LEÏLA ET SES FRÈRES : L’iran à l’envers

Affiche de Leïla et ses Frères

J’ai plusieurs fois souligné la capacité des cinéastes iraniens à parvenir à jouer avec la censure et parvenir à livrer au monde leur regard critique sur la société et le pouvoir de ce pays. Saeed Roustaee y était brillamment parvenu avec la Loi de Téhéran. Il a eu moins de chance avec Leïla et ses Frères qui reste à ce jour interdit de sortie dans son pays d’origine. C’est là qu’on mesure notre chance de jouir d’autant de liberté. Il serait en effet vraiment dommage de passer à côté de cet excellent film qui nous plonge au cœur de la médiocrité humaine.

Valeurs renversées

Avec Leïla et ses Frères, Saeed Roustaee s’amuse à renverser les valeurs portées par les personnages. Le titre traduit bien sa volonté de faire d’une jeune femme la protagoniste la plus forte de l’intrigue. La figure du patriarche n’est pas ici symbole de sagesse, bien au contraire. L’histoire bouscule tous les repères qui devraient la jalonner, pour souligner avec une force toute l’hypocrisie de ceux qui cherchent tout de même à sauver les apparences. Une attaque en règle contre les traditions et les fondements même de la société iranienne. On ne sera donc pas étonné de voir la censure frapper, même si le pouvoir en tant que tel est relativement absent de l’intrigue.

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VESPER CHRONICLES : A suivre

Vesper Chronicles affiche

Pendant longtemps, les futurs apocalyptiques étaient le plus souvent imaginés suite à une guerre nucléaire, menace avec lequel l’humanité a vécu pendant toute la Guerre Froide. Et même si l’actualité fait renaître cette crainte, il est désormais de plus en plus fréquent que ce genre de vision de l’avenir découle d’un catastrophe écologique. Ce fut particulièrement le cas cette semaine, avec de l’Autre Côté du Ciel et donc Vesper Chronicles, un film franco-belgo-lituanien de science-fiction, ce qui en fait déjà presque en soi une œuvre originale.

Sombre et intriguant

Vesper Chronicles est une œuvre assez sombre, beaucoup plus que ce que le jeune âge de son héroïne pouvait laisser penser. L’ambiance, les décors, les événements, tout est marqué par une certaine noirceur. Les personnages, à l’exception de l’héroïne, sont tous très ambigus. Il est bien difficile de distinguer les méchants des gentils, même si l’intrigue forcera chacun à choisir un camp. Le film n’est pas spécialement spectaculaire, mais nous entraîne dans un monde intriguant et qui vaut le coup d’être exploré. Il est clair que ce film est le premier volet d’une histoire beaucoup plus vaste, mais ce premier épisode possède bien des intérêts propres.

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DE L’AUTRE CÔTE du CIEL : Poésie graphique

De l'Autre Côté du Ciel affiche

Si l’animation japonaise nous offre chaque année de très belles productions, dans des styles très différents, on peut parfois lui reprocher une certaine uniformité dans le style graphique. On reconnaît généralement d’un seul coup d’œil le style « manga » ou « anime ». Il y eu quelques exceptions comme le Conte de la Princesse Kaguya, mais globalement les films se suivent et se ressemblent jusqu’à devenir quelque peu impersonnels. Cet été, le Japon nous aura heureusement offert une œuvre faisant preuve d’une réelle personnalité artistique : de l’Autre Côté du Ciel. Un film qui possède bien d’autres qualités.

Epique et poétique

De l’Autre Côté du Ciel est une fable écologique qui aurait pu facilement être lourdingue par sa naïveté. Au final, le film se révèle surtout particulièrement poétique. On retient surtout la profondeur des personnages et l’attachement très fort qu’ils font naître chez le spectateur. L’histoire dégage une réelle émotion. Mais c’est autant épique que poétique. L’aspect aventure tient vraiment la route avec de nombreuses péripéties et ce petit frisson qui fait naître l’enthousiasme devant ce genre de spectacle. Une belle histoire bien racontée, voilà une qualité que l’on apprécie pleinement.

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EN DECALAGE : Le bon son

En décalage affiche

Les collaborations franco-espagnoles occupent le haut de l’affiche cet été. Il y a quelques semaines avec As Bestas, qui marquera profondément cette année 2022 cinématographique. Pas sûr qu’En Décalage occupera une place équivalente dans les mémoires des amateurs du 7ème art. Mais il n’aura pas déçu ceux qui auront eu la bonne idée d’aller le voir au lieu d’aller à la plage. Un scénario particulièrement bien écrit et inattendu fait de ce film une réussite, à la hauteur des moyens déployés. Avec un travail remarquable sur le son récompensé aux Goyas.

Un scénario remarquablement écrit

Pour apprécier pleinement En Décalage, il faut savoir se laisser porter par l’histoire et se laisser surprendre. La bande-annonce est d’ailleurs exemplaire à ce niveau là, en traduisant parfaitement l’ambiance du film, tout en ne dévoilant pas ce qui fait vraiment l’originalité de l’histoire. Le récit est particulièrement bien construit, dévoilant progressivement les éléments qui le constituent. Et surtout leur ampleur et leur nature réelles. Rien de très spectaculaire au final, mais beaucoup d’intelligence dans l’écriture et de finesse dans la narration. Il ne s’agit pas de l’histoire la plus passionnante jamais racontée. Mais au moins, elle est unique.

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AS BESTAS : Féroce !

As Bestas affiche

Comment ai-je pu me trouver à deux doigts d’oublier de vous livrer la critique d‘As Bestas. En effet, c’est en voyant l’affiche au cinéma il y a quelques jours que j’ai réalisé que dans ma volonté de rattraper mon retard, j’avais tout simplement zappé un des meilleurs films de l’année. Pourtant, il n’y a pas plus grand plaisir pour un critique, même aussi amateur que moi, que de mettre des mots sur son enthousiasme ! Même si, j’avoue, les proses concernant les navets sont aussi particulièrement jouissives à écrire. Bref, nous sommes là devant un beau et grand film.

Noire psyché

Qu’il s’agisse d’un film noir, mais très axé sur l’exploration de la psyché des personnages, ne surprendra pas ceux qui connaissent déjà l’œuvre de Rodrigo Sorogoyen. As Bestas prend naturellement sa place dans sa filmographie de Que Dios Nos Perdone, El Reino ou Madre. Mais en termes de qualité pure, ce film est clairement un cran au-dessus. Le scénario est remarquablement écrit, parcouru d’une tension constante, que les rebondissements ne viendront jamais casser bien au contraire. Chaque élément vient relancer l’intrigue pour pousser le spectateur toujours un peu plus profondément dans le film. On en ressort à la fois ravi d’avoir assisté à un tel spectacle, mais presque soulagé qu’une expérience aussi intense s’achève pour nous laisser souffler.

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NOPE : Get in !

Nope affiche

A quel moment peut-on considérer qu’un réalisateur est un grand cinéaste ? Suffit-il d’un seul grand film ? Peut-être pas, car la chance et le hasard, un casting assez bon pour ne pas avoir besoin d’être dirigé, un scénario en béton… tout cela peut conduire un metteur en scène moyen dans l’absolu à nous offrir un petit chef d’œuvre. Au bout du deuxième, la théorie du coup de chance en prend un coup. Mais est-ce assez pour vraiment établir un diagnostic définitif ? Je n’en suis pas certain. Mais pour Jordan Peele, je suis prêt à faire le pari. Après l’avoir découvert avec Get Out, Nope constitue la confirmation éclatante d’un immense talent.

Maîtrise magistrale

Un des plus grands mérites de Jordan Peele est d’obtenir une telle reconnaissance (je ne suis pas le seul critique enthousiaste) alors qu’il reste fidèle au film de genre. Mais bon, depuis Shining de Stanley Kubrick, qui doute encore que ce genre de film peut s’avérer être de purs chefs d’œuvre cinématographiques. Nope est un modèle de maîtrise à tout point de vue. Le rythme paraît lent, mais il l’est juste assez pour laisser le temps à l’inquiétude du spectateur de grandir. Les éléments se dévoilent les uns après les autres, dévoilant très progressivement le voile de mystère qui recouvre les premières minutes. Le final est grandiose et épique, montrant à quel point Jordan Peele est à l’aise sur tous les terrains.

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BULLET TRAIN : Pas de train-train

Bullet train affiche

Le train ne constitue pas à première vue le décor parfait pour un film. En effet, son étroitesse ne semble vraiment pas idéale pour du grand spectacle en cinémascope. Pourtant, avec une réalisation habile et en jouant sur l’effet de profondeur, il peut cependant servir de cadre à des films aussi spectaculaires que Snowpiercer ou Dernier Train pour Busan. Bullet Train pourra désormais être rajouté à cette liste. Cependant, il ne se situe pas tout à fait dans la même catégorie que les deux petits chefs d’œuvre cités précédemment. En effet, si le spectacle est plaisant, il n’a rien d’inoubliable.

Frénésie un peu vaine

Bullet Train est une sorte de grand foutoir, où une foule de personnages vont se croiser (et accessoirement souvent s’entretuer), alors que les stations défilent. Ces arrêts permettent à de nouveaux protagonistes de s’ajouter régulièrement. Cette impression de frénésie permet de garder un rythme soutenu, préservant le spectateur de tout ennui. Cependant, elle ressemble aussi à une tentative de cacher le caractère un peu vain et gratuit de l’ensemble. En effet, le scénario ressemble plus à un prétexte à un enchaînement de scènes qu’à une histoire solide et passionnante. La débauche d’énergie ne parvient néanmoins pas tout à fait à masquer l’impression de creux.

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TEMPURA : Saveurs timides

Tempura affiche

Beaucoup de films asiatiques ont la capacité d’ouvrir l’appétit du spectateur au sens propre du terme. C’est en particulier vrai pour les films coréens, où les personnages passent une bonne partie de leur temps à manger, mais aussi souvent des films japonais. Il font parfois de la cuisine, un élément central de leur histoire, comme pour la Saveur des Ramen par exemple. On pouvait naturellement s’attendre à ce qu’un film intitulé Tempura fasse de même. C’est vrai pendant une bonne partie de ce film, avant que cet aspect ne s’estompe. Heureusement, il est assez riche par ailleurs pour nous tenir en haleine, à défaut d’appétit, jusqu’au bout.

La saveur des tempura

Tempura raconte l’histoire immuable de deux êtres particulièrement timides qui doivent surmonter leurs peurs pour vivre enfin leurs sentiments. Il s’agit donc d’une forme de comédie romantique. Mais ici l’amour n’est que le moteur qui pousse le personnage à explorer ce qu’elle est et veut vraiment. Non qu’on se désintéresse de la romance, plutôt touchante au demeurant, mais ce n’est pas réellement le sujet central du film. On se situe plus dans la lignée des films portrait. Cela commence en tissant un lien solide entre la cuisine et le cours des événements. Cela donne un caractère particulièrement savoureux à la première partie du film. Dommage que Akiko Ohku ait décidé de dénouer ce fil au bout d’un moment, faisant quelque peu perdre à son propos son côté singulier, et accessoirement appétissant.

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THOR : LOVE AND THUNDER : Sans amour, ni Tonnerre

Thor : Love and Thunder affiche

J’ai souligné ces derniers temps un certain essoufflement dans l’univers cinématographique Marvel. Que ça soit Black Widow, les Eternels, Doctor Strange… on continue de passer de bons moments, mais sans jamais retrouver l’enthousiasme qu’ont pu faire naître certains épisodes. Les fans espèrent pourtant à chaque nouveau long métrage, les fans gardent espoir. La bande-annonce de Thor : Love and Thunder traduisait clairement l’ambition de Taika Waititi de proposer quelque chose de différent et de décalé. Certains se montraient enthousiastes et impatients, d’autres criaient au désastre annoncée. Les bonnes idées dont regorge ce film aurait dû donner raison aux premiers. Malheureusement, leur mise en œuvre relativement désastreuse a clairement des seconds des devins.

Grosse blague potache

L’univers Marvel s’est toujours caractérisé par un vrai sens de l’humour et de l’auto-dérision, qui a pu quelque peu se perdre depuis quelques temps. La volonté de Thor : Love and Thunder est clairement de renouer avec cette bonne habitude. Néanmoins, elle est tellement apparente et centrale que le film tend à ressembler à une grosse blague potache. Or, une part de l’histoire possède aussi un grande noirceur, notamment le personnage du méchant. Du coup, ces deux aspects ne parviennent pas du tout à rentrer en synergie et, au contraire, se décrédibilisent l’un l’autre. Chaque ressort, même le plus prometteur, ne parvient donc pas à produire pleinement l’effet escompté. Personne n’y trouve son compte et les amateurs aussi bien d’humour que d’aventures héroïques ressortent déçus.

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LA NUIT DU 12 : Mal ordinaire

La Nuit du 12 Affiche

Le film noir est une grande tradition française au même titre que la baguette de pain et les discussions interminables en terrasse. La tradition est peut-être moins forte que dans les années 60 ou 70, mais certains cinéastes hexagonaux la font perdurer. Parmi eux, Dominik Moll est sans doute celui qui contribue le plus à entretenir la flamme. Par la qualité plus que par la quantité, puisque la Nuit du 12 n’est que son 7ème film en près de 30 ans de carrière, 3 ans après Comme des Bêtes et 23 ans après Harry, un Ami qui Vous Veut du Bien qui a vraiment lancé sa carrière. Cela ne surprendra personne de savoir qu’il ne s’agit pas d’une comédie, mais d’une histoire de meurtre irrésolu (c’est dit dès les premières secondes, je ne spoile rien) venant hanter l’inspecteur en charge de l’enquête. Une histoire qui porte surtout un regard interrogatif sur nos comportements envers autrui.

Evil next door

La Nuit du 12 s’intéresse plus particulièrement aux rapports de séduction entre les hommes et les femmes. Surtout à l’attitude méprisante que la gent masculine peut adopter avec celles qu’elle qualifiera un peu rapidement de faciles. Un sujet dans l’air du temps, mais traité ici avec assez de pertinence pour ne pas y voir qu’une volonté d’aller dans le sens du vent. Un propos qui aurait pu paraître également caricatural s’il était porté avec moins d’intelligence. Le thème de ce film est au fond « les tueurs sont des gens ordinaires ». Cela place cette histoire de meurtre dans une réalité beaucoup plus médiocre, mais infiniment plus réaliste, que celle qui transparaît d’habitude des films de ce genre. Les assassins sont en effet rarement des génies pervers. Rarement des gens extraordinaires, au sens premier du terme. Rien ne les distingue en particulier au quotidien. C’est ce que ce film vient rappeler avec force.

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