ANNIE COLÈRE : Le combat d’une vie

Annie Colère affiche

Le cinéma résonne des sujets actuels, même s’il le fait parfois en se plongeant dans le passé. Surtout le cinéma français qui a toujours eu quelques scrupules à traiter l’actualité proche, même si cette retenue s’efface de plus en plus. Le droit à l’avortement se retrouve au cœur de nombreux débats en Occident, alors qu’il apparaissait comme un droit acquis définitivement. Si la France n’est pas concernée au même titre que les États-Unis, il n’en reste pas moins que la vigilance est de mise. C’est sans doute pour ça que quelques rappels salutaires ont été lancés par des cinéastes françaises. Si l’Événement d’Audrey Diwan avait représenté un vrai choc, Annie Colère de Blandine Lenoir passera malheureusement plus inaperçue. Dommage car il nous fait revivre un épisode trop méconnu du combat pour le droit à l’avortement.

Petite et grande histoire

Si l’histoire a retenu surtout le nom de Simone Veil, c’est oublié un peu vite l’action de nombreux collectifs du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC) qui a largement œuvré pour contraindre le monde politique à avancer sur le sujet. Annie Colère raconte cette histoire à travers le parcours d’une de leur bénévole qui s’engage après avoir elle-même avorté. Le film représente un cas typique de la grande histoire racontée à travers la petite. Mais la démonstration n’en est pas moins éclairante, forte et chargée d’une réelle émotion, au-delà de l’éclairage historique. L’Histoire est écrite par les femmes et les hommes qui la font, petits ou grands, anonymes ou illustres. Le film a la bonne idée de le rappeler sur un sujet aussi important.

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FUMER FAIT TOUSSER : Écran de fumée

Quand un réalisateur parvient à créer un univers bien à lui, il bénéficie d’une certaine sécurité. En effet, il lui suffit d’y ramener ses fans pour les satisfaire. Mais cela peut aussi devenir synonyme de facilité, voire même de suffisance. Le précédent film de Quentin Dupieux, Incroyable mais Vrai, était assez réussi pour ne pas craindre un tel travers de ce cinéaste hors norme. Mais son dernier film, Fumer Fait Tousser, sorti quelques mois seulement après le précédent, sonne un peu comme un avertissement. En effet, on peut y voir le signe d’une certaine paresse et d’un début de manque d’inspiration.

Sketchs non assumés

On peut difficilement reprocher à quiconque de jouer sur ses points forts. Quentin Dupieux est sans doute le cinéaste français qui maîtrise le mieux l’absurde. Il se rapproche des maîtres britanniques du genre, Monty Python en tête. Cet humour bien particulier peut séduire ou rebuter. Fumer Fait Tousser est un concentré d’humour absurde, mais il ressemble plus à une succession de séquences qu’à un réel long métrage. Le fil rouge scénaristique ne fonctionne qu’à moitié et sert parfois de prétexte à certains passages qui n’ont vraiment aucun rapport avec le reste. Avec le recul, peut-être aurait-il été plus judicieux de nous proposer un film à sketchs clairement assumé, plutôt que cette histoire trop bancale pour convaincre.

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LES AMANDIERS : Devenir actrice

Les Amandiers affiche

Peut-on parler du film les Amandiers sans évoquer la polémique ? Je vais m’y efforcer puisque je suis allé le voir avant qu’elle n’éclate. Ce long métrage m’a donc inspiré des émotions indépendamment de toute cette histoire. Je ne sais pas si cela serait encore possible désormais. Valéria Bruni-Tedeschi signe là un film très personnel puisqu’il présente un fort caractère autobiographique. Évidemment, elle n’imaginait pas à l’origine les répercussions sur sa vie présente. Mais il n’en reste pas moins que le film se démarque par son intensité dramatique et la force de ses personnages.

Les âmes à nu

Les Amandiers propose un film d’une grande richesse puisque l’on suit de manière répétée une foule de personnages. Mais deux piliers principaux se détachent. Tout d’abord, l’histoire d’amour torturé, pour ne pas dire carrément toxique. Certains la trouvent peu crédibles mais l’expérience montre que ce genre de relation inexplicable vue de l’extérieur existe bel et bien. Cependant, cela ne constitue pas le point fort du film. Celui-ci tient surtout à la réflexion sur le don de soi absolu que peut nécessiter le métier d’actrice ou d’acteur. Sur la manière dont cette passion dévorante peut pousser ceux qui aspirent à en vivre à s’y abandonner au-delà de ce que la majorité d’entre nous qualifierait de raisonnable. Tout ceci est retranscrit avec une puissance rare, provoquant des émotions fortes chez le spectateur.

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RESTE UN PEU : Contrôle d’identité

Reste un peu affiche

Faire du rapport à la religion le thème central d’un film est déjà en soi un exercice périlleux. Quand en plus on cherche à en faire une comédie, il faut définitivement marcher sur des œufs. Cela avait plutôt bien fonctionné pour Coexister il y a quelques années. Reste un Peu est un film d’une toute autre nature. Si beaucoup de situations nous donnent le sourire, l’humour est ici un levier puissant au service d’une réflexion remarquablement subtile sur l’identité. Gad Elmaleh nous offre ici un film réellement inattendu sur le fond, mais aussi la forme.

Introspection sans contemplation

Reste un Peu nous parle avant tout de l’identité juive et de sa singularité. Mais la réflexion portée par le film présente des éléments universels qui pourront nourrir une réflexion intime chez chaque spectateur. Le propos parvient à la fois à se montrer profond, touchant et donc drôle. Le tout soutenu par une vraie tension narrative provoquant une réelle envie de savoir où le récit va nous mener. Ici introspection ne rime pas avec contemplation. Gad Elmaleh a donc réussi la première partie de son pari en maîtrisant totalement son sujet, pourtant extrêmement délicat.

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BLACK PANTHER : WAKANDA FOREVER : L’enthousiasme attendra

Black Panther : Wakanda Forever affiche

L’essoufflement des productions Marvel est un fait constaté et regretté par une grande majorité des fans. Si les séries télévisées entretiennent parfois encore la flamme, les longs métrages sont désormais pour la plupart décevants. En tout cas, jamais à la hauteur des espoirs qu’ils font naître, comme pour le dernier Docteur Strange ou Spiderman. Comme dirait la FFL, rien n’est pire que l’espoir. Il a commencé à renaître à l’approche du deuxième épisode de la franchise Black Panther. Le premier volet constitue le dernier vrai moment de grâce de cet univers cinématographique. On pouvait donc légitimement croire à une renaissance. Mais voilà, la mort de Chadwick Boseman a remis les compteurs à zéro. Black Panther : Wakanda Forever partait donc sans garantie. Et le résultat reste malgré tout mitigé.

Au moins c’est beau !

Black Panther : Wakanda Forever possède d’incontestables qualités. Déjà celle d’être beau. Les décors et surtout les costumes présentent un éclat qui forcent l’admiration. Tout cela est parfaitement mis en valeur par la réalisation de Ryan Coogler, à la qualité bien au-dessus de la moyenne pour ce genre de production. Les scènes d’action possèdent donc un petit quelque chose en plus qui aurait pu faire toute la différence. Le final possède notamment un caractère relativement grandiose. Relativement car tout cela ne parvient pas à avoir l’impact que cela aurait pu avoir. Un impact qui aurait pu nous faire retrouver cet enthousiasme qui manque désormais.

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ARMAGEDDON TIME : L’art d’être grand-père

Armageddon Time affiche

A-ton besoin forcément d’une histoire aussi grande que les enjeux qu’elle porte ? Peut-on traiter un sujet d’une portée immense à travers le simple destin d’un jeune garçon et sa relation tendre et complice qu’il entretient avec son grand-père ? La magie du cinéma tient souvent à la capacité d’un réalisateur de faire surgir l’extraordinaire de ce qui pourrait à première vue relever du quotidien anodin. Et James Gray est un véritable magicien du 7ème art. On le savait déjà mais Armageddon Time le confirme avec une force bouleversante. Qui pourrait bien lui valoir un Oscar amplement mérité.

Frappant en plein cœur

Le vrai sujet d’Armageddon Time ne transparaît pas immédiatement. On peut se sentir quelque peu déconcerté par les premières minutes où ne voit vraiment pas où tout cela pourrait finir par nous mener. Puis, des détails, des péripéties, des dialogues nous permettre d’appréhender toute la portée du propos. Il serait donc dommage d’en dire plus ici, mais la profondeur de la réflexion est saisissante et le message frappe en plein cœur. Il est sans concession, bouleversant, mais fait aussi pointer cette petite lueur d’espoir qui donne encore un peu foi en l’humanité. Juste le signe que le monde n’est jamais tout à fait en noir et blanc, ce qui ne fait que rendre le propos encore plus pertinent.

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LA CONSPIRATION DU CAIRE : Noir égyptien

La Conspiration du Caire affiche

Le cinéma nord-africain est considérablement plus discret sur nos écrans que ce que les liens culturels forts que nous entretenons avec cette partie du monde pourraient laisser supposer. Sans doute, est-ce lié au peu de productions locales, faute de moyens. Ceci est vrai pour le Maghreb, mais aussi l’Égypte qui n’a longtemps existé pour le 7ème art mondial qu’à travers Youssef Chahine. Elle est apparue sur le devant de la scène en 2017 avec le Caire Confidentiel. Certes, son réalisateur, Tarik Saleh, est en réalité suédois. Mais il revient avec La Conspiration du Caire, montrant à quel point il reste attaché à ses racines (bien qu’il soit interdit de territoire en Égypte). Il reste surtout attaché à la volonté de nous offrir d’excellents films.

Noir, c’est noir

La Conspiration du Caire est un film noir d’un grand classicisme dans les éléments qu’il met en scène : le flic à l’éthique borderline, des adversaires ambigus, un jeune innocent qu’il ne l’est peu-être pas tant que ça finalement… C’est bien le décor qui est plus inhabituel, puisque le film nous emmène dans une des principales universités coraniques de la capitale égyptienne, potentiellement infiltrée par les Frères Musulmans. Le film repose sur un vrai fond géopolitique, mais que ceux que ça peut rebuter se rassurent. Il s’agit ici avant tout d’un pur polar.

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R.M.N. : 50 nuances de gris

R.M.N. affiche

Dans un monde où la vision manichéenne prend de plus en plus de place, il est bon de se confronter à des propos qui renvoient tout le monde dos à dos, où du moins chacun à ses propres travers. R.M.N. est le nouveau film du réalisateur roumain Cristian Mungiu, récompensé par la Palme d’Or à Cannes en 2007 pour 4 Mois, 2 Semaines, 2 Jours. Si c’est le Suédois Ruben Östlund et son Sans Filtre qui a eu droit à une deuxième consécration sur la Croisette, on peut s’étonner que le Roumain soit reparti sans le moindre prix. Avec ce film, le réalisateur livre une vision sans grande concession de ses compatriotes, du racisme qui les habite, de leur absence d’empathie ou de conscience des enjeux écologiques. Mais sa vision de ceux prompts à leur faire la leçon n’en est pas moins cinglante. Un match nul salutaire.

Cinglante ironie

Ceux qui ont vu 4 Mois, 2 Semaines, 2 Jours ne s’imaginent pas vraiment son auteur signer un jour des films légers et drôles. Ce n’est effectivement toujours pas le cas avec R.M.N. Le film est cependant parcouru d’une ironie cinglante qui peut faire sourire parfois. Il tourne en ridicule les indignations hypocrites de ceux qui ne cherchent qu’à cacher leur égoïsme et leur bêtise. Mais comme tout le monde en prend pour son grade, on en vient à se demander si on n’aurait pas pu nous aussi être dépeint avec le même mordant par Cristian Mungiu. Cela rend les choses un peu moins amusante d’un coup, mais cela donne beaucoup à réfléchir.

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L’INNOCENT : Se méfier des apparences… ou pas…

L'Innocent affiche

Il ne faut jamais se fier aux apparences, voilà une leçon offerte par beaucoup d’histoires. Elles cherchent à nous éloigner de nos préjugés. À nous pousser à juger les personnes sur ce qu’elles ont vraiment au fond d’elles. Intention louable quand on connaît le nombre de personnes souffrant de discriminations bêtes et méchantes. C’est à nouveau le cas de l’Innocent, qui nous parle du jugement immédiat que l’on porte sur les personnes sortant de prison. À moins que… Parce que ce film, comme toutes les bonnes histoires, n’est pas forcément ce qu’elle semble être à première vue. Et la morale n’est pas non plus forcément celle attendue.

Interdit de divulgâcher

Toute personne divulgâchant l’Innocent devra donc être jugée coupable de haute trahison cinématographique. Le scénario n’est pas celui du Sixième Sens, mais il reste néanmoins très bien écrit, apportant son lot de surprises. Il se situe sur le registre de la comédie. Pas de gags à proprement parler, mais quelques numéros d’actrices et d’acteurs assez savoureux. La principale qualité du film est celle de ses personnages. Mais également celles des situations dans lesquelles, le scénario s’amuse à les placer. Les événements vont crescendo avant un final particulièrement réussi et réjouissant.

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EO : Un certain regard

Eo affiche

Certains points de départ de film peuvent laisser perplexe. Ainsi, c’est l’histoire d’un âne qui parcourt la Pologne ne donne pas forcément envie de se précipiter dans une salle obscure pour assister à un tel spectacle. C’est pourtant bien le point de départ d’EO, qui est en fait une nouvelle version d’un film français de 1966, Au Hasard Balthazar, réalisé par Robert Bresson. Mais récompensé à Cannes par le Prix du Jury et bénéficiant de bonnes critiques presse et spectateur, il est possible de se dire que finalement, ça mérite le coup d’œil.

Un regard sur nous-mêmes

EO utilise le procédé du regard extérieur pour souligner les petit travers et même les vices les plus sombres de l’espèce humaine. Il est d’autant plus extérieur, qu’il vient cette fois d’une autre espèce, à la nature paisible et affectueuse. On peut voir dans ce film également une réflexion sur la condition animale. Bien sûr la thématique n’est pas absente, mais elle implique ici trop d’anthropomorphisme pour se montrer totalement pertinent. En tout cas, le procédé fonctionne ici très bien, provoquant des émotions variées chez le spectateur : joie, tristesse, mélancolie, colère… Ce regard détaché sur des événements a priori ordinaires leur donne un impact que l’on aurait pas soupçonné.

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