Avoir des idées ne demande rien de plus qu’un peu de jus de cerveau. Ce n’est pas cher, même si cela ne garantit évidemment pas la qualité du résultat. Les faire connaître est une autre paire de manches et demande des moyens matériels, parfois non négligeables. Pour les campagnes électorales, les moyens financiers sont fournis par la puissance publique (j’y reviendrai dans le prochain billet), reste à savoir quoi en faire pour attirer l’attention d’une population majoritaire indifférente qui ne voit de toute façon aucune raison immédiate de voter pour vous.
Six ans plus tôt, nous avions mené une campagne des plus classiques et sans réelle imagination (cf. épisode 2). Je me donne donc pour objectif de faire beaucoup mieux et beaucoup plus original. Première décision, se passer d’agence pour faire les tracts. Mon expérience professionnelle m’a donné quelques compétences en mise en page et je sais que je peux faire largement aussi bien que l’agence à laquelle nous avions fait appel six ans plus tôt. Je ne mesurais pas bien le temps que ça allait me prendre, mais j’avais une activité professionnelle qui me permettait de consacrer quasiment l’équivalent d’un mi-temps pendant plusieurs mois. Je ne sais plus combien de mails en une journée nous nous étions échangés pour finaliser le bulletin de vote par exemple, mais cela avait fait surchauffé nos boîtes de réception.
Premier élément à déterminer avant de réaliser le moindre tract : le slogan. Je décide d’opter pour un double slogan, c’est à dire une baseline et un slogan à proprement parler. Pour le premier, je repense à ce que m’avait dit un jour un sympathisant, qu’il votait pour nous parce qu’il était de gauche, sans être pour autant spécialement mécontent du maire. La ville ayant été profondément marquée par la Manif pour Tous, il semble une bonne idée d’afficher clairement notre identité. Nous optons donc pour Un Projet de Gauche pour Tous. Soit exactement le genre de slogan totalement creux que je déteste, mais, au départ, je me dis que cela sera compensé par une baseline qui donne, elle, une indication beaucoup plus claire du contenu de notre projet.
J’impose donc la mention « Energie positive » sous le logo de notre liste. L’idée est de traduire l’esprit général que je veux insuffler au projet et une thématique forte de notre programme. Je me heurte cependant à une légère hostilité de mon secrétaire de Section, qui dit avoir peur que les gens la confonde avec le nom de la liste et ne trouvent pas du coup notre liste le jour J. Du coup, il me pousse à la réduire visuellement à chaque fois que je présente une mise en page de tract et elle finira par être assez petite que personne n’y prête jamais attention.
Pour l’identité visuelle de nos tracts thématiques, je m’appuie sur le talent de mon cousin qui vient de finir son école de bande-dessinée pour qu’il crée et mette en scène une famille dans des scénettes qui vont illustrer des éléments de notre programme. Cela leur donnait un côté attractif et assez original, on a rarement l’habitude de voir des vignettes de bande-dessinée pour illustrer un tel document. Je demande aussi à un ami graphiste de préparer une affiche colorée et originale et le résultat me plaît vraiment. Après, tout n’est pas parfait. Je sollicite un ami photographe à qui j’explique ce que j’attends. Il vient au rendez-vous en m’expliquant qu’il a regardé à quoi ressemblait des photographies de campagne électorale et qu’il sait quoi faire. Résultat, j’hérite de photos d’une banalité affligeante qui ne respecte pas du tout mes instructions. Mais bon, on fait avec.
Reste ensuite à diffuser ces tracts auprès de la population. Les boîtes aux lettres, le marché… on aurait pu s’arrêter là, dans la grande tradition socialiste. Cette fois, on a préféré privilégier les distributions aux gares, qui présentent l’avantage de laisser le temps aux gens de les lire sur le quai ou pendant le voyage. Et surtout, on multiplie ce qu’on appelle des pieds d’immeuble, c’est à dire tout simplement des distributions à d’autres points de la ville que les habituels. Je me souviens notamment d’un tractage à un carrefour très excentré de la ville. On y croisera très peu de monde, mais des gens tellement surpris de nous voir là qu’ils entament volontiers la conversation. Mais quand on y pense, tout ce n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Une distribution au marché s’avéra tout de même assez exceptionnelle puisque j’ai bénéficié de la visite et du soutien d’un Ministre, en la personne de Benoît Hamon, qui faisait encore partie du gouvernement. Il avait surtout pris le contrôle de la fédération PS des Yvelines et j’avais déjà eu l’occasion de mieux connaître le personnages et les pratiques détestables de ses proches. Bref, à cette époque, je ne le portais déjà pas dans mon cœur, ce qui ne s’arrangera pas par la suite. Donc quand l’idée est soulevée, je fus tenté quelques instants de décliner mais voyant que cela faisait plaisir à beaucoup de militants, je n’ai rien dit. Effectivement, le matin de sa venue, nombreux de mes plus proches soutiens étaient présents. Mais ce qui m’a frappé, ce fut la réaction de la population. Même dans une ville aussi à droite, un Ministre, même de gauche, est une rock star. Les gens se pressent pour le voir et comme tout homme politique, il sait se montrer affable avec tout le monde et dit bonjour à tous ceux qu’ils croisent, comme s’ils les connaissaient depuis toujours. Benoît Hamon n’est pas très grand, mais c’est une boule d’énergie et j’ai du mal à suivre son pas. A un moment donné, alors que je suis derrière lui, une dame tente de le rattraper en réclamant un tract. Comme elle est à mon niveau, je lui tends le papier sur lequel se trouve MA photo. Elle me répond « ah non, je veux que ça soit lui qui me le donne ». Bref, elle se foutait bien du contenu du tract, elle voulait juste le recevoir des mains d’un ministre… Quand je vous dis que le fond ne rapporte pas grand chose en politique…
Durant cette campagne, dans l’idée de toucher un maximum de gens, je pense avoir trouvé une idée géniale ! Une opération pare-brise. Rendez-vous à 23h un dimanche soir pour poser des petits tracts sur le pare-brise des voitures pour que les habitants les trouvent le lendemain au moment de prendre leur voiture pour aller bosser. Mais voilà, je n’avais pas prévu quelque chose… la rosée. Nous sommes encore en hiver et les Viroflaysiens ont surtout trouvé un papier complètement détrempé, se délitant totalement au moment où ils tentent de l’enlever de leur pare-brise. Bref, c’est un bide complet, qui aura surtout fait travailler les services de nettoyage des rues qui ont du ramasser de nombreuses boules de papier mâché.
Certaines choses ne changent pas par contre. Notre réunion publique se déroule devant une assemblée plus qu’éparse, malgré la présence d’un homme politique portugais, dont je me demande ce qu’il peut bien faire là, même si j’ai eu l’occasion de le recroiser lors du dernier Congrès du PS. C’est notre camarade de la même nationalité qui nous a proposé sa venue et vu les difficultés qu’il nous avait posées au moment de la constitution de la liste, je pense que personne n’a osé lui dire que ça n’avait aucun intérêt. On le laisse donc cet homme, que personne ne connaît, introduire notre réunion. C’est un peu ubuesque, mais au moins ça met un peu d’inattendu dans cet exercice convenu et un peu tristounet.
Pour le tract résumant l’ensemble du programme, l’ambition était d’éviter de proposer l’éternel litanie de propositions, façon catalogue. Le projet de base est assez concis. Et puis, peu à peu, on se sent obligé de rajouter quelque chose pour telle ou telle catégorie de la population. Je me souviens parfaitement de la dernière proposition à avoir été ajoutée, suite à l’inévitable constat fait par un camarade : ah mais y a rien pour les retraité ! Donc va pour la proposition qui va bien pour ce public, quand bien même notre projet se voulait tourné vers la jeunesse. On a beau se dire qu’en noyant l’information, on la rend moins percutante et donc le plus souvent invisible même pour la cible que l’on a voulu toucher par cet ultime ajout. Mais c’est plus fort que nous ! Au PS, quoi qu’on en dise, le fond l’emporte tellement sur la forme que le fond devient invisible. Invisible comme l’a été notre campagne, malgré tous nos efforts, aux yeux d’une majorité de Viroflaysiens.
Mener une campagne électorale, c’est mener de front trois dimensions différentes : le fond, la forme et l’administratif. Ce qui demande évidemment beaucoup de travail. A l’époque des municipales 2014, j’avais « la chance » d’occuper un emploi me laissant beaucoup de liberté et surtout de temps. Comme beaucoup d’aventure exaltante, on se lance dans un telle campagne en sous-estimant largement le temps que cela va vous prendre au final. Je n’ai pas décompté précisément le temps que j’y aurais consacré, mais je peux résumer ça à un bon mi-temps pendant quatre à six mois, surtout en ayant fait le choix de faire toutes les mises en page moi-même.
Avant de rentrer dans le vif d’une campagne électorale, il faut évidemment d’abord déterminer qui sont les candidats. Pour une élection municipale, il faut une tête de liste (cf. l’épisode précédent) et le reste de ceux qui vont l’accompagner. Viroflay compte 33 conseillers municipaux. Il nous fallait donc trouver 32 noms avec une contrainte non négligeable : 16 femmes, 16 hommes, inscrits sur les listes électorales de la commune ou à défaut y payant des impôts locaux. Et je peux vous assurer que ce n’était pas une mince affaire.
Les élections municipales de 2014 approchaient. Le fait que je devienne tête de liste avait quelque chose d’évident, mais pour autant j’évitais de trop me projeter vers cette idée. Sans doute, trouvais-je ça quelque peu délicat et prétentieux de dire « au fait, on est bien d’accord que ça sera moi la prochaine tête de liste ? ». Et puis en février 2013, lors d’une réunion du bureau de la Section, la question a été abordée. Tous les membres présents considéraient que cela ne nécessitait aucun débat et personne n’envisageait un autre scénario. Je suis sorti de la réunion en ayant en tête que je serais le futur candidat du Parti Socialiste pour la mairie de Viroflay.
J’ai souligné la dernière fois que contrairement aux idées reçues, les hommes politiques respectent le plus souvent la plupart de leurs engagements, mais qu’on leur reprochait le moindre écart ou le moindre manquement, en oubliant tout le reste. Mais force est de constater que parfois l’application d’une mesure pourtant clairement énoncée à l’avance provoque des tempêtes inattendues, alors qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun débat particulier pendant la campagne. François Hollande et tout le PS en feront l’amère expérience avec le Mariage pour Tous.
Suite à l’élection de François Hollande, le PS du continue à vivre sa vie de parti politique. Ses principaux leaders désormais Ministre et Martine Aubry partie bouder à Lille, il fallait bien trouver quelqu’un pour garder la maison. Un peu comme François Hollande lui-même en 1995 suite à la victoire aux législatives et la formation du gouvernement de Lionel Jospin. Un peu (beaucoup… totalement…) par défaut, c’est Harlem Désir qui sera chargé de cette mission. Pour cela, il fallait organiser un congrès. Il aura eu lieu à Toulouse. Il sera resté comme peut-être le moins intéressant de l’histoire du PS. Du moins, sur le front des idées. Car c’est peut-être ici que bien des graines d’auto-destruction furent semées.
La fête ne dure qu’un temps. Pour une élection, elle ne dure même qu’un soir car la réalité et les problèmes vous rattrape vite. Surtout quand la pluie vient s’en mêler. La première image de François Hollande Président aura été celle d’un homme trempé par les trombes d’eau qui s’abattaient sur lui en remontant les Champs Elysées après son investiture. Elle fera plutôt sourire. Elle aurait pu être celle d’un homme qui reste droit et fier malgré les éléments contraires, elle est surtout restée comme celle d’un homme qui n’a pas de bol. On ne savait pas alors qu’elle serait tout à fait symbolique du quinquennat qui allait suivre.
Autant vous avertir tout de suite, ce billet sera particulièrement égocentrique. Mais voyez-vous, être élu d’opposition dans une ville aussi moyenne que Viroflay revient un peu à prêcher dans désert. Alors quand vous consentez beaucoup d’efforts, quand vous vous investissez à fond dans quelque chose et surtout quand vous êtes brillant, tellement plus brillant que d’autres, il n’y aura pas grand monde pour le savoir et pour le souligner. Surtout que votre principal public reste quand même vos principaux adversaires formant la majorité, qui se pendraient plutôt que de vous faire un compliment (sauf le jour de votre départ évidemment… mais là aussi j’y reviendrai).
Quand on est un militant politique en France, l’élection présidentielle reste incontestablement un moment particulièrement fort. Mais un moment un peu ambivalent car c’est aussi celui où ce qui se joue est le plus éloigné du militant de terrain. Elle constitue aussi une promesse. La promesse de faire bouger les choses à grande échelle et d’avoir un impact réel sur la vie des gens. Certes, les élus locaux jouent aussi un rôle important dans la vie des citoyens, mais pas tout à fait à la même échelle.
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