LA FRACTURE : Lutte des classes

Le cinéma français laisse souvent de grande places aux questions sociales dans les scénarios. Il n’évite pas toujours le travers qui guette toujours tous ceux qui s’attaquent à ce genre de sujet. Le misérabilisme est le défaut de bien des propos, pourtant plein de bonnes intentions, mais qui peinent à convaincre. La Fracture échappe largement à ce piège qui se dressait pourtant clairement devant lui. Se montre-t-il pleinement convaincant pour autant ? Pas si sûr, car d’autres traquenards attendent les scénaristes. Dure vie que la leur !

La Fracture a au moins un grand mérite. Celui d’aborder de front des sujets contemporains et quelque peu polémiques, courage rare dans le cinéma français, même s’il est de moins en moins (je le souligne souvent, je vais finir par radoter). Il met en avant d’un côté le phénomène des Gilets Jaunes et la situation de l’hôpital public français. Il parle surtout de tout ce qui peut séparer les classes sociales, notamment les idées toutes faites que chacune a sur l’autre. Mais en dénonçant les idées reçues, le propos n’évite pas certains clichés et raccourcis. On a du mal à adhérer pleinement à l’universalisme du message qui semble un rien convenu et artificiel.

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ILLUSIONS PERDUES : Autopsie d’une époque

Vaut-il mieux lire d’abord le livre ou voir le film ? Si cette question n’a pas vraiment de sens, si ce n’est pour le plaisir réel de lancer des débats inutiles et donc indispensables, j’aurais pu être en mesure de me la poser. En effet, dans l’organisation très précise de mes lectures, Illusions Perdues de Balzac va être le prochain livre dont je vais entamer la lecture. Et au même moment, son adaptation sort sur nos écrans. Il m’est arrivé de bouleverser mon organisation (si, si, j’en suis capable) pour lire un livre avant de voir le film. Je ne l’ai pas fait cette fois. Je ne sais pas si j’ai eu tort ou pas, mais une chose est sûr, ce long métrage ne m’a sûrement pas détourné de l’envie de lire le roman.

J’avais abordé dans ma précédente critique, celle de Julie (en 12 Chapitres), la notion de roman d’apprentissage. J’aurais pu évidemment choisir la même introduction pour Illusions Perdues, qui figure comme un archétype de ce genre littéraire, particulièrement prisé au XIXème siècle. Le personnage principal est un jeune provincial qui arrive à Paris et qui va chercher à faire sa place dans ce monde nouveau. Voilà une introduction qui pourrait être celle de bien d’autres romans de l’époque. Cependant, celui-ci est aussi une vision acerbe d’un phénomène précis, à savoir l’essor d’une forme de corruption généralisée touchant la presse sous la Restauration, où une bonne critique pour une pièce de théâtre ou un roman s’achetait à prix d’or. Le grand mérite de cette adaptation est à la fois de décrire de manière minutieuse un phénomène historique précis… tout en dressant des ponts avec l’époque actuelle et certaines dérives de notre système politico-médiatique. On notera par exemple une petite phrase sur la perspective de voir « un banquier rentrer au gouvernement » qui nous fait forcément penser à notre Président actuel.

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JULIE (EN 12 CHAPITRES) : En quête de soi

Apprendre, grandir, mûrir, voilà la plus grande aventure que chaque être humain a à vivre. Cela donne de grands récits d’aventures, désignés sous le terme de roman d’apprentissage. Roman ou film évidemment. Julie (en 12 Chapitres) nous livre une telle histoire, en nous permettant de suivre le parcours d’une jeune femme cherchant sa voie au tournant de le trentaine. Un film baigné des sujets contemporains qui parcourent nos sociétés, mais qui livre au final une très belle réflexion sur l’accomplissement individuel.

Il n’y a rien de vraiment extraordinaire (au sens premier du terme) ou de spectaculaire dans Julie (en 12 Chapitres). Mais le scénario révèle ce que la vie de chacun peut réserver de rebondissements, joyeux ou tristes. Le spectateur se montre donc curieux de savoir où l’histoire va bien pouvoir le mener, surtout que visiblement le personnage principal n’a, dans un premier temps, aucune idée d’où elle souhaite elle-même aller. On se laisse donc porter et on suit avec grand plaisir cette quête d’elle-même, au gré de ses rencontres et de ses changements de pied. Ce film n’est évidemment pas le premier à nous proposer ce genre de parcours, mais il se démarque clairement par la finesse et la richesse du propos, qui n’a rien de convenu ou de prévisible.

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LE DERNIER DUEL : Des hommes et une femme

La valeur n’attend pas le nombre des années, paraît-il. Mais l’inverse est évidemment vrai. Ridley Scott en est la preuve. A bientôt 84 ans, il continue d’être un des réalisateurs les plus brillants, nous livrant des films le plus souvent spectaculaires, mais d’une étonnante variété. 2021 sera une année particulièrement riche avec le Dernier Duel déjà sur nos écran et House of Gucci qui va très bientôt le rejoindre. Le réalisateur anglais n’était pas forcément celui dont on attendait le plus qu’il contribue à l’émergence d’un cinéma embrassant pleinement le combat féministe. Mais il le fait à sa façon. En nous emmenant en plein moyen-âge.

Le Dernier Duel est une fiction basée sur le compte-rendu d’un procès bien réel ayant eu lieu à Paris en 1396. Un procès pour viol, chose très rare à l’époque. Un procès mais dont la sentence sera décidé par un duel à mort entre le mari et le violeur. Beaucoup de choses sont inventées ici puisque seules subsistent les minutes de procès, mais ce film présente bien un caractère historique qui ravira les amateurs du genre. Surtout que l’époque y est décrit sans romantisme aucun, mais bien avec un grand souci de réalisme. Et autant vous dire, que l’on ne peut que se réjouir de vivre au XXIème siècle. Mais l’intérêt du film repose avant tout sur la puissance de émotions, positives ou négatives, qui parcourent l’histoire et le personnages.

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FREDA : La fureur de vivre

Certaines parties du monde cumulent un nombre assez conséquent de raisons de ne pas vouloir y habiter. Pauvreté, catastrophes naturelles en tout genre, dictatures régulières, institutions défaillantes et tout ça dans une grande indifférence, voire même l’ignorance totale du reste de la planète. Haïti fait partie de ces lieux à qui rien ne sourit, sans que cela empêche grand monde en dehors de dormir. Ce sera peut-être un peu moins le cas grâce à Freda, un film qui nous emmène dans les faubourgs de Port-au-Prince à la rencontre d’une jeune fille peu ordinaire.

Freda dresse un double portrait. Celui de celle qui donne son nom au film évidemment. Et à travers elle, celle de toute une société, cruelle et parfois violente. S’il nous plonge sans détours dans les pires vicissitudes de cette société terriblement inégalitaire, ce long métrage essaie aussi de partager avec le spectateur les aspirations de ceux qui ne se résignent pas face à l’injustice. La fragilité que l’on pense entr’apercevoir dans les premiers instants laissent vite place à une impression de force qui conquière l’admiration. N’imaginez pas que tout cela finira sur un happy-end hollywoodien, mais jamais le propos ne se complet dans un misérabilisme absolu.

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LES INTRANQUILLES : Les feux de l’amour

Quand la santé mentale de quelqu’un devient défaillante, jusqu’à adopter des comportements dangereux, on peut s’interroger pour savoir qui devra être qualifiée de victime. Celui qui « pète les plombs » ou ses proches qui en subissent les conséquences ? Ceci forme le cœur du sujet de les Intranquilles, un film sur la manière dont la bipolarité vient rendre impossible la vie d’un couple et leur enfant. Sur la manière surtout où certaines forces irrésistibles peuvent conduire certains à faire du mal à ceux qu’ils aiment pourtant de toutes leurs forces.

Les Intranquilles est un triple portrait. Un quadruple portrait en fait. En effet, ici la maladie est presque un personnage à part entière. Ou plutôt, elle forme une part de chaque personnage, tant elle marque leur vie, leur quotidien, leurs peurs et leurs espoirs. A mesure qu’elle se renforce chez celui qui en souffre, plus elle prend de la place, jusqu’à prendre toute la place. Le sujet est ici traité avec beaucoup de force et sans détour. La maladie et ses conséquences planent sur chaque scène, créant une tension permanente. La même tension qui fait de la vie de la jeune femme un enfer sans aucun moment possible de repos ou de relâchement.

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MOURIR PEUT ATTENDRE : Le crépuscule d’un Dieu

Rarement un épisode des aventures du plus célèbre des espions a été à ce point attendu. En plus du monde, comme à son habitude, James Bond devait cette fois carrément sauver le cinéma, en ramenant le public vers les salles obscures, après des mois de confinement et de mesures sanitaires diverses et variées. Mais aussi, rarement un James Bond aura fait l’objet d’autant de controverses que Mourir Peut Attendre. Des avis aussi tranchés qu’opposés ont été formulés à l’égard de ce film. Une polémique qui rappelle quelque peu celle ayant accompagné les débuts de Daniel Craig, qui était loin de faire l’unanimité pour ses débuts dans le smoking de 007. Mais ne pas laisser indifférent n’est-il pas déjà en soi une qualité ?

Mourir Peut Attendre souffre clairement de deux défauts. Tout d’abord, il est inutilement long. Y sabrer une bonne demi-heure ne lui ferait pas de mal. Après, quand il s’agit de dire adieu, on a parfois envie de faire durer les choses plus que de raison pour repousser l’instant fatidique. On peut donc être prêt à pardonner cette lenteur superflue. Par contre, on peut vraiment regretter que tant de personnages, du coup secondaires, soient à ce point sous-exploités. Tout d’abord, le méchant, incarné par Rami Malek apparaît trop désincarné pour être vraiment inquiétant au final. L’agent 007 féminin aurait mérité également un meilleur sort. Mais on peut espérer que, pour cette dernière, un producteur aura la bonne idée de lui offrir un film pour elle seule.

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EUGENIE GRANDET : Etre une femme libérée

Il n’y a plus beaucoup de grands classiques de la littérature qui n’est pas bénéficié de leur adaptation cinématographique, voire de multiples adaptations. Bizarrement, Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac n’en avait jamais bénéficié… par le cinéma français. Il existe en effet une adaptation américaine de 1921, une adaptation italienne de 1946 et une adaptation…soviétique de 1960. En 2021, le septième art hexagonal lui donne enfin vie à une époque, où cette œuvre profondément féministe, prend une nouvelle résonance.

D’après ce que j’ai pu lire, cette version d’Eugénie Grandet prend quelques libertés avec le roman, dont il est d’ailleurs « librement » adapté d’après le générique. J’aurais bien du mal à en juger n’ayant pas moi même lu l’œuvre originale. Mais qu’importe, le film donne une impression assez étonnante de classicisme et de modernité. Sur la forme, les dialogues excessivement littéraires sonnent parfois faux et contraint le spectateur à lancer un regard assez froid sur les événements. Mais d’un autre côté, son cœur est touché par la volonté d’émancipation de la jeune fille qui bravera son père par amour. Ces deux extrêmes font naître une certaine frustration car le spectateur est loin de l’enthousiasme qu’il aimerait ressentir.

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LE SOMMET DES DIEUX : En hauteur

Qu’est ce qui pousse certains humains à toujours se dépasser. A aller toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus longtemps. Et parfois également, toujours plus haut. C’est la très bonne question posée par le film le Sommet des Dieux, film d’animation franco-luxembourgeois, mais adaptation d’un manga à succès. Une histoire qui nous emmène vers les plus hauts sommets montagneux et surtout à la rencontre de ceux qui cherchent à les gravir encore et encore, souvent au péril de leur vie. Un sujet qui à première vue pourrait laisser indifférent beaucoup d’entre nous (moi le premier), mais qui séduit par sa réussite narrative et artistique.

Le Sommet des Dieux nous fait suivre les pas d’un journaliste qui cherche à retrouver un célèbre alpiniste japonais, disparu il y a plusieurs années déjà. C’est là la bonne idée qui donne toute sa saveur au scénario. Il est bâti comme un polar, même s’il n’y est jamais question de crime, de détective ou de policier. Cela confère une réelle tension au récit du début à la fin. On passe du présent au passé continuellement, mais toujours de manière très fluide et toujours pour faire avancer l’histoire à bon escient. C’est sur ce fil rouge extrêmement solide que vient se greffer une vraie réflexion subtile et profonde sur la motivation des personnages, ne la rendant que plus convaincante.

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LA VOIX D’AIDA : La voix de l’Histoire

La guerre dans l’ancienne Yougoslavie est quelque chose de forcément familier pour quelqu’un de ma génération, mais qui continue de receler une large part de mystère. Difficile de démêler la réalité des événements dans cette imbroglio de peuples qui se sont entre-déchirés aux portes d’une Europe occidentale qui se considère souvent (à tort ?) immunisée à jamais contre la guerre sur son sol. La Voix d’Aïda met brillamment en lumière les événements de Srebrenica, un nom qui était ancré dans ma mémoire de manière un peu flou. Il est désormais attaché à une réalité beaucoup plus claire. Mais une réalité effroyablement dramatique.

La Voix d’Aïda représente un exemple brillant d’un morceau d’Histoire à travers une histoire. L’histoire d’une femme qui se bat pour sa survie et la survie de sa famille. A travers elle, on va découvrir de manière assez précise le rôle de chacun des belligérants, des civils pris en otage par la situation et l’impuissance désarmante (c’est le cas de le dire) des casques bleus au milieu du chaos. On tremble pour le destin d’un personnage pour lequel on ressent un profond attachement et une grande admiration. Les émotions sont fortes et sincères.Et cela n’a rien d’incompatible avec une meilleure vision de la réalité géopolitique sous-jacente des événements.

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