DE LA DEMOCRATIE… PARTIE 1

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democratieOn a beaucoup parlé démocratie ces dernières semaines et encore plus ces derniers jours, entre Nuit Debout et le 49-3. Comme tous les sujets qui font la une des réseaux sociaux, cela a donné lieu à son lot d’outrages, d’approximations et de mauvaise foi, à côté évidemment aussi de réflexions de fonds et beaucoup de traits d’humour savoureux. Cependant, il apparaît clairement que la démocratie fait partie de ces notions qui semblent assez simples pour être une valeur absolue manichéenne. Une décision, un processus est démocratique ou pas, noir ou blanc, sans gris… Et pourtant…

Pour vous en convaincre, un petit test. Comment choisir démocratiquement un nombre entre un et cinq ? Vous avez une idée ? Elle vous paraît simple et incontestable ? Si elle est mise en œuvre, vous êtes sûr que personne n’attaquera la décision ? Et bien ne soyez pas si sûr de vous !

La première idée est que chacun donne un chiffre et que l’on fasse la moyenne des résultats. Voilà une technique absolument incontestable qui fera l’unanimité… Sauf qu’au lieu de la moyenne, on peut également utiliser la médiane que certains trouveront beaucoup plus juste.

On peut imaginer tout aussi bien une procédure de vote. Plusieurs sont envisageables. Un scrutin à un tour où le chiffre qui remporte le plus de vote l’emporte. Un scrutin majoritaire à deux tours, où à l’issue du premier on ne garde pour un second tour que les deux qui ont reçu le plus de suffrages (avec comme variante possibilité de triangulaire en fixant un seuil minimal pour la qualification pour le second tour). Enfin, il reste le système où à chaque tour, on élimine celui qui a reçu le moins de voix et on continue tant qu’un chiffre n’a pas reçu la majorité absolue.

Enfin, on peut imaginer des systèmes indirects. On vote d’abord pour un chef, puis pour des représentants. Le chef sera chargé de proposer un chiffre que les représentants valideront ou non. Ou bien, sans savoir besoin d’élire de chef, ce sont les représentants qui s’appliquent une des procédures citées plus haut.

Tous ces systèmes sont démocratiques. Aucun ne peut se targuer de l’être plus qu’un autre. Le bon sens voudrait donc qu’ils convergent tous vers le même résultat. Et pourtant…

Imaginons un collège des dix électeurs. 4 préfèrent le 1, 2 le 2, aucun le 3, 1 le 4 et 3 le 5….

Si on applique un des systèmes précédents, avec les procédures à un tour cela donne :
-pour la moyenne, le 3 est élu
-pour la médiane, le 2 est élu
-pour le scrutin majoritaire à un tour, le 1 est élu…

Pour les autres systèmes, on peut imaginer très facilement des scénarios où le 4 ou le 5 sont élus…

Le plus étonnant est de se dire qu’une procédure parfaitement démocratique donnerait un résultat qui aurait pourtant été crédité de 0% dans les sondages.

Ce petit exercice permet surtout d’aboutir à une conclusion : quand la question n’est pas binaire (c’est à dire de type oui/non), il n’existe pas une procédure démocratique pour la trancher… Cela ne veut pas dire qu’il n’en existe aucune, mais bien qu’il en existe plusieurs parmi lesquelles il faut choisir et qui donneront des résultats différents.

Je suis moi-même surpris par ce résultat…puisque je ne l’avais pas du tout en tête lorsque j’ai eu l’idée d’écrire un billet sur le sujet. J’ai découvert ce résultat en voulant illustrer ma pensée par un exemple sans penser arriver à une telle conclusion.

Comment définir la démocratie alors ? Elle se définit non par ses règles, mais par le fait que les règles sont connues et fixes et qu’elles impliquent à un moment ou l’autre l’ensemble du corps électoral.

On mesure ici l’importance d’une Constitution dans une démocratie. Elle définit les règles du jeux et donc son respect définit à lui seul l’aspect démocratique d’une décision.

Le 49-3, inscrit dans la Constitution, n’est donc pas un acte anti-démocratique, combien même on peut regretter son usage ou son inscription dans la règle du jeu.

Surtout, à moins de considérer que « quelle réforme voulez-vous pour le code du travail ?» soit une question binaire, voir un projet qui ne recueille que 30% d’opinion favorable être adopté ne signifie en rien qu’il ne l’a pas été démocratiquement. Mais je l’ai déjà dit dans ces pages, notre démocratie meurt de tout ramener à des questions binaires.

Cependant, j’y reviendrai… En effet, les leçons à tirer de cet état de fait sont innombrables à de multiples niveaux. Notamment en termes d’amélioration du système démocratique. Il faudrait évidemment être aveugle pour ne pas voir dans Nuit Debout ou la réaction au 49-3 (qui a pourtant été utilisé près d’une soixantaine de fois depuis le début de la Vème République) un malaise infiniment profond.

Un malaise qui dépasse largement la loi El-Khomeri, François Hollande ou la France. Donald Trump, l’extrême-droite en Autriche, la montée des populisme partout, sont autant de signes d’une inadéquation des systèmes démocratiques occidentaux. Et je suis atterré à quel point les analyses restent souvent bloquées à un niveau qui reste au final totalement anecdotique par rapport à la vague de fond d’un tout autre niveau qui est en train de déferler et constitue une vraie menace.

Bref, au-lieu d’écrire un roman, comme je fais trop souvent, je vais plutôt découper l’analyse en plusieurs parties. Je reviendrai prochainement tout d’abord sur les systèmes que j’ai décrit plus haut pour voir comment ils pourraient se traduire concrètement à une échelle tout autre.

DEMOCRATIE PARTICIPATIVE… LE RENDEZ-VOUS MANQUE… POUR L’INSTANT

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democratieparticipativePour beaucoup de nos concitoyens, la démocratie n’est plus réelle. On peut discuter à l’infini du fondement de cette assertion, mais le malaise, lui, est incontestable. L’abstention monte, l’indifférence, quand ce n’est pas le rejet, gagne du terrain un peu plus chaque jour. Cela met en danger le fonctionnement de nos institutions, nuit à l’efficacité des mesures prises, qui ne sont plus appropriés par ceux qui doivent les mettre en œuvre ou en bénéficier. Face à ce problème éminemment complexe, il n’y a évidemment pas qu’une seule réponse. Le régler passera par une action à de multiples niveaux. Cependant, un concept fait indubitablement partie de la solution. Un concept encore flou, qui revient souvent dans les discours, mais qui a du mal à se traduire concrètement. Le concept de démocratie participative.

Ségolène Royal sors de ce corps, a-t-on envie de me lancer. Contrairement à beaucoup d’autres, je ne renie certainement pas mon passé ségoléniste et je continue de penser, et mon sujet d’aujourd’hui en est la preuve, qu’elle est une des rares personnalités politiques de premier plan de ces dernières années à avoir lancer des idées vraiment nouvelles, vraiment innovantes dans le débat. On peut discuter à l’infini également sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas su les faire croître, mais ce n’est pas non plus le sujet du jour. Il n’empêche que c’est bien elle qui a fait entrer la démocratie participative dans le discours politique.

La démocratie participative est comme beaucoup d’idée révolutionnaire… absolument pas nouvelle. Il suffit d’ailleurs de remplacer ce mot par concertation, qui n’est pas un synonyme mais dont le sens est tout de même assez proche, et on revient vite à des notions manipulées depuis longtemps. Manipulées, mais certainement pas maîtrisées. Elles sont encore considérées par les élus, mais aussi parfois par les citoyens, de manière extrêmement réductrices et limitées. Rares sont ceux qui réalisent que ces processus ont besoin de compétences et d’outils spécifiques. Sans ces derniers, les démarches de ce type restent inabouties, décevantes et au final pas très utiles. Ce mauvais bilan ne débouche le plus souvent non pas sur une remise en question, mais plutôt sur des raisonnement du type « la concertation, j’ai essayé, ça ne donne rien ».

En tant qu’élu local, je mesure bien les limites du processus du type réunion publique accompagnée d’un registre de remarques et doléances. Il en sort parfois quelque chose d’intéressant, mais généralement à la marge des projets. C’est de la concertation médiocre, sûrement pas de la démocratie participative. On est loin de la coproduction de politiques publiques que cette dernière vise. On n’implique pas des tiers non élus à la réflexion, on leur demande simplement leur avis, ce qui n’est pas vraiment la même chose.

Il n’y a pas là forcément une volonté des élus de s’accrocher à un pouvoir de décision qu’ils ne voudraient pas partager. Il y a souvent simplement une ignorance du fait que l’on peut faire différemment et mieux. Lors de la révision du Plan Local d’Urbanisme de la ville où je suis élu, l’adjointe à l’urbanisme en charge du dossier a animé les réunions de 4 groupes de travail, chargés de faire émerger des idées… Force est de constater qu’il n’est à peu près rien sorti de ces heures passées. Quand bien même je me suis opposé à elle sur de nombreux points du projet final, je ne voudrais pas paraître trop critique en disant qu’elle n’était tout simplement pas compétente pour faire vivre un tel processus de concertation. Elle a fait incontestablement le mieux qu’elle pouvait et beaucoup aurait fait encore moins bien. Simplement, animer une concertation exige un savoir-faire spécifique professionnel qui ne s’improvise pas.

La démocratie participative cherchant à aller nettement plus loin que la simple concertation, les besoins en compétences et en outils spécifiques s’en trouvent décuplés. Et ces derniers en sont encore à leurs balbutiements et les innovations et expériences en la matière peinent à être diffusées et reconnues. Pourtant, l’émergence des outils numériques constitue une chance d’aller plus vite et plus loin. Les choses bougent lentement, mais sûrement. Le site internet Parlement & Citoyens est typiquement le genre de très bonne idées qui n’auraient pas pu exister il y a même encore dix ans, faute des moyens techniques.

Il est donc urgent que le monde politique s’en ré-empare pour de bon du concept. Le chemin sera long pour convaincre, mais il semble capital que des élus de premier plan prennent réellement cette notion à bras-le-corps pour la faire exister au niveau national. Sur les territoires, des initiatives existent déjà. Il faut que ceux qui les ont fait naître et vivre le clament et en fassent un argument pour briguer des responsabilités au niveau supérieur. Cela est d’autant plus vrai au Parti Socialiste que le parti a raté un premier rendez-vous avec cette notion. Elle est vaguement restée dans les discours, mais peine à se traduire concrètement.

L’immense succès des primaires de 2011 montre que cette démarche répond à une vraie attente. Beaucoup de citoyens ont envie de saisir la moindre occasion de s’exprimer, du moment qu’ils mesurent concrètement les conséquences de leur mobilisation. Il faut que ce lien entre l’acte qu’on leur demande d’accomplir et les évolutions qu’il est susceptible d’engendrer soit lisible, explicite, quantifiable et surtout irréversible. Sans cela, pas de confiance et beaucoup de déception à la fin.

Mais pour que cela fonctionne, il faudra aussi que le citoyen sorte de son attitude de consommateurs qu’il adopte désormais trop souvent. S’engager dans la démocratie participative (et en fait dans la démocratie tout court), c’est aussi accepter que le processus aboutisse à une décision qui n’est pas celle que l’on souhaite. Là encore, la transparence, condition indispensable à la confiance, est fondamentale pour qu’il ne subsiste aucun sentiment d’injustice ou crainte de manipulation.

La démocratie participative pose la question fondamentale du rôle de l’élu, question que j’ai déjà évoqué dans un billet précédent. Elle ne fonctionnera que si aussi bien les acteurs politiques que les citoyens acceptent le fait que l’élu n’est pas forcément celui qui apporte la solution mais celui qui apporte la méthode par laquelle elle va émerger. On peut regretter par exemple qu’un outil comme Parlement et Citoyens ne soit pas né à l’initiative d’un parti politique ? Mais à la fois est-ce si grave ? Les bonnes idées, les idées innovantes, les idées efficaces ne vont évidemment pas forcément toujours naître d’un cercle aussi restreint que celui des militants politiques. Il y a là une vraie révolution culturelle à réaliser, qui me semble inévitable, mais qui ne me semble malheureusement pas en marche à grand vitesse.

Pour résumer et conclure, la démocratie participative apparaît comme devant prendre une place de plus en plus large dans le fonctionnement de notre système institutionnel et politique. Pour cela, il faut réunir trois conditions
-des outils et des compétences spécifiques : ils sont en cours de développement mais restent trop méconnus. Les possibilités d’innovation sont très certainement immenses et insoupçonnées.
-des acteurs politiques qui s’en emparent et en fassent leur cheval de bataille. La notion est malheureusement encore très certainement trop associée à Ségolène Royal pour être prise au sérieux (c’est un constat, pas un avis personnel!!)
-des citoyens qui abandonnent l’attente d’un homme ou de solutions providentiels. Ils répondent présents quand ils sont consulter dans les conditions que j’ai énoncé plus haut, alors il n’y a certainement pas là d’obstacle insurmontable.

Cette évolution sera longue et sûrement chaotique. Mais elle semble incontournable pour éviter des chaos infiniment inquiétants.

A QUOI SERVENT LES PARTIS POLITIQUES ?

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partispolitiquesMilitant du Parti Socialiste, j’ai ces derniers jours assisté à plusieurs réunions où nous avons débattu de la déchéance de nationalité. Au milieu des discussions est apparue à plusieurs reprises cette question : à quoi sert le Parti Socialiste ? Ou, du point de vue du militant, à quoi servons-nous ? Une question fondamentale revenant de plus en plus souvent, indépendamment du contexte particulier que nous connaissons actuellement. Il est vrai que la question se pose avec plus de force pour le parti au pouvoir, mais elle dépasse largement le simple PS.

Le rôle et le fonctionnement des partis politiques n’ont guère évolué ces dernières décennies, en tout cas infiniment moins vite que la société. Leur image est brouillée et la défiance dont ils font tous l’objet est délétère pour notre démocratie. Mais alors que faire ? Quel nouveau modèle inventer ?

A mon sens, il faut partir de la réalité telle qu’elle est, pas telle qu’on souhaiterait qu’elle soit. Les responsables politiques ont désormais un rapport direct avec l’opinion. A la moindre annonce, au moindre événement, ils peuvent faire connaître leur opinion immédiatement via les réseaux sociaux. Du coup, cela a-t-il encore un sens de parler de position officielle d’un parti quand elle est forcément contredite par une partie de ses membres avant même qu’elle ne soit déterminée ? Ceux dont l’opinion est minoritaire ne vont pas soudainement changer d’avis, ni même se taire. On peut alors rechercher l’unanimité, mais il faut pour cela se rapprocher d’un plus petit dominateur commun, dont la médiocrité intellectuelle n’est plus à prouver. Un parti politique est un lieu où tout le monde n’est pas d’accord sur tout, ou face à un même problème plusieurs solutions sont proposées, acceptons-le.

Le vrai débat d’idée existe encore, bien plus que ne le croit l’opinion. Simplement, il n’a lieu que rarement dans les partis politiques à proprement parler, mais plutôt dans leurs satellites. Du think tank institutionnalisé comme Terra Nova ou la Fondation Jean Jaurès au collectif de simples militants, comme Inventons Demain ou Bouger les Lignes, ces lieux de réflexion, de travail, de recherche de solutions concrètes et innovantes sont nombreux et variés. Malheureusement, le fruit de leurs réflexions est trop peu diffusé, y compris auprès des militants des partis dont ils sont proches.

Ces entités présentent bien des avantages. Par leur diversité, ils peuvent impliquer de multiples façons ceux qui souhaitent participer à un travail de réflexion. Par leur éloignement des enjeux électoraux et de pouvoir, ils peuvent plus facilement associer des experts souhaitant apporter leur éclairage, sans forcément prendre parti. Ils constituent déjà une véritable richesse intellectuelle, mais qui ne demanderait qu’à croître encore s’ils étaient universellement reconnus comme les lieux de la réflexion politique. Ils sont en tout cas infiniment plus efficaces que tous les travaux collectifs à l’échelle du PS, où chaque section est appelée à amender un texte déjà limité par le subtil équilibre politique dont il est né et qui ne pourra plus être modifié qu’à le marge. Ils sont ainsi plus à même de proposer enfin des idées nouvelles, de libérer l’imagination dont la réflexion politique a cruellement besoin.

Mais on revient alors à la première question. S’il n’est plus le lieu de la réflexion, ce qu’il devrait être avant tout dans un monde idéal qui n’existe pas (ou plus), alors à quoi sert un parti politique ? Il doit rester celui de l’action ! Tout militant sait bien que les élections s’enchaînent à un rythme assez rapide pour que leur préparation accapare déjà une large part de l’énergie et du temps. On reproche souvent aux partis politiques de n’être plus que des machines électorales… et bien assumons-le ! Les campagnes électorales restent tout de même le moment le plus fort de la vie politique. Avoir des structures dédiées à cette seule tâche se justifie déjà amplement.

L’action politique ne se limite cependant pas aux seules campagnes électorales. En tant qu’élu municipal d’opposition, je m’efforce, avec tous ceux qui partagent mes convictions, de faire connaître nos positions sur les enjeux locaux. Mais nous avons également mené des campagnes de communication sur l’accessibilité. Dans le but de faire évoluer l’action de majorité municipale, mais aussi pour sensibiliser la population. Ce travail a fait collaborer des personnes qui ne partagent pas la même opinion sur la politique gouvernementale actuelle. Cela ne nous a pas empêché d’être, dans l’action militante, ensemble et unis. Et il existe bien d’autres sujets ou problématiques aptes à rassembler.

Séparer l’action de la réflexion présente aussi de mon point de vue un immense avantage. Les congrès du PS se focalisent uniquement sur les points de clivage, aussi minimes ou artificielles soient-ils. Du coup, les aspects organisationnels, la qualité des outils de mobilisation, de communication sont les parents pauvres de ces moments de débats et de démocratie internes. Ainsi, la vie militante au sein du PS, mais aussi ailleurs, se résume encore beaucoup au triptyque tractage, collage, réunions… Des modes d’expression largement obsolètes et cette obsolescence contribue au fossé qui se creuse entre les acteurs politiques, quel que soit leur niveau, et le reste de la population, en particulier les plus jeunes. Il est donc urgent de développer des outils de mobilisation innovants, des vecteurs de communication inédits qui ne peuvent se résumer à Facebook et à Twitter. Faire de ces questions l’enjeu principal des élections internes du parti, juger les candidats aux responsabilité sur leurs compétences en la matière, et non leur simple positionnement idéologique, permettraient de faire enfin rentrer l’action politique pleinement dans les XXIème siècle.

Reste la question de la ligne politique qui guidera l’action des futurs élus. Depuis mon adhésion, j’ai toujours toujours combattu l’idée encore très répandue au PS, qu’il fallait d’abord définir le programme puis choisir celui ou celle qui allait le porter. Cela me semble absurde et il m’apparaît infiniment plus logique de choisir en une fois le ou la candidat(e) sur le programme qu’il propose. D’ailleurs dans les faits, c’est exactement ce qui se passe déjà. Pour toutes les élections, des primaires au périmètre à définir, organisées par les militants du parti, doivent permettre de choisir aussi bien les personnes que les lignes politiques qu’elles porteront. En cas de renouvellement de mandat ou de candidat unique, le programme porté par le candidat devra être validé par référendum, non pas globalement, mais divisé en grandes orientations afin de permettre une vraie discussion et sortir du tout ou rien. Des outils numériques, comme ceux développés par le site Parlement & Citoyens, permettent facilement d’organiser une consultation très fine, avec droit d’amendement, sur chaque point d’un programme.

Il ne s’agit pas ici de minimiser la valeur du débat. Cependant, comme un débat se focalise naturellement vers les différences, aussi petites soient-elles, le voir occuper tout l’espace médiatique donne une image totalement déformée de la réflexion politique. De plus, les idées novatrices doivent avoir le temps de s’affiner, de se consolider avant de se confronter à des idées plus conservatrices déjà bien ancrées dans les esprits. Il leur faut donc des espaces où elles pourront naître et mûrir, ce que ne permet pas un parti politique supposé n’avoir qu’une seule ligne. Il faut donc passer d’un état de débat permanent à un état de réflexions (au pluriel) permanentes, réflexions qui se confronteront à l’occasion de moments forts de débat, comme des primaires. Par ailleurs, rien n’empêche des débats dans le cadre de l’action militante entre deux élections. Simplement, dans ce cas, il faut sortir de l’idée qu’il doit en ressortir une position commune ou majoritaire.

Séparer action et réflexion permettra également de surmonter quelque peu les dilemmes qui surviennent quand le parti participe à un gouvernement ou à tout autre exécutif. Cela permettra à des réflexions critiques ou des politiques alternatives d’être élaborées sans que cela n’interfère avec une action de terrain qui assurera la promotion des éléments les plus fédérateurs, comme l’aurait pu être la généralisation du tiers payant par exemple. Cette dernière n’a fait l’objet d’aucune mobilisation militante alors qu’elle était fortement attaquée par des lobbies, tandis que les membres du parti débattaient à l’infini sur l’efficacité d’un CICE qui n’avait même pas eu le temps d’être pleinement mis en place. Pour les élus en place, la diversité et la profondeur de réflexions plurielles doivent pouvoir inspirer des politiques plus innovantes que celles s’inspirant de positions issues d’improbables synthèses ou compromis au sein du parti.

Cette séparation entre action et réflexion permettra à tous ceux qui veulent s’engager politiquement de trouver leur place. Tout le monde n’a pas envie de distribuer des tracts sur les marchés, mais peut avoir envie de mettre ses compétences et son expérience pour trouver des solutions aux problèmes qui lui tiennent à cœur. Tout le monde n’a pas envie de discuter pendant des heures et des heures sur l’opportunité de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, mais peut avoir envie d’aller au contact de ses concitoyens pour défendre des valeurs. Et ceux qui souhaitent faire les deux pourront s’investir dans les deux types de structure qui auront chacune gagné en efficacité puisque leurs rôles auront été clairement défini.

Toutes ces considérations ne constituent que l’ébauche d’une réflexion. Elle doit évidemment être poursuivie. Podemos constitue par exemple un autre modèle. Mais je connais beaucoup de gens déçus par les tentatives de faire de la politique autrement, au Modem ou à Nouvelle Donne. Les rivalités de personnes finissent toujours par ressortir, l’être humain étant ce qu’il est. Ce que je propose ne correspond pas à mon idéal mais de ce qui me semble le plus proche d’une réalité qui s’impose à nous et qu’il est nécessaire de positiver. Elle ne constitue pas une révolution. Mais la défiance envers les partis politiques ne vient pas tant de ce qu’ils sont, mais du décalage entre ce qu’ils sont et ce qu’ils prétendent être. Réduire ce décalage est indispensable à une confiance restaurée. Il y a urgence car les partis politiques sont des structures moribondes et dont on peut même prévoir la disparition. Mais sans eux, comment imaginer la démocratie ?

CHANGEONS !

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changementAu cours de ces dernières semaines, les appels au changement furent nombreux, en particulier dans la foulée des élections régionales. Evidemment, les changements en question concernaient rarement ceux qui les proféraient. Par contre, la fin d’année approchant, il est de tradition de prendre des résolutions pour soi-même. L’un et l’autre sont rarement suivis d’effet, mais étant un homme optimiste et plein d’espoir, j’ai décidé de mélanger un peu des deux en évitant si possible ce que j’abhorre le plus dans les discussions politiques, à savoir le don de leçons à bon compte. Alors, c’est pour cela que j’ai employé un « nous » tout ce qu’il y a de plus collectif et dans lequel je m’inclus volontiers. Il est évident que le changement ne doit pas concerner la seule classe politique, mais bien toute la société, des citoyens aux médias. Cependant, ce billet reste tout de même le discours d’un militant politique.

Changeons… notre rapport à la réalité

On peut regretter avec autant de force que l’on voudra quelque chose, ce dernier n’en restera pas moins vrai. Ah si les gens s’intéressaient au fond des choses… Ah si les gens étaient cohérents… Ah si les gens étaient moins égoïstes… Ah si les gens étaient plus tolérants, intelligents, éduqués, de gauche, de droite, raisonnables, patients, objectifs… Ah si les gens votaient en plus grand nombre ! Bref si les gens (ou les citoyens, ou le peuple, enfin comme vous voudrez) étaient différents. Sauf qu’ils ne le sont pas ! Cela ne veut pas dire qu’il faut être résigné, mais aucun changement ne surviendra si on ne part pas de la réalité telle qu’elle est.

Communiquer est souvent vu comme un gros mot et opposé au débat intellectuel de fond, qui demande du temps et de la profondeur. Communiquer revient à privilégier la forme sur le fond. Cependant, dans un monde où l’on reçoit des centaines d’informations et de messages par jour, il est évident que la forme doit être soignée pour que le message ne se retrouve pas noyée et inaudible. Or peu de choses évoluent aussi vite que nos moyens et nos façons de communiquer. Le débat politique, public ou intellectuel doit évidemment s’adapter. Or le travail de réflexion et d’innovation en la matière reste très insuffisant. Pour beaucoup, la campagne « à la Obama » est le summum de la modernité, en oubliant qu’elle a eu lieu il y a bientôt 8 ans, soit une éternité.

Il est clair que le monde politique ne sait plus parler aux citoyens, promouvoir ses idées et mettre en valeur ses réalisations. Le citoyen perd alors tout intérêt pour la politique. On peut le regretter à l’infini, mais cela ne changera pas à coup d’injonctions et de discours culpabilisants ou en brandissant indéfiniment la peur du Front National. Il y a un travail constant d’adaptation à réaliser et aucune fatalité.

Ce rapport à la réalité ne se limite évidemment pas à la communication politique. Par exemple, le développement des nouvelles technologies a un fort impact sur notre organisation socio-économique. Il n’en est pas moins inéluctable. On peut toujours interdire un Uber, dix autres surgiront demain dans d’autres domaines. Il ne s’agit plus d’empêcher une mutation, même pas de la ralentir, mais de mesurer ses avantages et les problèmes qu’elle pose pour y répondre. Le déni représenterait évidemment la pire des situations. Là encore, il ne s’agit pas de subir, de se soumettre à une réalité, mais de la comprendre, de se l’approprier pour la faire évoluer dans une direction qui nous semble la bonne. Mais tant que l’on ne part pas d’elle, le combat est perdu d’avance.

Il est vrai cependant que tout cela est rendu difficile par la vitesse avec laquelle tout cela évolue.

Changeons… notre rapport au temps

« Le changement, c’est maintenant »… Le slogan de François Hollande est désormais un objet de raillerie. Il faisait en effet une promesse que l’action publique n’est guère en mesure de tenir, celle de l’immédiateté. La plupart des changements prennent du temps, du fait de la lenteur des procédures mais aussi (surtout ?) du temps de réaction de la société et de l’économie face à une impulsion donnée par la puissance publique. Qui peut imaginer que des sujets comme le chômage, les inégalités, l’environnement, l’urbanisme, les transports peuvent connaître un grand soir qui verrait la situation changer concrètement du jour au lendemain.

L’exemple du CICE est de ce point de vue là particulièrement éclatant. Annoncé par le Président de la République début 2013, il lui aura fallu une loi de finance et deux exercices fiscaux pour monter en régime et se concrétiser pleinement auprès des entreprises, soit près de 2 ans et demi. Et encore, il faut laisser du temps à ces dernières de l’intégrer et de le valoriser. Son impact réel n’est donc pas encore connu, alors qu’il apparaît déjà comme une mesure ancienne et que ses détracteurs ont déjà jugé inefficaces.

Le temps politique est très différent du temps médiatique et même désormais du temps économique. Un sujet ne va occuper la une des journaux que quelques jours et la mutation numérique impose une évolution rapide de pans importants de notre économie. Là est la réalité qu’il faut prendre en compte, qu’on la déplore ou non. Si le débat public ne s’adapte pas, il restera éloigné des citoyens et apportera toujours des solutions déjà obsolètes. A mon sens, cela impliquerait notamment l’abandon du bicamérisme pour éviter les allers et retours pendant des mois entre l’Assemblée et le Sénat. Chaque loi serait adoptée après un seul débat dans une Chambre unique, ce qui serait plus lisible pour le grand public et permettrait aux annonces de se concrétiser beaucoup plus rapidement.

Paradoxalement, un débat public mieux compris, plus clair, plus adapté à notre époque permettrait d’adopter plus facilement des solutions à long terme. Bien sûr, cela demandera aussi un effort de la part des citoyens qui devront comprendre que certaines difficultés se règlent dans la durée. Cela sera d’autant plus facile que les débats ne s’arrêteront pas à la simple adoption des lois.

Changeons… et donnons nous le droit à l’erreur

Notre pays souffre d’un manque cruel d’évaluation des politiques publiques. La Cour des Comptes remplit bien ce rôle, mais une optique avant tout financière. Pourtant, dans un monde qui évolue très vite, il semble d’autant plus vital de pouvoir ajuster la machinerie publique au fur et à mesure et de ne plus perdre de temps en allongeant la durée de vie de dispositifs qui ne fonctionnent pas. L’idée semble simple et de bon sens, pourtant elle est très délicate politiquement.

En effet, l’évaluation n’a de sens si on est capable de reconnaître ses erreurs. Et sans erreur, pas d’innovation. Or, avez-vous déjà vu un homme politique dire facilement qu’il s’est trompé ? Et s’il le fait, c’est avec moult périphrases pour faire croire que l’erreur n’en est pas une. En tant qu’élu local, je sais combien d’énergie j’ai du déployer pour faire admettre à la majorité municipale qu’elle n’avait rien fait en matière d’accessibilité et qu’elle mettait la ville dans l’illégalité la plus complète. C’était pourtant simplement vrai…

Mais voilà, on ne peut pas demander non plus au personnel politique d’accepter aisément de se suicider. Car la moindre erreur vous coûtera cher. Demandez donc à Myriam El-Kaoutari, ce qu’elle en pense ! C’est aussi au citoyen de changer et de voir dans un homme politique qui dirait « je me suis trompé » ou bien « je ne sais pas » un homme dans lequel on peut avoir justement confiance. Or c’est loin d’être le cas…

Changeons… le rôle de l’élu

Dans l’esprit de nombre de nos citoyens, la lumière vient toujours d’en haut. Le responsable politique doit trouver des solutions à tous les problèmes grâce à ces compétences. A défaut, il s’agit d’un escroc qui ne mérite ni son poste, ni son salaire et il se retrouve directement responsable de tous les maux de la Terre. Il doit être expert en tout et gare à lui s’il commet la moindre erreur ou s’il connaît le moindre échec.

Cette vision totalement verticale du fonctionnement de nos institutions et de la prise de décision politique est profondément dans notre culture nationale. En 2016, la France reste un pays profondément jacobin et quelque peu nostalgique de la monarchie. Et si cela se ressent dans le secteur public, nos grandes entreprises nationales baignent aussi largement dans cette culture. Mais voilà, la réalité, toujours elle, est que nous vivons dans un monde toujours plus horizontal.

L’élu doit donc cesser de se comporter comme le sachant qui détient la solution aux problèmes et le citoyen doit cesser d’attendre qu’il le soit. C’est un serpent qui se mord la queue et je ne sais pas très bien qui doit commencer. Mais il est urgent que cela change. La puissance publique doit prendre l’intelligence où elle est… c’est à dire partout ! Et pas simplement derrière les portes des cabinets ministériels. Cette évolution est pour moi certainement la plus essentielle et surtout la plus irrémédiable. Reste à savoir si la transition se fera ou non dans la douleur.

Mais tout espoir est loin d’être perdu. Nos élus n’étant pas les incompétents abrutis que certains voudraient, des initiatives dans ce sens ont déjà été prises. Des exemples de démocratie participative dans les collectivités avec l’amorce de budget participatif de la ville de Paris. Mais aussi des exemples d’interactions fortes entre les acteurs publics et une expertise extérieure, y compris au niveau de l’Etat. La loi sur le numérique présentée le mois dernier par Axelle Lemaire a fait l’objet d’une grande consultation sur Internet qui a fait évoluer de manière significative le projet de loi. Dans la même idée, l’expérimentation des territoires zéro chômage de longue durée, qui a fait l’objet d’un vote unanime à l’Assemblée Nationale, est le fruit de l’appropriation par la puissance publique d’un dispositif imaginé par un acteur associatif, à savoir ATD Quart-Monde.

Il est vraiment regrettable que ces initiatives n’aient pas fait l’objet d’une plus forte médiatisation. Cela reste peut-être timide, mais cela représente pour moi l’avenir de l’action politique. L’élu doit passer du rôle d’inventeur de solutions à celui qui saura les faire émerger d’une réflexion qui aura impliqué une base beaucoup plus large. Il occuperait alors réellement son rôle d’arbitre qui devrait être déjà avant tout autre le sien. Ce changement assez fondamental ne devra cependant pas concerner que les élus. Les corps intermédiaires, partis politiques, syndicats, associations représentatives, devront aussi s’adapter. Le passage d’une structure pyramidale et une structure beaucoup plus horizontale ne peut se faire que par la pointe, mais doit bien concerner toute la structure préexistante.

Il doit donc aussi concerner les citoyens. Tous les élus locaux savent bien que la concertation se heurte souvent à une immense indifférence de la part de ceux même qui n’arrêtent pas de prétendre qu’on ne les écoute pas. Mais il est vrai aussi, que la concertation est souvent assez improvisée et se limite à un simple cahier de doléances mis à disposition. Or, il existe bien des techniques et des outils bien plus efficaces pour la mener. Le développement des outils numériques doivent les rendre plus accessibles et aider à leur diffusion.

Mais il est aussi capital que le débat se fasse sur des bases saines.

Changeons… et sortons du manichéisme

Oui ou non, pour ou contre, droite ou gauche, gentil ou méchant… Le débat politique se limite souvent à une discussion totalement binaire où tout est blanc ou noir. Tous les acteurs savent que ce n’est pas vrai, mais pour avoir un impact médiatique fort, il est important de surjouer tous les désaccords. Les réseaux sociaux n’ont d’ailleurs rien arrangé en la matière. Ceci pourrit totalement la qualité du débat, qui s’apparente de plus en plus à un échange d’invectives.

Mon fameux principe de réalité me fait dire que sortir de cet état de fait se révélera particulièrement compliqué. Si vous adoptez une position moins tranchée et que cela vous fait immédiatement disparaître des médias, vous ne serez pas du tout incité à vous comporter de la sorte. Alors peut-être que c’est avant tout à ces derniers de donner l’exemple. Et une des manières les plus simples de le faire est de modifier la manière dont les questions sont posées dans les sondages.

Si on avait transformé le référendum sur la Constitution Européenne en une question du type : vous souhaitez 1-que le texte soit adopté, 2-que le texte soit revu, 3-que l’on reste à la situation actuelle, 4-que l’on ne soumette à aucun texte et que l’on sorte de l’Union Européenne, il est évident que c’est très certainement la première option qui l’aurait emporté. En évitant d’agglomérer des oppositions reposant sur des motivations totalement différentes, on aurait réalisé une véritable consultation citoyenne reflétant beaucoup plus clairement le sentiment de chacun.

Mon exemple n’est pas peut-être pas parfait car un référendum doit aboutir à une prise de décision et une majorité y est sans doute nécessaire. Par contre, si les sondages s’inspiraient de ce modèle, cela irriguerait de manière beaucoup plus vertueuse le débat politique. Cela empêcherait déjà certains de s’approprier un camp du non qui recouvre le plus souvent des opinions très différentes des siennes. Et cela forcerait tout le monde, y compris le citoyens, à se positionner systématiquement pour quelque chose et non contre. Certes, cela peut-être pour quelque chose en réaction à quelque chose d’autre, mais c’est le « pour » qui compte.

Et au premier rang des sujets que cela doit concerner, la lutte contre le Front National…

Changeons… notre manière de lutter contre le Front National

De mon point de vue, le problème est assez simple. La meilleure façon de lutter contre le Front National est encore de ne JAMAIS en parler. On le laisse communiquer, on ne le censure pas, il a le droit d’exister, mais on ne lui fait jamais de publicité en l’évoquant ou en lui répondant. Je suis profondément convaincu qu’il n’existe pas de mauvais publicité. Parler de quelque chose, c’est déjà le faire connaître et l’aider à diffuser ses idées.

Personnellement, j’ai mené une campagne municipale sans mentionner nulle part sur aucun de mes documents la majorité municipale sortante. Certes, dans le cours de mon mandat, en tant que leader de l’opposition, je suis amené à commenter les décisions prises par mon Maire et son équipe. Mais la campagne électorale est pour moi le moment de la confrontation des projets et ce n’est pas à moi de distribuer les bons ou les mauvais points, mais aux électeurs. Et je suis persuadé que cette attitude ne m’a coûté aucune voix. Bon, pas évident qu’elle m’en ai rapporté beaucoup, mais je sais qu’elle m’a fait gagner le respect de beaucoup d’acteurs de la commune qui me témoigne une confiance que je n’aurais pas gagné autrement.

Plus largement, comment voudrait-on que les citoyens ne pensent pas que tous les hommes politiques dont des crétins incompétents… quand ils ne cessent entendre des hommes politiques parler dans le médias pour dire, à propos d’une autre personnalité politique, qu’elle est un crétin incompétent ? Arrêter de parler des autres, mais à la place parler uniquement de soi et de ce qu’on propose peut paraître un principe angéliste et particulièrement utopiste, mais je crois qu’il est peut-être le préalable à tout le reste.

Comme je l’ai moi-même exposé, ce n’est pas parce que j’aurais écrit ça au bout d’un texte de 4 pages que peu de gens liront, que la réalité changera. Le problème est bien qu’à chaque scrutin la réalité des problèmes rattrape un peu plus non pas simplement le microcosme politique, mais toute la société. Et le choc pour être un jour brutal et catastrophique. Je reste encore assez optimiste pour penser qu’il pourra être éviter. Mais pour cela il faudra changer…

… Alors changeons !

LA GUERRE EN FACE

13novembre

13novembreLors du dernier Congrès du Parti Socialiste, nous avons eu l’occasion d’écouter Asya Abdullah, commandante des forces kurdes à Kobane nous parler du combat qu’elle et ses hommes mènent face à Daech. Un combat fait d’armes, de tirs, de positions, d’assauts, de sièges, de ligne de front, de blessures, de mutilations et bien sûr de morts. Bref, elle nous parlait d’une guerre, de la guerre telle qu’elle se pratique depuis toujours, de la guerre abomination ultime du comportement humain.

Dans la salle, le silence était respectueux, les cœurs serrés. Son discours a pris l’auditoire aux tripes. Et les applaudissements furent le signe d’une profonde émotion, d’un respect infini pour ce courage et les souffrances subies. Au milieu de nos histoires de motion et de CSG, cette intervention a constitué un retour à une réalité dont nos débats politiques au ras de la moquette semble bien éloignés. Une manière brutale de relativiser, emplie de larmes et de sang.

Mais dans nos applaudissements, il y avait aussi une forme de soulagement. Nous étions heureux de voir qu’il y avait des gens pour mener ce combat, combat au vrai sens du terme. De vivre cette guerre, cette horreur quotidienne dont notre société semblait à jamais protégée. Dans nos applaudissements, il y avait aussi un espoir. L’espoir que ce courage suffirait à détruire Daech, qu’il nous protégerait de lui, qu’il nous protégerait à jamais de la guerre. Pas de celle que l’on vit à travers son écran de télévision, dans des images venus de territoires lointains. Mais celle qui marque dans la chair.

Cette réalité là nous a rattrapés de manière brutale et dramatique. Notre pays, notre nation est en guerre. Elle l’a été et l’est toujours au Mali, où des soldats français sont morts. Elle l’est en Syrie et en Irak, même si ce n’est qu’au travers de moyens aériens. Tout cela pouvait nous paraître loin, ne concerner que quelques professionnels. Mais non, cela nous concerne tous, cela fait de nous tous, citoyens français, les acteurs d’un conflit qui nous semblait jusqu’à vendredi totalement étranger à notre réalité quotidienne et concrète.

On peut débattre longtemps de l’historique qui nous a conduit à cette situation. De la pertinence des choix que notre pays et d’autres pays occidentaux ont pu faire ces dernières années. De notre incapacité à régler certains problèmes au sein de notre propre société qui crée un terreau propice au basculement d’esprits fragiles. Il y a dans ce domaine autant d’analyses qu’il y a d’analystes, tant les choses sont complexes, les dimensions superposées et les causes et conséquences multiples. J’essaye tant faire se peut de ne pas dépasser mon domaine de compétences dans ces pages, alors je n’ajouterai pas ma pierre à l’empilement des explications, même si j’ai évidemment mon opinion sur le sujet.

Je ne m’improviserai pas non plus en spécialiste de la géopolitique et de la tactique politico-militaire. Il est clair que nous sommes engagés dans un cercle vicieux que nous avons très certainement contribué à engendrer. Arriver en croisés, penser tout régler de manière unilatérale, ou même avec l’aide de quelques alliés occidentaux, à coup de bombes et d’une intervention militaire au sol constituerait très certainement une erreur funeste qui renforcerait encore le cercle. Mais que faire alors ? Je n’ai certainement pas la prétention d’avoir la réponse.

Simplement, j’entends parler dans beaucoup de discours prononcés depuis vendredi d’une guerre contre le terrorisme, radicalement différente de la guerre telle que l’on se l’imagine habituellement. Certes, cette dimension appelle des réponses d’une toute autre nature. Cependant, ce n’est pas de ça dont nous avait parlé Asya Abdullah au mois de juin. Ce qu’elle vit, c’est bien une guerre au sens premier du terme, avec en face d’elle une armée ennemie au service d’une structure qui se veut un état, qui a une capitale, contrôle un territoire, lève des impôts et a un chef. C’est aussi cette guerre là qui nous a rattrapé vendredi. Une guerre dont nous faisons déjà parti et dont on ne peut nier l’existence.

Si je ne sais comment y mettre fin, ce que je sais, ce que je mesure encore plus fortement depuis vendredi soir, c’est la chance incroyable, historique, que j’ai, moi, Français, né en 1979. Pour moi, la guerre, celle qui blesse, tue et fait couler le sang dans ma propre ville reste un concept si étranger, si inconcevable qu’il représente une horreur absolue quand il se manifeste. Peut-être qu’aujourd’hui, c’est une faiblesse, que cela me rend vulnérable, que cela fait de moi une cible facile. Mais cela n’est rien comparé à la bénédiction offerte par la paix que mon pays, sur son sol, connaît depuis 1945.

Alors que cette horreur ne nous fasse jamais renoncer à tout ce qui a contribué à cette paix. A la démocratie, à la volonté de vivre dans une société ouverte, tolérante, qui soutient les plus fragiles. Que les travers de nos institutions nationales et européennes ne nous fassent pas oublier qu’il n’existe aucun autre modèle apportant la paix et la sécurité. Qu’aucun pouvoir fort et autoritaire ne permet l’épanouissement des citoyens. Que si notre liberté est autant haïe par certains, si elle est attaquée, c’est parce qu’elle est notre force, pas notre faiblesse ! Que protéger la fraternité et le vivre ensemble n’est pas de l’angélisme mais un combat difficile et exigeant. Que la violence est souvent l’expression de la lâcheté et non du courage !

Mais souvent n’est pas toujours…

LE MONDE EST GRAND, JE SUIS TOUT PETIT

lemondeestgrand

lemondeestgrandPourquoi s’engager en politique ? Pourquoi s’engager tout court d’ailleurs, mais puisque je vais vous livrer là une réflexion toute personnelle, je vous livre cette question existentielle telle que je me la pose. Mais mon propos pourra largement s’appliquer à d’autres formes d’engagement. Un tel acte est forcément mû à des degrés divers par une volonté de changer le monde. Voilà un beau lieu commun, mais je n’ai pas trouver meilleure formulation pour résumer ce qui habite à peu près tous les militants que j’ai pu croiser dans ma vie. Ceci n’empêchant pas le fait que chacun d’eux propose une définition très personnelle de ce que ce que peut bien être ce changement désiré.

Après l’enthousiasme des débuts, le militant va vite s’apercevoir que le monde évolue en se foutant largement des actions qu’il peut mener. Déjà parce que le monde ne peut se résumer à une seule et même cause. La politique est censée être le domaine voué à embrasser toutes les causes et traiter tous les sujets. Cependant, nos vies, nos comportements, nos choix individuels façonnent notre monde peut-être infiniment plus que les lois et les règlements, finalité de l’action politique. Et heureusement, j’ai envie de dire. Mais dans une optique purement militante, cela ne condamne-t-il pas toute action à l’impuissance ?

Cette année 2015 fut malheureusement particulièrement propice à ce blues du militant de terrain (je trouve ça plus sympa que « de base »). Commencée avec Charlie, elle se poursuit dans un flot de migrants et se terminera avec une grande messe consacrée au réchauffement climatique. Autant de problèmes géopolitiques qui semblent rattraper notre réalité quotidienne, mais dont l’ampleur nous dépasse largement. Autant de sujets de révolte qui nourrissent le feu militant en chacun de nous, mais qui peut aussi nous plonger dans une abîme de découragement. Les réponses apportées par en haut semblent toujours loin de l’importance des enjeux et l’action de terrain ne peut apporter qu’une réponse insatisfaisante.

Cette impuissance conduit également parfois à une forme de culpabilité. En effet, le militantisme rend particulièrement attentif aux discours dénonçant l’inaction ou l’inefficacité face à ces problèmes. Ces reproches s’adressent avant tout aux « puissants », mais se faire interpeller directement sur un marché fait partie du lot de tout militant politique un tant soit peu actif. Du coup, on se sent parfois un peu complice, comme s’il l’on servait d’alibi à tous ceux qui du haut de leur tour d’ivoire complote pour leur propre intérêt, au détriment de l’intérêt général.

Du coup, il est tentant de renoncer tout simplement. Car si, individuellement, notre action n’a qu’un effet ridiculement négligeable, notre défection ne changera pas non plus la face du monde. J’y gagnerais des heures plus agréablement passées qu’en réunions un peu vaines ou en tractages dans le froid face à une foule totalement indifférente. J’y gagnerais le droit de critiquer tant qu’on voudra, sans jamais avoir à défendre une position commune qui n’est pas tout à fait celle qu’on aurait adopté. J’y gagnerais le droit de ne pas être cohérent, pragmatique, mesuré. Bref une tranquillité d’esprit soudaine. Le monde continuerait à aller toujours aussi mal, mais au moins je ne me sentirais plus coupable, responsable ou complice de quoi que ce soit.

Pourquoi continuer alors ? Pourquoi continuer à faire partie d’un système dont je mesure toujours un peu plus les travers parfois insupportables ? Pourquoi dépenser autant de temps et d’énergie dans des combats électoraux dont l’impact sur la marche du monde est au fond minime, si ce n’est pour ceux qui y gagneront un mandat ? 2015 aura été l’année où je me serai posé le plus cette question. Pour beaucoup de raisons, tenant aussi bien du contexte international, que de la politique purement nationale et de ma vie personnelle. Pourtant, je suis encore là et j’ai encore finalement l’intention d’y rester.

Déjà parce que l’impression que tout va mal, que rien ne change, que personne ne peut rien pour rien ne résiste pas à une analyse objective et sereine. Notre culture de l’immédiateté nous fait oublier que le si les crises sont souvent violentes et soudaines, les solutions se construisent dans la durée. Il y a une différence fondamentale entre critiquer une politique parce qu’elle va dans le mauvais sens et la critiquer parce qu’elle ne va pas assez vite ou pas assez loin. Mais le citoyen se comporte de plus en plus comme un consommateur ne supportant pas que l’action collective ne se plie pas à ses exigences. J’ai été frappé de lire un article il y a quelques jours sur l’augmentation trop lente du nombre de professeurs en primaire. Frappé par l’agressivité, le manichéisme des propos rapportés. Cela tient sûrement en partie d’un certain travers du style journalistique, mais il y a quand même une différence abyssale entre ce gouvernement qui augmente le nombre de postes, même si cette augmentation se heurte à des contraintes budgétaires et techniques (postes ouverts mais non pourvus faute de candidats, formation initiale rétablie, ce que tout le monde souhaitait, mais qui mécaniquement décale le temps entre le recrutement et l’arrivée des nouveaux professeurs devant les classes…) et le précédent qui supprimait des postes. Mais rien dans le texte, les citations ne semblaient vouloir faire cette distinction, faire preuve de mesure. C’est blanc ou c’est noir ! Et comme cela ne va pas assez vite, c’est noir !

C’est un exemple parmi tant d’autres, à notre petite échelle hexagonale qui plus est. 2015 ne fut pas marqué que par des catastrophes. On ne s’est malheureusement pas trop attardé sur l’accord signé par 62 pays pour lutter contre l’évasion fiscale, événement historique. Là encore, on peut sombrer dans le « ça ne va passez loin », mais il n’empêche qu’il s’agit d’un progrès sans précédent dans un domaine où la coopération internationale à cette échelle n’existait pas. 2015 fut l’année où l’ONU s’est dotée de nouveaux objectifs de développement. On pourrait n’y voir que de la poudre aux yeux, mais ce fut aussi l’occasion de faire le bilan des objectifs du millénaires fixés en 2000 pour constater que beaucoup ont été atteints, certains largement dépassés même. Pas tous certes, on aurait pu encore faire mieux, mais des gens se sont battus pour obtenir ces résultats et leur combat n’a pas été vain.

Bien sûr, en tant que militant socialiste viroflaysien, je peux difficilement mettre à mon crédit la moindre de ces avancées. Mais il y a là des raisons de ne pas désespérer. Elu d’opposition, mon bilan est de toute façon limité. Cependant, j’ai aussi des raisons d’être fier. D’avoir dirigé une campagne des départementales où nous aurons privé le Front National d’une deuxième tour sur notre canton. De voir notre travail de fond sur l’accessibilité porter ses fruits et obliger la majorité municipale à bouger. Ce travail, ce ne fut pas de nous contenter de pousser des cris d’indignation sur Facebook, mais a nécessité un travail d’appropriation des textes de lois, de l’ensemble des enjeux que recouvre ce problème plus large que l’on imagine, un travail de recherche sur les solutions apportées dans d’autres communes. Tout cela pour bâtir des argumentaires assez solides pour être irréfutables. Bien sûr, on reste loin d’avoir apporté une solution à tous les problèmes qui se posent dans ce domaine dans notre commune. On peut même dire que l’on n’a même pas encore commencé. Mais les quelques remerciements reçus par des personnes qui souffrent de handicap juste pour en avoir parlé redonnent une motivation qui pourrait s’éteindre par ailleurs.

Pour finir, je voudrais aussi dire que si je continue à être militant politique, c’est aussi parce que je connais la valeur de ceux qui partagent ce combat. Et pas forcément que dans mon camp d’ailleurs. Certes, le jeu politique fait que l’on offre trop souvent un spectacle navrant. Je suis désespéré en constatant que l’immense majorité de la parole politique rapportée dans les médias consistent à entendre un acteur politique dire du mal d’un autre acteur politique ou de ce qu’il propose. Personnellement, je conçois l’action politique comme un combat pour défendre des idées, des valeurs, pas pour attaquer qui ou quoi que ce soit.

Si je militerai dans les semaines à venir pour la liste socialiste pour les élections régionales dans les Yvelines, c’est aussi parce que je connais chacun de ceux qui la composeront. Certes, pour certains, je pourrais facilement mettre en avant certains reproches que je pourrais formuler à leur encontre. Mais je sais surtout que tous ont choisi la voie de l’action face à l’indifférence, en politique, mais aussi souvent en parallèle dans des engagement associatifs. J’ai été profondément marqué de voir à l’occasion du dernier forum des associations ou lors de la récente réunion sur l’accueil des migrants à Viroflay combien ma génération est tout simplement absente. Pas simplement du combat politique, mais de toute forme d’engagement ou de solidarité. Alors il n’est pas question d’abandonner moi aussi et d’abandonner ceux qui ont fait le choix de l’engagement, combien même cela ne fait pas d’eux des anges ou des êtres parfaitement vertueux et capables de trouver une solution à tous les problèmes qu’ils affrontent.

Oui ce combat, comme les autres, ne changera pas radicalement la face du monde. Mais je sais que si je ne le mène pas, d’autres s’en chargeront, mais pas forcément dans le sens que je souhaiterais. Et cette fois-ci, c’est une culpabilité que je ne suis pas prêt à assumer.

EXEMPLAIRE SECURITE ?

champignonatomique

champignonatomiqueIl y a 70 ans à Hiroshima et Nagasaki, l’humanité est entrée dans une nouvelle erre. Celle où notre espèce est en mesure de détruire totalement le monde dans lequel il vit. A l’époque, beaucoup craignait que la guerre froide nous conduise inexorablement vers cette apocalypse. Il n’en a rien été et si d’autres menaces sont nées depuis, la perspective d’une telle annihilation semble s’être éloignée. Comme si le fameux principe de l’équilibre de la terreur fonctionnait réellement. Du coup, est-on plus en sécurité dans un monde où l’arme atomique est largement partagée ?

Cette question se pose d’autant plus dans notre pays. La France fait partie du club fermé des puissances nucléaires. Doit-on s’en réjouir ? Personnellement, je n’ai jamais été vraiment rassuré de voir des militaires armés de mitraillettes arpenter les gares parisiennes. J’ai beau me dire qu’ils sont là pour me protéger, je ne peux m’empêcher de penser que s’ils devaient un jour avoir à se servir de leur arme, je ne donnerai pas cher de ma peau si je suis dans les parages. Evidemment, la raison nous rappelle que l’intérêt est avant tout dissuasif, mais les croiser est plus stressant que rassurant.

Pour l’arme atomique, c’est exactement la même chose. Dans un monde où de nombreux pays en sont pourvus, un raisonnement purement intellectuel me conduit à préférer être du côté de ceux qui la possèdent. Mais franchement, si notre pays en était dépourvu, que cela changerait-il ? Quel est l’ennemi que nous décourageons par notre arsenal nucléaire ? J’ai bien du mal à apporter des réponses à ces questions qui me conduisent à conclure à une utilité réellement fondée. Alors si on osait y renoncer ?

Ce qui serait réellement rassurant, ce serait un monde totalement débarrassé des armes nucléaires. Ceci est évidemment un vœux pieux, bien difficile à mettre en œuvre. Il suffit d’un seul participant refusant de jouer le jeu pour que tous les autres n’aient aucun intérêt à respecter leur parole, à moins d’offrir un pouvoir démesuré à une nation indigne de confiance. Mais la défiance généralisée reste le meilleur moyen de ne jamais arriver à rien, fournissant à chacun une excuse un peu facile. Si personne ne fait le premier pas, personne n’avancera jamais.

Alors évidemment, le souhait de voir la France abandonner l’arme nucléaire peut être considéré comme un souhait naïf et irresponsable. Pourtant, il est quasi certain que rien ne changerait au destin de notre nation. Ca ne coûterait donc pas grand chose de donner l’exemple. Et mériter à nouveau quelque peu le titre très surfait de patrie des droits de l’homme ne serait-il pas une belle façon justement de renouer avec notre destin ?

LE CONGRES, LE PARTI SOCIALISTE ET MOI…

congrespoitiers

congrespoitiersCela fait un moment que je n’ai pas écrit un billet dans cette rubrique de mon blog. Pourtant, le parti où je milite vient de traverser le moment qui se prête le plus aux analyses et aux commentaires sur sa propre action. Un congrès est une séquence longue qui aura occupé les militants socialistes pendant près de trois mois et qui vient à peine de s’achever avec la constitution des listes pour les Régionales, qui ont largement découlé du résultat des différentes élections internes.

Ce moment de militantisme intense prend évidemment beaucoup de temps… ce qui en laisse d’autant moins pour s’amuser à discourir sur le net. De plus, les affaires internes au PS ne concernent que ses militants et ont déjà trop tendance à s’étaler en dehors pour ne pas en rajouter une couche. En m’inscrivant dans une organisation collective, j’en accepte les règles du jeu et je serai publiquement solidaire de ce qui ressort de ce moment somme toute démocratique, même si le résultat n’est pas celui que j’escomptais. Que ça soit localement ou nationalement. Ceci explique donc mon silence pendant tout ce temps.

Je ne vais donc pas rentrer dans les détails de tout ce à quoi j’ai pu assister pendant ces trois derniers mois. C’était la première fois que je suis autant impliqué dans une telle séquence, c’était la première fois que je me rendais physiquement à un congrès national, j’aurais donc beaucoup à dire sur la manière dont tout cela s’est passé, sur le microcosme politique en général et la manière dont se forment les élites politiques de notre pays. S’il me restait une once d’illusion idéaliste sur ce milieu, je l’ai définitivement perdue. Il me serait donc particulièrement facile de me lancer dans une diatribe contre ces hautes sphères qui ne se soucient guère du brave militant de terrain que je suis, et encore moins du peuple. Je pourrais sombrer dans l’aigreur et le mépris, charger le « système » et ceux qui le font vivre de toutes les fautes, de l’entière responsabilité de tous les malheurs du monde et de toutes les injustices. Mais je laisse ça à d’autres qui le font bien mieux que moi.

Un congrès devrait être un moment d’introspection pour chaque composante du Parti Socialiste. Du 1er secrétaire national au militant de base. Mais ce qui m’a frappé, c’est l’incapacité chronique de chacun à faire son propre bilan avant de faire celui, forcément mauvais, des niveaux supérieurs. Evidemment, cela n’a rien de spécifiquement socialiste, cela se vérifie dans à peu près toute organisation humaine pyramidale. Cela traduit à mon sens une perte du sens collectif que je ressens à tous les niveaux et dont j’ai déjà maintes fois parlé. Personne n’est plus responsable de rien, ne veut surtout pas l’être, mais ne se privera pas d’exprimer son mécontentement à la première décision qui lui déplaît. En tant qu’élu local, je le ressens au travers de l’indifférence décourageante de la population qui ne porte aucun intérêt aux sujets de fond, mais se mobilisera contre le premier immeuble construit en face de chez eux.

Si on en revient au congrès du PS, tout cela donne naissance à la figure du « saint militant », que personne n’osera jamais critiquer, tout comme aucun homme politique ne dira plus jamais « les Français sont de veaux ». Et comme la base ne s’adonne que très difficilement à l’autocritique cela aboutit à des analyses très incomplètes, pour ne pas dire creuses. Le Parti Socialiste ne va pas très bien, il serait difficile de le nier, mais non, ce n’est pas que la faute de François Hollande et de Solférino. La base dont je fais partie est loin d’être exempte de tout reproche, mais comme cette dernière se pose en victime permanente, il est quasi impossible de lui faire admettre quoique ce soit et encore moins de l’inviter à changer.

Ma première réunion de section a suivi directement l’élection de Nicolas Sarkozy, élément déclencheur de mon adhésion. Je me revois encore très bien écouter, un peu intimidé, mes camarades se livrer chacun à leur tour à leur analyse de la défaite. Je me rappelle surtout très bien m’être demandé de quoi ils parlaient… En effet, les discours étaient souvent ceux de militants analysant tout par le prisme de problèmes internes au Parti ayant eu un impact somme toute limité sur l’opinion. Les raisons profondes et réelles de cet échec ne furent que peu présentes dans la discussion. 8 ans après, j’espère avoir conservé la capacité à sortir d’une vision du monde déformée par une pratique militante, qui devient par la force des choses une part importante de son existence. Je n’ai absolument pas la prétention de toujours y arriver et je n’ai donc aucune envie de me poser en donneur de leçons.

Cependant, depuis lors, je me bats auprès de mes camarades pour qu’à mon niveau, au sein de mon parti, nous évitions de tomber dans le piège de cette déconnexion d’avec le monde réel… ou du moins du monde tel qu’il est vécu par la majorité de la population (et même de la seule population de gauche) qui n’est pas adhérente du Parti Socialiste. Pourtant, combien de fois, ai-je entendu un de mes camarades lancer ce reproche aux dirigeants de notre parti, sans considérer une seule seconde que ce travers existe déjà chez lui ? Je me bats pour que l’on arrête de considérer que la distribution de tracts au marché constitue l’alpha et l’oméga du militantisme politique. Je me bats pour que l’on ne sombre jamais dans l’autosatisfaction et l’irresponsabilité.

Ce congrès du Parti Socialiste a été l’occasion pour beaucoup de ses membres de commenter en long et large et en travers, en bien ou en mal, l’action de François Hollande et de ses gouvernements depuis son élection. Personne n’osera dire que le bilan est merveilleux, tout le monde s’accordera sur les erreurs, les manques, les échecs. Mais moi, en tant que militant de base, en tant que simple conseiller municipal, ai-je moi-même réussi la première partie de ce quinquennat ? Je n’en suis pas si sûr. Et cette question, chaque militant devrait se la poser, si ce n’est chaque personne se sentant un minimum appartenir au peuple de gauche.

Alors que le quinquennat était à peine entamé, le peuple de gauche a vu se lever au moment du vote sur le Mariage pour Tous avec une force considérable un peuple réactionnaire que l’on imaginait en voie d’extinction. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le peuple de gauche s’est fait laminer face à ce déluge de haine et d’intolérance. Bien sûr, il est facile de dire qu’il fallait faire autrement, qu’Harlem Désir n’avait pas les épaules pour faire du parti la courroie de transmission d’une vaste mobilisation. Mais chacun de nous, qu’avons-nous fait ?

Je suis élu d’un territoire où se situe le cœur de ce mouvement réactionnaire. J’aurais pu être en première ligne, alors que ma ville était recouverte d’affiches abjectes. J’aurais pu m’exprimer quand le Maire de Viroflay, dont je suis le premier adversaire, s’est exprimé à l’occasion de ses vœux à la population et dans le journal municipal pour affirmer son opposition à la loi Taubira. J’aurais pu faire entendre ma voix quand le monde entier a vu Viroflay recouvert de drapeaux de la Manif pour Tous lors du passage du Tour de France. Au-lieu de ça, j’étais seul à pleurer de honte devant ma télévision. Honte pour ma ville, mais aussi honte de moi. Parce que j’ai choisi la voie de la lâcheté, quand, en accord avec les camarades de ma section, nous avons choisi de ne rien faire, prétendument pour ne pas jeter de l’huile sur le feu… Ne nous voilons pas la face, j’avais juste peur de me faire emmerder, insulter ou pire encore par un des crétins qui peuplent ma ville.

A quelques kilomètres de là, Erwan Binet, le rapporteur de la loi à l’Assemblée, n’a pas eu peur lui. Il s’est retrouvé nez à nez face à des opposants particulièrement agressifs à l’occasion d’un débat qui n’a, du coup, jamais eu lieu. Il ne s’est pas défilé, il n’a pas reculé. Il a beau être député, avoir un parcours d’apparatchik, faire partie de cette élite sur laquelle il serait facile de cracher, il a fait preuve du courage qui m’a manqué.

Et où étions-nous, militants de terrain, quand Marisol Touraine se battait seul contre les médecins, la droite et, avouons-le, une partie de son propre camps pour imposer le tiers-payant ? Où sommes-nous pour défendre la réforme du collège ? J’aurais aimé que le congrès de Poitiers servent aussi à répondre à ces questions. Mais faudrait-il encore que ceux sont à même d’apporter une réponse, c’est à dire tous les militants de base et les secrétaires de section daignent un jour eux aussi se remettre parfois en question…

Mais si j’espère que les militants socialistes soient les premiers à le faire, je ne désespère pas que demain, ce soit enfin tous les citoyens qui se décident à mener cette réflexion… Parce que de la base au sommet, un militant socialiste a au moins eu le mérite un jour de quitter la passivité dans laquelle l’immense majorité se complet. Peut-être que ce jour viendra où les actes remplaceront la litanie des complaintes. Comme quoi, il me reste encore peut-être quelques illusions…

DU COURAGE EN POLITIQUE

courage

courageLorsque l’on parle politique, il y a quelques arguments supposés massue, qui reviennent un peu trop souvent pour être aussi imparable qu’ils devraient l’être dans la bouche de votre interlocuteur. Si vous parlez à quelqu’un dont le cœur penche plutôt à droite (ça m’arrive… rarement, mais ça m’arrive…), il va très certainement finir par vous sortir une comparaison avec l’Allemagne (ou la Grande-Bretagne s’il est vraiment libéral) censée vous couper le sifflet. Si votre interlocuteur est de gauche (ce qui bizarrement entraîne chez moi des engueulades souvent beaucoup plus violentes que dans le cas précédent), si jamais vous avec le malheur d’expliquer qu’une mesure ne se fait pas parce qu’une majorité de nos concitoyens y sont opposés, on vous répondra invariablement « il (ces derniers temps, il désigne généralement François Hollande) n’a qu’à être courageux ! ».

Cette assertion toute faite s’accompagne généralement d’une référence à l’abolition de la peine de mort par François Mitterrand, ou éventuellement le combat victorieux de Simone Veil pour le droit à l’avortement. Il y a peut-être d’autres exemples, mais l’histoire n’en a retenu que deux et aucun de vraiment récent. Etant né en 1979, j’aimerais beaucoup que les événements politiques de 1981 puisse être encore catalogué sous l’adjectif « récent », ça me rajeunirait, mais malheureusement c’est chaque année un peu moins possible. Sans doute y a-t-il une vraie pénurie de courage parmi nous dirigeants depuis lors ! Bon, on pourrait dans le même temps souligner que ce même François Mitterrand est celui qui a fini par retirer sa loi sur l’école quelques années plus tard pour relativiser le courage de l’idole de tous les socialistes, mais en tant que membre du PS, je me ferais fusiller par mes camarades. Je vais donc m’abstenir.

Quand on observe de plus près l’emploi du mot « courage » dans les discussion politiques, on note vite un parallèle troublant avec celui du mot « déni de démocratie ». Ce qui est encore plus troublant, c’est quand une même décision peut être associé à l’un et l’autre de ces deux notions, selon que l’on soit d’accord ou pas avec la décision en débat. Pour faire simple, une décision courageuse est une décision avec laquelle on est d’accord. Un déni de démocratie, c’est quand une décision nous déplaît… Bizarrement, je n’ai jamais entendu aucun opposant au Mariage pour Tous dire que Christiane Taubira était courageuse, ni d’ailleurs un socialiste qualifier ainsi la moindre décision de Nicolas Sarkozy. Par contre, les accusations de déni de démocratie ont plu comme vache qui urine. Et vous pouvez réécrire ces deux dernières phrases en inversant les termes et les personnes et ça marchera toujours aussi bien !

Je sais bien que l’éducation civique n’est pas la matière où nos concitoyens brillent le plus. Cependant, je reste toujours étonné par le fait que beaucoup d’entre eux n’ont pas compris que lorsqu’un élu démocratiquement élu prend une décision, il n’y a pas de déni de démocratie. Il a été élu démocratiquement pour prendre des décisions, il prend des décisions démocratiques. Le pire est quand des électeurs semblent persuadés qu’un élu ne doit obéir qu’à ceux qui ont voté pour lui. Sauf qu’ils oublient qu’un élu représente l’ensemble des citoyens de la collectivité où il siège. Déjà parce que le vote étant secret, on ne sait pas qui vote pour qui. Et encore plus avec l’abstention qui fait que rares sont les élus réellement élus par une majorité de citoyens.

Il est amusant (ou pas) de constater que c’est surtout le manque de courage qui est souligné, beaucoup plus rarement le courage. Parce que quand une décision est prise et qu’elle va dans le sens qu’ils souhaitent, la plupart de nos concitoyens la trouve juste normale. Puisqu’on est d’accord avec elle, c’est qu’elle efficace, pertinente, pleine de bon sens, il est donc logique qu’elle soit adoptée. Par contre, quande la décision déplaît… Vous pourrez être courageux dix fois, vingt fois, cent fois, au mieux serez-vous jugé compétent. Par contre, gare à vous si un jour vous avez le malheur de ne plus suivre le bon mouvement, vous passerez alors pour un pleutre ayant cédé devant une coalition de lobbies infâmes.

Le courage en politique fait partie de ces notions qui se sont largement vidées de leur sens pour ne devenir qu’un qualificatif commode pour masquer le manque d’arguments pertinents. François Hollande manque peut-être de courage en n’ayant jamais saisi le Congrès pour accorder à l’essemble des étrangers le droit de vote aux élections locales. Mais François Hollande est courageux de ne pas céder face à la pression de son propre camps pour éviter un vote qui n’aurait jamais rassemblé la majorité des deux-tiers nécessaires. Car cet échec programmé donnerait du plomb dans l’aile à cette cause pour au moins une bonne décennie.

Je fais partie de ceux qui auraient préféré qu’il tente tout de même de faire modifier la Constitution dans ce sens. La symbolique forte de cette démarche aurait eu des bénéfices non négligeables en termes de dynamique et d’image. Simplement, cela démontre juste chez notre Président un pragmatisme (qui reste quand même une grande qualité) infiniment supérieur à la capacité à donner une dimension symbolique à son action, quite à sacrifier parfois un peu de son efficacité.

Après qu’il soit courageux ou non… Personnellement, en étant simple élu local d’opposition, je me dis qu’il faut de toute façon bien du courage pour être un responsable politique à quelque niveau que ce soit, et quelque soit son bord. Et très certainement un courage immense pour être Président de la République.

LA REFORME DU COLLEGE ET LE CONSERVATISME DE GAUCHE

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najatvallaudbelkacemLe terme conservateur est généralement associé à la droite. Il est vrai qu’historiquement peu de changements sociétaux profonds sont intervenus à son initiative. L’immense majorité des droits et libertés individuels sont nés de combats menés par la gauche, le dernier en date étant le Mariage pour Tous. La seule exception notable étant le droit à l’avortement. Mais la résistance au changement est un phénomène ancré au plus profond de l’être humain, quel que soit sa couleur politique. Il est sûrement particulièrement fort dans notre culture nationale, mais je ne rentrerai pas dans ces considérations. Mais à l’heure où le peuple gauche est prompt à attribuer au gouvernement toutes les tares et les renoncements imaginables, il serait bon de se demander à quel point le dénigrement des réformes entreprises ne vient pas d’une forme de conservatisme de gauche. L’annonce récente de la réforme des collèges par Najat Vallaud-Belkacem illustre particulièrement ce phénomène.

Comme souvent, un sujet assez vaste s’est retrouvé résumé au travers des réseaux sociaux en un point pas tout à fait anecdotique, mais presque, à savoir la question de l’enseignement du latin. Mon grand-père était professeur de latin, après être passé par Normale Sup, tout comme mon oncle qui fut un universitaire latiniste de renom. J’ai moi-même fait du latin jusqu’au baccalauréat et j’en suis très heureux. Je serai à le dernier à dire que cet enseignement m’a été inutile et ne m’a rien apporté. Et je serai le dernier à vouloir sa disparition.

Mais je me rappelle aussi en 3ème avoir appris par cœur à conjuguer tous les verbes latins à l’imparfait du subjonctif. Je me rappelle d’une classe de 25 élèves, qui dans leur immense majorité, n’étaient là que parce que leurs parents y avaient vu un moyen de placer leur progéniture dans une bonne classe. Je me rappelle d’un enseignement scolaire et qui, lui, ne m’a rien apporté. Cela serait de la pure malhonnêteté de dire que cela a amélioré mon orthographe, enrichi mon vocabulaire. Apprendre scolairement à des collégiens à conjuguer des verbes latins à l’imparfait du subjonctif ne présente aucun intérêt. C’est la survivance d’une période révolue qui ne doit nous inspirer strictement aucune nostalgie.

Par contre, oui, j’ai aimé en 1ère et en terminale, cet enseignement au sein d’un petit groupe d’élèves motivés et curieux qui interagissait avec des professeurs heureux de trouver des élèves ayant du répondant et de l’intérêt pour leur matière. Mais force est de constater que cette curiosité, cet intérêt ne m’avait pas été transmis par mes années précédentes passées en cours de latin. Pire, ma curiosité, mon intérêt pour à peu près toutes les matières scolaires ne sont pas nés à l’école. Non ils me viennent de mon environnement familial, de la curiosité face au monde qui m’a été transmis. J’ai toujours pris les exercices les plus scolaires comme un jeu, prenant les exercices de maths comme une défi aussi ludique qu’une énigme dans un épisode de Zelda. Cette façon de voir ne m’a pas été insufflé par mes professeurs, elle m’a simplement permis de surmonter les limites de l’enseignement scolaire. Et comme ma mémoire n’a jamais fait du « par coeur » un problème, j’ai toujours été considéré comme un élève brillant.

Le modèle du cours magistral sur un tableau noir, avec un professeur devant des élèves passifs et notant consciencieusement une leçon se déroulant sans interaction ne peut rester le modèle quasi-exclusif de l’enseignement. Personnellement, j’en suis le fruit le plus caricatural en étant passé par une grande école après deux ans en classes préparatoires. Il aura fallu attendre mes trois dernières années d’études pour enfin apprendre autrement. Parce que mes 14 ans d’enseignement qui ont précédé ne m’ont jamais appris à apprendre, à travailler en équipe, à utiliser les ressources disponibles pour atteindre un objectif. Sans vouloir caricaturer, ils m’ont uniquement apporté des connaissances, non pour leur utilisé dans l’absolu, mais parce qu’elles permettaient de me sélectionner, de m’étalonner par rapport aux autres, par rapport à une moyenne.

Il est à la mode de dire que ce modèle n’est plus soutenable dans une époque profondément marquée par les nouvelles technologies. J’ai lu effectivement des articles passionnants sur la manière dont ces dernières changent notre façon de penser et changent encore plus celle de ceux qui sont nés avec. Ces changements touchent visiblement la structure même de notre cerveau. Mais que cela soit une réalité ou un mythe ne change pas grand chose. L’enseignement scolaire tel qu’il a été pensé depuis plus d’un siècle ne permet pas de tirer le meilleur d’une génération, au mieux en tirer une élite formatée sur un modèle unique. Elle ne le permet pas aujourd’hui, mais elle ne le permettait guère plus hier et sûrement encore moins demain.

La réforme présentée par Najat Vallaud-Belckacem impose une évolution mettant enfin à la mal l’hégémonie de l’enseignement magistral. En ce sens, elle devrait être soutenue et saluée par tous ceux qui souhaitent que l’école cesse enfin d’être une machine à figer indéfiniment la structure sociale de notre pays. Voilà une bel enjeu de gauche ! En ce sens, elle peut être aussi critiquée, amendée, bousculée car cela fait partie du débat démocratique et qu’il y a toujours moyen de faire plus et mieux. Sans doute que le chemin est encore long avant de vraiment changer la face de notre enseignement, mais la réforme a l’immense mérite de faire un premier pas dans le bon sens. Elle mérite en tout cas infiniment mieux qu’un débat sur la conversation d’une forme d’enseignement du latin qui ne rime strictement à rien (parce que la réforme ne supprime pas l’enseignement du latin, faut-il le rappeler !). Combien parmi ceux ayant fait suivre la pétition demandant son rétablissement ont étudié de près l’ensemble de la réforme et ont essayé de comprendre les arguments contradictoires des uns et des autres ?

D’autres critiques ont moins fait le buzz sur les réseaux sociaux que le problème du latin mais qui sont pourtant révélateur de la manière dont la résistance au changement peut amener à renier des convictions que l’on prétend pourtant défendre. La réforme propose la suppression des quelques classes bilangues, qui permettent à un très petit nombre d’élèves, d’apprendre deux langues vivantes dès la 6ème au profit d’un enseignement généralisé d’une deuxième langue dès la 5ème. Il y a là matière à un vrai débat et un vrai affrontement entre une vision de droite et une vision de gauche. Consacrer les moyens à l’amélioration de l’enseignement de tous, plutôt qu’accorder des moyens exceptionnels à quelques uns constitue à mon sens les bases d’une vision de gauche de l’enseignement. Je suis convaincu que les élèves des classes bilangues ont bénéficié d’une vraie plus-value dans leur parcours éducatif, ce n’est pas le problème. Mais les moyens n’étant pas extensibles à l’infini, des choix doivent être faits, on peut pas tout avoir. Le choix fait dans le cadre de la réforme me semble être en totale adéquation avec mes convictions. Alors je regrette amèrement entendre un ancien Premier Ministre socialiste, et accessoirement ancien professeur d’allemand, consacrer son énergie à combattre cet aspect de la réforme, plutôt que de soutenir fermement cette réforme courageuse.

Les réactions négatives des syndicats d’enseignants ne se sont pas fait attendre. Elles n’ont guère surpris. Elles sont désolantes, surtout venant d’une corporation censée être globalement « de gauche ». Mais en dehors des principaux intéressés, j’ai surtout lu des réactions négatives de la part de personnes promptes à donner des leçons de « gauche » à l’actuel gouvernement. Les critiques sont toujours les mêmes, regrettant la baisse de dotation horaire de telle ou telle matière, sans jamais souligner qu’il s’agit juste d’une diminution de la place des cours magistraux au profit d’un enseignement différent. Elles révèlent un conservatisme effroyable et vont à l’encontre de toute velléité de combattre les inégalités sociales et culturelles au travers de l’école.

Je me rappelle notamment avoir lu un commentaire vent debout contre l’augmentation de la dotation horaire consacrée au sport, qui allait d’après son auteur transformer nos enfants en sportifs idiots. Pourtant, cela se situe en totale cohérence avec la volonté de développer enfin le sport comme un moyen de prévention sanitaire. Or les maladies liées à l’absence d’activité physique, en plus de peser de manière dangereuse sur le financement de notre modèle de protection sociale, frappent beaucoup plus fortement les plus modestes, dont les enfants ont rarement accès aux activités sportives extrascolaires. Là encore, seule la résistance bête et méchante au changement peut expliquer ce genre de réactions chez ceux qui devraient être les premiers à défendre la réforme.

Il serait cependant malhonnête de ne pas souligner que le gouvernement donne également le bâton pour se faire battre. On ne parlera pas de son incapacité chronique à communiquer de façon forte et efficace, qui se poursuit inexorablement. Cependant, il aurait été préférable que cette réforme ne sorte pas en même temps qu’un nouveau calendrier scolaire qui a été infiniment plus pensé pour le bien être des stations de ski que pour le bien-être des enfants. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, les professionnels du tourisme ont toujours pesé de manière assez scandaleuse dans ce domaine. Mais cette concomitance fournit des armes aux adversaires du gouvernement alors qu’il devrait mobiliser ses supporters au travers d’une vraie réforme, qui constitue un profond changement dans un domaine majeur. Cette maladresse est dommageable. Mais l’indifférence, voir la mauvaise foi, du peuple gauche face à cette avancée remarquable l’est encore plus.