LA TERRE DES HOMMES : Deux en un

Les thèmes sociétaux les plus forts et les plus actuels irriguent forcément les thématiques abordées par le septième art. On peut même parfois faire d’une pierre deux coups, ou plutôt d’un film deux coups, en en mêlant deux dans une même histoire. C’est le cas pour La Terre des Hommes qui nous offre un nouveau portrait du monde agricole, objet cinématographique assez nouveau mais qui devient relativement fréquent. Il nous présente également un nouvel exemple de violence sexuelle, sujet qui a renforcé sa présence à l’écran depuis la vague #metoo. Dans un mélange, il est parfois difficile de conserver le bon équilibre, mais il y a ici une bonne synergie entre les éléments. Même si le film n’échappe pas à tous les clichés.

Je vais passer rapidement sur un détail qui n’aura dérangé que moi… et je pense pas mal de mes anciens collègues. Il est en effet beaucoup question de SAFER dans cette histoire et comme il s’agit de mon ancien employeur, je peux témoigner que le fonctionnement décrit ne correspond pas tout à fait à la réalité. Cependant, la Terre des Hommes n’est pas non plus un documentaire sur les instances agricoles. Le machisme du monde agricole est sans conteste une réalité, mais il est décrit ici de manière un peu trop forcée pour être convaincant. Surtout qu’il existe de très grandes différences générationnelles sur ce genre de question, qui n’apparaissent pas ici. Sinon, il suffit de relire la Terre d’Emile Zola, pour se dire que le rapport au foncier n’a pas forcément beaucoup changé au cours du temps.

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DRIVE MY CAR : Eloge de la patience

Un film japonais de trois heures est quelque chose qui peut faire peur. Surtout quand on sait que Ryūsuke Hamaguchi est un réalisateur qui n’a pas occidentalisé son style, mais se place bien dans une grande tradition de films nippons au rythme de narration diffèrant des normes auxquels nous sommes habitués de ce côté du monde. La peur ne s’évanouit pas forcément quand la première heure du film nous expose des événements dont on a du mal à saisir le sens profond et la manière dont elles vont pouvoir s’assembler pour livrer un propos cohérent et surtout intéressant. Mais parfois, la patience est récompensée et le spectateur qui aura osé pourra alors découvrir Drive My Car, un très beau film, récompensé par le prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.

Ryūsuke Hamaguchi construit son film comme un puzzle où se mêle le présent et le passé. Le tableau complet se dessine assez lentement, mais une fois que tout prend son sens, on se sent porté par une très belle émotion. Drive My Car nous parle beaucoup de l’absence et du deuil avec une infinie subtilité. Le film n’est jamais larmoyant, même s’il nous plonge au cœur du drame vécu par les personnages. Le propos ressemble plus à une réflexion qu’à une tentative de partager pleinement la peine avec les spectateurs. Il s’adresse largement autant qu’au cerveau qu’au cœur, mais ne néglige complètement ni l’un, ni l’autre. Cet équilibre contribue à la singularité de ce film et à la sensation d’assister à une œuvre sortant vraiment de l’ordinaire.

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FREE GUY : Sucrerie pour geeks

Les geeks présentent un avantage certain pour tout auteur ou producteur qui voudrait les attirer dans une salle obscure. En effet, leur univers est tellement riche de références diverses et variées et ils apprécient tellement de les retrouver ça et là, qu’il est facile de proposer une histoire qui leur en proposera suffisamment pour les contenter. Et comme ils sont enclins à une certaine nostalgie, aimant retrouver encore et encore des liens avec ce qu’ils ont déjà aimé par le passé, il suffit de trouver une idée qui permet de surfer sur cette vague pour qu’ils dévorent avec avidité le film qui en découle. Cela peut donner un résultat de très grande classe comme Ready Player One. Ou quelque chose de beaucoup plus anecdotique comme Free Guy. Anecdotique, mais néanmoins particulièrement sympathique.

Free Guy repose sur une idée de base qui ne tient pas debout une seule seconde et qui provoque dix incohérences à la seconde. Pourtant le film fonctionne parfaitement. Tout simplement parce que les scénaristes ont décidé d’assumer pleinement et d’exploiter leur idée à fond. Du coup, entraîné dans le mouvement, on passe totalement outre cette faiblesse intrinsèque et le spectateur ne boude pas son plaisir face à cette histoire improbable. Le film n’a d’autre but que d’être une grande friandise pour geeks et c’est exactement ce qu’il est. Mais il a au moins le bon goût de proposer un minimum d’audace avec une idée de départ qui aurait pu se révéler désastreuse si elle avait été mal exploitée.

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ROUGE : Indigne de l’indignation

Après quinze jours de pause estivale loin de Paris et même hors de France, il était temps de retrouver le chemin des salles obscures. Une reprise relativement moyenne avec Rouge, un film engagé, avec des gentils et des méchants dedans. Un film français qui nous fait définitivement réaliser que Dark Waters un un grand film. La bande-annonce faisait d’ailleurs naître un certain nombre de craintes, mais les bonnes critiques, et la présence à l’écran de Zita Hanrot, ont pu amadouer certains spectateurs, comme moi. Malheureusement, c’est bien la première impression qui se concrétise à l’écran.

Le scandale humain et environnemental qui sert de support à Rouge cumule un nombre de clichés et de ficelles trop grosses pour être honnêtes assez impressionnant. Si chaque élément individuellement pourrait avoir un fondement et bien correspondre à une réalité, leur accumulation fait perdre à l’histoire toute crédibilité. Du coup, cela nuit largement à l’empathie que peut ressentir le spectateur face à ce spectacle qui lui paraît quelque peu irréel. Cependant, ceci n’est qu’un support au vrai sujet du film, à savoir les conséquences de tout cela pour les relations entre les personnages, en particulier au sein de la famille des deux principaux protagonistes. C’est cette dimension qui aurait pu donner tout son intérêt à ce film. Il y parvient parfois, mais on ne peut jamais bâtir quelque chose de réellement solide sur une base bancale.

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LES 2 ALFRED : Roue trop libre

Le cinéma de Bruno Podalydès se distingue par deux caractéristiques. Tout d’abord, ses films sont généralement des comédies fantaisistes et humanistes, portant un regard critique sur la vacuité et la frénésie du monde moderne. Ensuite, il met généralement en scène son frère Denis, ce qui est relativement compréhensible, vu le talent du frangin. Les 2 Alfred ne déroge pas à ces deux règles. Il en confirme également une troisième. Son oeuvre se caractérise aussi par un aspect très inégal. D’un film à l’autre, mais aussi au sein même de chacun d’eux. On aurait aimé que ce film-ci fasse exception.

Les 2 Alfred souffre tout de même de plusieurs défauts. Déjà, le propos sociétal sous-jacent est gentillet, mais à force d’enchaîner les clichés et les très (trop) grosses ficelles, il finit par lasser, voire même horripiler. Le ressort comique qui en découle perd du coup de son efficacité au fur et à mesure que le récit avance. Globalement de toute façon, l’humour de ce film ne parvient pas à se renouveler suffisamment pour transformer les quelques sourires initiaux en vrai bonheur cinématographique. On ne passe pas pour autant un mauvais moment, mais certain pas aussi inoubliable que son caractère imaginatif et fantaisiste aurait pu le laisser espérer. Il y a malheureusement un peu de paresse dans l’écriture qui a l’air de considérer qu’il n’y avait pas besoin d’aller au-delà de l’idée de départ.

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NOMADLAND : Du bel Oscar

Les films à forte dimension sociale sont toujours confrontés à un ennemi redoutable, qui peut facilement rendre leur propos beaucoup moins intéressant, voire insupportable : le misérabilisme. On peut dénoncer des situations, souligner des causes, mais le danger est de faire des personnages de simples victimes passives. Or la réalité n’est jamais aussi manichéenne et si un tel travers passe pour un film d’actions, ce n’est évidemment pas le cas pour ceux dont l’objectif est de nous faire réfléchir sur le monde tel qu’il est ou sur la nature humaine. Nomadland échappe totalement à ce travers et nous offre le plus beau film de cette reprise cinématographique.

Couronné aux Oscars il y a quelques mois, Nomadland nous démontre que le cinéma n’est pas mort avec la pandémie, même s’il n’en sortira forcément pas tout à fait indemne. Certes, la concurrence s’en trouvait affaiblie, mais sa présence au palmarès le plus prestigieux du 7ème art ne dépareille en rien. Il s’agit d’un film portrait. Portrait d’une femme, d’un personnage, mais à travers elle d’un pan entier de la société américaine. Un propos qui montre comment le destin entremêle les circonstances, parfois dramatiques, que l’on subit et les choix que l’on fait, parfois à contre-courant de ce que les autres jugent comme pertinents. On ne sait pas bien si l’on ressort de ce film optimiste ou pessimiste. Mais on en ressort plus riche !

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PLAYLIST : L’amour toujours

L’amour, l’amour, toujours l’amour… Il façonne nos existences et nous passons notre vie à savoir comment vivre avec pour que le bonheur qu’il nous apporte dépasse définitivement la peine qu’il nous cause parfois. Cela s’appelle grandir, mûrir.. pour ne pas dire vieillir. Il se trouve donc au cœur des innombrables récits d’apprentissage peuplant littérature et cinéma. Playlist n’est définitivement pas le plus profond ou le plus inoubliable d’entre eux. Mais il possède bien assez de qualités pour mériter d’être vu.

Playlist est à la fois une comédie et un film portrait. Le ton est avant tout léger et il est parcouru d’éléments que l’on peut qualifier de gags. C’est plus amusant qu’hilarant, mais cela permet de s’aérer l’esprit de manière fort agréable. Tout les degrés d’humour y sont représentés et certains passages témoignent d’une jolie subtilité. L’histoire n’a guère d’autre but que de nous faire découvrir Sophie, une jeune fille un peu naïve qui a bien du mal à trouver sa place dans le monde et accessoirement l’homme qui l’y aidera. Le film n’a rien d’une comédie romantique finissant en happy-end sucré. Il reste avant tout une jolie réflexion sur les sentiments et la place qu’ils occupent dans notre vie.

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PROMISING YOUNG WOMAN : Débuts prometteurs

Oscar du meilleur scénario original, Promising Young Woman fait partie de ces films qui peuvent parfois décevoir les spectateurs à l’esprit des plus étroits. En effet, difficile de le ranger dans une case bien déterminée. Ce n’est ni vraiment une comédie, ni un polar, ni film social. Aller le voir avec des attentes très précises constitue le meilleur moyen d’être déçu. Par contre, si on se laisse porter par cette histoire qui dévoile peu à peu toute sa richesse, on en ressortira agréablement surpris et surtout satisfait d’avoir eu la chance de voir un excellent film.

Rédiger la critique de Promising Young Woman s’avère particulièrement délicat. En effet, il brille avant tout par son scénario (il n’a pas reçu une petite statuette dorée pour rien), mais en parler fait courir le risque de dévoiler des éléments de surprises, qui en font justement tout le piment. On doit donc se contenter de dire que l’histoire tire autant son intérêt du point d’arrivée de l’intrigue que du chemin que l’on prend pour y parvenir. Une route qui ne dévoile jamais à l’avance quel va être le prochain virage qu’elle va emprunter et vers quoi il va nous mener. Et surtout, chacun de ces tournants se montre réellement convaincant.

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VERS LA BATAILLE : Tout petit

Le manque de moyens n’est pas toujours rédhibitoire pour réaliser un film qui puisse être pleinement apprécié par les spectateurs. Parfois cependant, cela ressemble à un petit grain de sable qui vient se glisser dans la chaussure de l’audience. Ainsi, pendant Vers la Bataille, je n’ai pas arrêté de me dire : ça n’a clairement pas été tourné au Mexique, mais en forêt de Rambouillet et ça se voit… Bon, vérifications faites, le tournage a eu lieu en Colombie. Mais qu’elle soit vraie ou non, l’impression citée plus haut m’a clairement empêché de rentrer dans le film. C’est peut-être injuste, mais c’est bien la réalité.

Vers la Bataille a au moins le mérite de nous plonger dans un épisode peu connu, et à vrai dire bien peu glorieux, de notre histoire, à savoir la catastrophique guerre du Mexique menée par Napoléon III. Mais le sujet du film est bien plus centré sur ses personnages que sur les grands événements dans lesquels ils évoluent. Cependant, rien ne se montre totalement convaincant : ni les protagonistes, ni les relations qu’ils tissent entre eux, ni même l’évolution de ces dernières. On a du mal à s’intéresser vraiment à cette histoire dont le dénouement nous laisse quelque peu circonspect, en se demandant ce qu’on est censé tirer de tout cela.

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HOSPITALITE : Surfer sur la vague

Les distributeurs sont des personnes opportunistes et il faut bien admettre qu’ils ont bien raison de l’être. Si une vague de succès se présente, pourquoi effectivement ne pas surfer dessus. Donc, pourquoi ne profiteraient-ils pas de l’immense succès de Parasite et du regain d’intérêt qu’il a provoqué pour le cinéma est-asiatique pour ne pas ressortir des cartons quelques longs métrages n’ayant pas à l’époque trouvé le chemin des écrans hexagonaux ? Hospitalité est sorti au Japon en 2010. C’est seulement cette année qu’il est visible en salle en France. Un choix étonnant, mais au final, on ne peut que se réjouir de pouvoir découvrir cette petite curiosité réjouissante.

Le point de départ du scénario est un personnage qui vient « s’incruster » dans une famille bien tranquille et va prendre de plus en plus de place. Vous comprendrez alors bien le parallèle avec Parasite. Les esprits les plus éclairés feront remarquer que le Japon n’est pas la Corée, mais bon nombre de spectateurs vont faire naturellement la jonction. Cependant, les deux films n’ont clairement pas le même thème et surtout pas le même esprit. Hospitalité est avant tout une comédie, même si l’humour grinçant porte une critique acerbe et profonde de la société japonaise. Une nouvelle démonstration que le rire peut être un vecteur particulièrement puissant pour faire passer des messages.

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