WARY + STRANGE (Amythyst Kiah), FEVER DREAMS (Villagers), OTHER YOU (Steve Gunn) : Force de conviction

On démarre cet avis avec un artiste américain, Amythyst Kiah et son album Wary + Strange, sorti en 2011. On y découvre sa voix claire qui dégage une vraie force. Surtout que les titres sont interprétés avec conviction. Certains titres sonnent très rock et rappellent Lenny Kravitz, mais d’autres dégagent une vraie douceur. Ils ont en tout cas tous comme point commun d’être une qualité constante, malgré leur grande variété. On admirera en particulier la maîtrise vocale qui vient se poser sur des instrumentations solides et travaillées.

On part cette fois en Irlande, retrouver le groupe Villagers et leur album Fever Dreams. On est malheureusement vite refroidi par leur musique interprétée très en-dedans. On pourrait prendre ça pour de la douceur, mais cela ressemble plutôt à une forme d’effacement. Certains titres sont un peu plus posés, mais ne décollent jamais vraiment. Quelques uns sont plus suaves et plus affirmés. Mais la voix aigrelette de Conor J O’Brien ne permet jamais de s’enthousiasmer. Au final, l’album se perd trop souvent dans un aspect bien trop éthéré.

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BELFAST : La guerre avec des yeux d’enfant

En ces heures où la réalité de la guerre nous rattrape de manière inquiétante, on doit se rappeler que c’est finalement une réalité qui n’a jamais été si éloigné de nous que ça. Bien sûr, il y a eu le conflit qui a déchiré l’ancienne Yougoslavie. Mais encore plus proche, la guerre civile en Irlande a représenté un conflit long et sanglant, qui ne s’est finalement achevé qu’il y a quelques années, même s’il était de nature très différente de ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine. Kenneth Branagh nous entraîne sur les traces de son enfance marquée par par les troubles qui opposaient Protestants et Catholiques dans le Belfast des années 60. En intitulant sobrement son film Belfast.

Belfast est un film à la fois très personnel, puisqu’il est largement autobiographique (même si le terme consacré est « librement inspiré de »), mais cherche aussi à nous faire découvrir un pan d’histoire. Se mélange donc histoire et Histoire. Quand l’un est l’autre vont parfaitement de paire, cela peut donner des films merveilleux. Ici, il y a quelque chose d’un rien artificiel qui nuit à l’impact du propos. C’est avant la trajectoire des personnages auxquels on s’est attaché qui va nous marquer, quand certains éléments de contexte un peu plus large semblent avoir été quelque peu rentrés au chausse-pied. Cela ne retire pas tout intérêt à l’ensemble, mais cela nous empêche de crier au chef d’œuvre.

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ROBUSTE : Comme un roc

Gérard Depardieu, c’est un peu l’oncle qui nous fout la honte au mariage, mais qu’on aime quand même parce qu’il fait partie de la famille. Cet acteur fait partie du patrimoine national, entre le côte du Rhone et le reblochon. On a pourtant tout sous la main pour le détester, mais on n’y parvient pas. Et ce n’est pas Robuste qui va changer cette relation paradoxale. En effet, d’un côté, il fait preuve du génie unique qui a fait de lui cette figure centrale du septième art, de l’autre il interprète un personnage frappé par bien des tares qu’on peut trouver chez l’homme qu’il est. Et là aussi, la détestation est impossible.

Pourtant, le personnage interprété par Gérard Depardieu fait face à un alter-ego pour lequel l’affection du spectateur ne souffre d’aucune ambiguïté. La jeune femme à laquelle la formidable Déborah Lukumuena donne vie reste bien le protagoniste central de cette histoire. L’actrice confirme donc son César acquis en 2017 pour son rôle dans Divines. Le film est en fait un portrait croiser entre deux figures que tout pourrait séparer, mais qu’un sentiment partagé de solitude finira par lier malgré tout. Il se distingue par des personnages vraiment marquants, écrits avec suffisamment de talent pour avoir le sentiment d’assister à une œuvre réellement originale.

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THE BATMAN : Chauve-souris intime

La question légitime que l’on pouvait se poser est : pourquoi un nouveau Batman ? Surtout que la version interprétée par Ben Afleck est encore relativement fraîche. Est-ce une maladie qui frappe les franchises de super-héros en manque d’inspiration ? Est-ce que DC cherche juste à imiter Marvel en faisant vivre à l’homme chauve-souris le même traitement cinématographique que l’homme araignée ? Tant d’interrogations et autant de réponses susceptibles d’alimenter les débats entre geeks. Sinon, on peut aussi juste ne pas bouder son plaisir et aller voir The Batman, qui nous offre une vision nouvelle du personnage. Qui nous offre surtout un excellent film !

Personnellement, j’ai fait partie des personnes quelque peu sceptique à l’annonce de la reprise du rôle par Robert Pattinson. Non que je doute de son immense talent en tant qu’acteur. Il l’a déjà assez prouvé dans des rôles très différents des uns des autres. Mais je voyais mal comment il pourrait rentrer physiquement dans la peau de ce personnage. C’était sans compter sur la vision quelque peu originale que nous propose Matt Reeves. The Batman nous montre un héros beaucoup plus vulnérable qu’à l’habitude. Les scènes de combat sont peut-être moins spectaculaires, mais nettement plus réalistes. Mais ce constat ne touche pas uniquement les passages consacrées à l’action. C’est toute l’intrigue qui nous offre des protagonistes plus accessibles, plus fragiles, mais du coup aussi plus profonds et avec un réel intérêt. Un intérêt en tout cas renouvelé pour ce qui est de ce super-héros là.

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ILS SONT VIVANTS : Le livre de la Jungle

La Jungle de Calais a déjà inspiré le cinéma français. Il faut dire que la situation sur place dépasse l’entendement et dépasse ce qu’un scénariste aurait pu imaginer. Que ceci puisse exister sur notre sol devrait être totalement inacceptable, mais force est de constater que cela n’éveille finalement que beaucoup d’indifférence, quand ce n’est pas une franche hostilité pour ces femmes et ces hommes qui ne font que témoigner de la profondeur sans limite que peut revêtir la misère. Ils Sont Vivants n’aura malheureusement pas le pouvoir d’éveiller largement les consciences. Mais il apportera son lot d’émotions à ceux qui auront la chance de le voir.

Ils Sont Vivants est loin de n’être qu’un film social et engagé. Evidemment, cet aspect reste central et donne son identité à ce long métrage. Mais il s’agit avant tout un film sur l’éternel sujet de l’amour impossible, interdit ou du moins très compliqué. Rien de très original dans le fond, sauf que le sujet ici est traité avec beaucoup de sensibilité. Les personnages sont très bien écrits, offrant leur lot de complexité et de paradoxes. Jérémie Elkaïm n’a pas choisi la facilité. Il aurait pu nous proposer des personnages avec moins d’aspérités et qui aurait provoquer plus aisément l’attachement du spectateur. Mais celui-ci se serait révélé nettement plus superficiel et aurait rendu le film nettement moins intéressant.

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MAIGRET : Crépuscule de la légende

Quand deux légendes se rencontrent, on peut s’attendre à un résultat légendaire. La rencontre entre le mythe de Maigret et le génie dramatique de Gérard Depardieu sonnait comme une promesse, surtout sous la caméra de Patrice Leconte. Restait à tenir cette promesse. Se montrer à la hauteur du génie de Georges Simenon n’est pas non plus une tâche tout à fait aisée. Mettre beaucoup de talent devant et derrière la caméra ne suffit pas. Il faut aussi savoir saisir ce qui fait vraiment l’essence même de l’œuvre de l’écrivain belge. Mais y parvenir peut aussi conduire à décevoir un public qui s’attend à autre chose.

Si Maigret a un titre aussi épuré, ce n’est pas non plus pour rien. En effet, bien plus qu’un enquête policière, ce film est une vision crépusculaire de personnage. Il faut reconnaître qu’un spectateur ne connaissant rien à son propos passera à côté d’une large part de l’intérêt présenté par ce film. Il n’est pas qu’une adaptation d’une des romans de la série, c’est aussi une mise en perspective d’un mythe. On comprend mieux l’accueil un peu froid d’une partie du public qui cherchait sûrement à voir un bon polar et qui tombe sur un portrait psychologique d’un policier en fin de course. Pas d’action, pas de violence, juste des dialogues. Mais quand on sait les apprécier, on passe tout de même un bon moment.

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THE INNOCENTS : La cruauté n’attend pas le nombre des années

Je vous ai rappelé il y a quelques jours que les enfants sont tous des psychopathes en puissance, à l’occasion de ma critique d’Un Monde. Si ce dernier se contentait de relater la cruauté ordinaire (mais non moins forte) de la cour de récréation, The Innocents explore tout le potentiel de nos chères têtes blondes pour aller encore plus loin dans la méchanceté. On associe rarement l’image d’un enfant à celle d’un « super vilain » mais ce film nous prouve que c’est tout à fait possible. Et c’est plutôt flippant !

Le titre même de The Innocents joue sur le contraste fort entre l’image que l’on se fait des plus jeunes, et de leur pureté supposée, et la réalité décrite dans ce film. Je rassure les parents qui commenceraient à trembler, il s’agit bien d’un film fantastique, tirant sur l’horreur, il y a peu de chance que les événements décrits ici vous arrivent. Je sais que vous trouvez que vos rejetons sont les plus extraordinaires qui soient, mais il reste peu probable qu’ils acquièrent réellement des super pouvoirs. Mais au cinéma, tout est possible, y compris un tel scénario donc, et Eskil Vogt exploite son idée avec un talent déconcertant. Il fait naître une tension particulièrement forte avec une infinie patiente qui fait rentrer le spectateur dans un malaise croissant. Il y a toujours une dose de masochisme à aller voir ce genre de film. L’expérience est ici particulièrement délicieuse (ou douloureuse selon le point de vue).

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GREAT FREEDOM : Great shame

Saviez-vous que des homosexuels allemands ayant été condamnés à être enfermés dans des camps de concentration ont dû finir leur peine dans des prisons classiques ? Ca vous étonne et ça vous choque. Eh bien, vous n’êtes pas au bout de votre indignation si vous allez voir Great Freedom, un film poignant sur la répression très dure de l’homosexualité dans l’Allemagne d’après-guerre (jusqu’en 1969 quand même). Si le faits sont déjà bouleversants par eux-mêmes, la manière dont ils sont mis en scène ici décuple l’impact sur le spectateur.

Great Freedom est un film portrait. Ce n’est donc pas du tout un documentaire, mais une fiction qui retrace le parcours d’un homme sur plusieurs décennies de répression. Le récit est construit avec plusieurs époques racontées en parallèle, pour autant de passages en prison. Il n’est donc pas bâti sur un ordre chronologique, mais les allers et retours sont ici utilisés à très bon escient. Cela permet au spectateur d’embrasser totalement l’ampleur de ce scandale historique et surtout l’ampleur des drames qu’il a pu générer. Un procédé classique de grande Histoire racontée à travers une petite histoire, qui fonctionne ici parfaitement bien et se trouve parfaitement adapté pour donner toute la force nécessaire au propos.

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UN AUTRE MONDE : Un univers impitoyable

Depuis que le western est passé de mode, le monde de l’entreprise prend souvent la place de l’Ouest Américain comme monde impitoyable où la loi du plus fort règne au cinéma. Au cinéma, comme dans la vraie vie malheureusement, mais nous sommes là uniquement pour parler du 7ème art. Et d’Un Autre Monde plus précisément. Un film qui, après En Guerre, réunit à nouveau Stéphane Brizé et Vincent Lindon pour explorer toute la violence du monde du travail et sa faculté à briser les femmes et les hommes qu’il est pourtant supposé élever. Une violence qui fait quelques victimes collatérales.

Comme pour la Vraie Famille, la bande-annonce pouvait laisser penser au spectateur l’ayant vue (parfois à de multiples reprises) qu’il connaissait déjà tout du propos du film. Or il n’en est rien. Si le sujet principal est bien celui auquel on s’attend, la structure narrative n’est pas celle à laquelle on s’attend, une scène que l’on pensait finale représentant finalement un point de départ. Un Autre Monde déroule donc un discours beaucoup moins manichéen que ce que l’on pouvait attendre. C’est vraiment ce qui fait tout son intérêt et le rend à mon sens bien supérieur à En Guerre. Il y a toujours une vrai fond revendicatif, mais il est cette fois porté par une intrigue présentant un réel intérêt par elle-même.

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LA VRAIE FAMILLE : Emotion pure

Certains situations vous mettent face à un choix émotionnel impossible. Chaque dénouement possible conduira à un drame que l’on ne peut facilement accepter. Un tel déchirement peut s’apparenter à une torture un rien masochiste, mais peut conduire à un flot d’émotion réellement bouleversante. Difficile de rester indifférent devant la Vraie Famille, à moins d’avoir un cœur en granite pur. D’autant plus quand le drame né d’une interprétation aussi inspirée que celle bouleversante de Mélanie Thierry.

On pouvait craindre en découvrant notamment la bande-annonce de la Vraie Famille que le scénario soit un rien prévisible et cousu de fil blanc. Il n’en est finalement rien. La narration vient soutenir de manière remarquable la force du propos. Fabien Gorgeart ne sombre jamais dans la facilité de titrer trop fort sur la corde du drame. Il naît de la pertinence et de la finesse des détails de cette histoire et ne constitue en rien une fin en soi, imposée de force au spectateur. La tristesse que peut inspirer cette histoire est donc d’une rare sincérité. Et ça ne fait évidemment que décupler son intensité.

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