrement le vote blanc en cas de deuxième tour contre un adversaire de la majorité.

Mes convictions politiques et morales ne s’incarnent désormais plus nulle part. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Mais ce qui m’inquiète encore plus, c’est de me dire que mes convictions politiques et morales semblent aujourd’hui plus éloignées que jamais de la perspective de présider à nouveau un jour à la destinée de notre pays.

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